L'AirTech, excellence française et levier de croissance méconnu

La pollution de l'air a un coût : 101,3 milliards d'euros par an en France, selon un rapport de la commission d'enquête sénatoriale rendu public en juillet 2015, gaspillés en dépenses publiques de santé, perte de productivité liée à l'absentéisme, mauvais rendements agricoles, dégradation de la biodiversité et obsolescence des bâtiments. À l'échelle planétaire, la seule pollution atmosphérique pourrait coûter 1% du PIB mondial en 2060, soit près de 2.600 milliards de dollars par an, estime l'OCDE dans un rapport paru en juin 2016. Mais derrière ce fléau se cache aussi une formidable opportunité économique, que la France se doit de saisir, soulignent Mathilde Lorenzi et Thomas Kerting, organisateurs de l'événement dédié à la qualité de l'air "Les Respirations", qui le 15 novembre réunira à Paris les diverses parties prenantes de cette industrie naissante.
Giulietta Gamberini
"Un cinquantaine d'entreprises, surtout des PME et des TPE, travaillent en France pour faire émerger un modèle de la gestion de l'air aussi performant que celui de la gestion de l'eau. "

LA TRIBUNE - Votre événement se propose de valoriser la filière industrielle française de la qualité de l'air. Comment la décrire?

THOMAS KERTING - Sa chaîne de valeur est constituée de quatre postes principaux. La métrologie, à savoir la construction de capteurs et logiciels permettant de mesurer voire prédire la pollution est le premier. Il est suivi par l'analyse permettant de définir des lignes d'actions à partir des données collectées, fondée sur l'expertise de bureaux d'étude. Le troisième pilier est représenté par les technologies permettant tant de limiter les émissions que de purifier l'air intérieur. Enfin, le développement d'outils de formation et de communication établit le lien indispensable entre tous ces enjeux.

Lire : Les pionniers du green (5/8) : NewLight transforme la pollution en plastique

Comment se positionne la France dans ce secteur?

THOMAS KERTING - Notre pays est très fort sur les quatre niveaux, grâce à l'excellence de nos ingénieurs et à nos capacités éprouvées en matière d'infrastructures. Un centaine d'entreprises, surtout des PME et des TPE, travaillent pour faire émerger un modèle de la " gestion de l'air" aussi performant que celui de la "gestion de l'eau". Elles sont notamment représentées depuis 2009 par la Fédération interprofessionnelle des métiers de l'environnement atmosphérique (Fimea). Ainsi, selon une étude publiée par Research and Markets en juin 2016 le marché global des purificateurs d'air devrait atteindre les 59 milliards de dollars d'ici 2021.

Pourquoi cette filière peut-elle constituer un levier de croissance?

MATHILDE LORENZI - Les citoyens sont de plus en plus informés du danger que représente la pollution de l'air, qui était jusqu'à présent invisible. Et plus ils en ont conscience, plus ils réclament des solutions, de la part des gouvernements comme du secteur privé. L'exemple le plus frappant est celui de la Chine, premier marché des purificateurs d'air intérieur et où les autorités ont été contraintes de se saisir du sujet par peur d'une révolte sociale. Par rapport à la lutte contre le réchauffement climatique, la préservation de la qualité de l'air est d'ailleurs une cause bien moins clivante et plus mobilisatrice, en France comme à l'étranger.

Lire: Pollution de l'air intérieur: un danger méconnu, un marché croissant

THOMAS KERTING -  La filière est par ailleurs boostée par la révolution technologique. La convergence entre urgence environnementale et révolution digitale crée un nouveau marché: la miniaturisation des capteurs, le développement des objets connectés vont permettre à chacun d'entre nous de mesurer la qualité de l'air, de produire ainsi ses propres données et d'adapter ses comportements en conséquence. La qualité de l'air va constituer une partie importante du secteur de la santé connectée.  Maîtres nageurs, coiffeurs, esthéticiens sont autant de populations massivement exposées à la menace de la pollution intérieure sans pour autant en avoir encore conscience. Mais avec la multiplication des outils de mesure, le risque encouru pourrait même devenir opposable. Aujourd'hui, les class actions excluent en France les domaines de la santé et de l'environnement, mais une réflexion est en cours quant à leur extension.

Chaque industrie peut d'ailleurs voir dans la qualité de l'air un levier de croissance: le luxe par exemple, puisque l'air va devenir l'élément principal d'un environnement de qualité, ou les banques, qui pourront de plus en plus investir dans ce domaine pour répondre à ses obligations en matière de développement durable.

L'excellence française dans ce domaine est-elle suffisamment soutenue par les pouvoirs publics?

MATHILDE LORENZI - Non. La réglementation est notamment en retard, en particulier en matière de construction des bâtiments. Jusqu'à présent on s'est surtout concentré sur la question de la performance énergétique, ce qui a conduit à concevoir des immeubles parfois hermétiques sans se soucier de la qualité de l'air intérieur.

Lire : Pollution de l'air: le secteur énergétique principal responsable

Il n'y a d'ailleurs aucune cartographie de l'AirTech française comme il en existe pour d'autres filières. Et alors qu'elle est portée par les exportations, notamment en Chine et en Inde, elle n'est pas encore suffisamment mise en avant par les pouvoirs publics lors des négociations internationales.

Et les plus grandes entreprises françaises?

MATHILDE LORENZI - Nos fleurons de l'énergie s'y intéressent, bien que ce soit assez récent. Ils intègrent notamment progressivement des entreprises qui travaillent dans le domaine. Engie vient par exemple d'acquérir un spécialiste de la modélisation 3D des villes,  pour les aider à estimer l'impact de leurs choix de développement urbain sur la qualité de l'air.

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Comment aborder justement la question de la qualité de l'air dans la ville de demain?

THOMAS KERTING -  L'empowerment progressif des citoyens dans ce domaine va obliger les décideurs à considérer l'air comme une infrastructure, au même titre que l'eau. La smart city ne sera intelligente que si elle respire! La technologie doit donc être mise au service de la qualité de l'air, dont il faudra collecter et gérer les données. Cet enjeu devra aussi être intégré à toutes les décisions de gestion urbaine, en matière de construction, de mobilité, mais aussi de paysage, de modes de production et de travail. Les arbitrages seront souvent complexes et demanderont une expertise spécifique. Par exemple, quelles espèces planter pour reverdir la ville tout en évitant d'aggraver les allergies? Comment assurer l'égalité face à la qualité de l'air, alors que le niveau de pollution des quartiers pourrait avoir un impact sur les prix de l'immobilier? Quelles technologies de dépuration choisir afin d'éviter de nouvelles émissions?

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Ces questions sont-elles à l'ordre du jour de la COP 22?

THOMAS KERTING - Alors que la question de la qualité de l'air a permis l'entrée en vigueur de l'Accord de Paris, puisqu'il a déterminé la signature de la Chine, plus grand émetteur de carbone de la planète, aucune plénière n'est malheureusement prévue à Marrakech autour de ce sujet, à la différence de l'eau et de la forêt.

L'un des objectifs affichés de l'édition des Respirations de cette année est d'obtenir des engagements de la part des candidats à la présidentielle. Quelles sont notamment vos revendications?

THOMAS KERTING - Nous voudrions que la qualité de l'air devienne la cause nationale 2017-2018. Il s'agit tout d'abord de créer une instance multidisciplinaire chargée de valider tous les grands projets sous cet angle. Il pourrait par exemple s'agir d'un secrétariat d'État à la qualité de l'Air, placé sous la double tutelle des ministères de l'Environnement et de l'Économie, ou d'une autorité indépendante. Il est aussi indispensable d'établir des plans clairs en ce qui concerne la réglementation et la fiscalité des principales industries concernées, notamment le bâtiment et la mobilité.

Enfin, il faut prévoir des outils de soutien et de financement de notre excellente AirTech en essor, afin d'éviter que des groupes étrangers viennent acheter nos pépites. C'est aussi un enjeu de souveraineté: la question de la gouvernance et de la confidentialité de ces données comme de la légitimité de la mesure de la qualité de l'air va devenir de plus en plus urgente. À ceux qui s'inquiétaient du coût de tels investissements, il convient de rappeler la phrase de Franklin Delano Roosevelt qui soulignait: "Si vous pensez que l'éducation est chère, essayez l'ignorance". De même, nous n'avons plus les moyens de la pollution.

Propos recueillis par Giulietta Gamberini

Giulietta Gamberini

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Commentaires 8
à écrit le 07/12/2016 à 10:49
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LA CHINE BRULE 50% DU CHARBON MONDIAL POUR CES USINES C EST L ALLEMAGNE QUI POLLUE LA REGION PARISIENNE/ ET LA FRANCE A SIX CENTRALES A CHARBON SANS COMPTER LES USINES A BRULE LES DECHETS DES GRANDE VILLES PARTOUT DANS LE MONDE/ ET ON VEUT NOUS VEND...

à écrit le 07/12/2016 à 9:13
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Mais le coût des restrictions à l'activité économique et à la circulation pourrait être bien supérieur. Si le pollutionnisme conduit au désert économique, il y a un gros problème. Une approche honnête et compétente consiste à faire la part des chos...

à écrit le 08/11/2016 à 20:43
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Préserver l'environnement est une chose, mais il faut faire attention que le libéralisme ne prenne racine dans une gestion mercantile des problèmes. Sinon il est certain que la smart city devra intégrer le gestion de l'air.

à écrit le 08/11/2016 à 4:13
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Merveilleuse France ou l'on elabore des solutions type "usine a gaz". On en oublie de traiter les causes, pays de fous.

à écrit le 07/11/2016 à 14:57
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Publie dans Facebook.

à écrit le 07/11/2016 à 11:17
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Tout cela est bien joli, mais je ne suis pas sûr que le citoyen de base puis accéder facilement à l'essentiel : superposer une carte des maladies pulmonaires à une carte de la pollution atmosphérique. On pourrait peut-être commencer par là...

le 07/12/2016 à 9:14
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Tout-à-fait d'accord. Une vérité qui dérange?

à écrit le 07/11/2016 à 11:04
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Elle a un coût certes mais tant que ces 100 milliards partent dans la poche des actionnaires milliardaires, via leurs laboratoires pharmaceutiques, via leurs multinationales de nettoyages et-c... on est pas prêt de s'y attaquer sérieusement. La p...

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