L’État a doublé ses dépenses pour le climat en dix ans... tout en soutenant des secteurs carbonés

Les dépenses publiques favorables à l’environnement ont doublé en France depuis dix ans, mais elles devront être accrues et mieux ciblées pour répondre à l'urgence climatique, avance le think tank I4CE, qui a passé au crible le budget de l’État. Il appelle à repenser les mécanismes de taux réduits pour la taxation des énergies fossiles, en définissant une stratégie de sortie qui devra s’adapter à chaque secteur, sans s'éloigner de l'exigence de justice sociale.
Marine Godelier
Les mécanismes d'aides à la rénovation des passoires thermiques ont été fortement soutenus par l'État, mais avec une efficacité parfois limitée.

Le mouvement des "gilets jaunes", qui a marqué le quinquennat Macron, l'a bien démontré : sans équité dans les efforts demandés aux Français en matière de fiscalité environnementale, la transition écologique se fera difficilement.

Une exigence de justice sociale intimement liée à la gestion des deniers publics, afin d'accompagner peu à peu ménages et entreprises vers une trajectoire bas carbone - par des soutiens financiers dans la rénovation ou les transports bas carbone, par exemple.

Un travail ardu de tri des outils budgétaires et fiscaux

Si la problématique est désormais connue, tirer des leçons de la gestion des outils budgétaires et fiscaux nécessite d'en avoir une vision d'ensemble. Un travail fastidieux et inédit dans lequel s'est plongé le centre de réflexion I4CE (Institute for Climate Economics, ou Institut de l'économie pour le climat).

En passant au crible le budget de l'État depuis dix ans, il a identifié les dépenses publiques qui ont été favorables - et défavorables - au climat depuis cette période.

Les investissements en faveur du climat ont doublé en dix ans

Il ressort de l'étude, publiée le 9 juin, que les sommes bénéfiques au climat ont doublé, passant de 15 milliards d'euros en 2012 à 30 milliards en 2021 - soit de 0,7% du PIB à 1,2%.

Des dépenses qui s'élèvent à 200 milliards d'euros en cumulé sur la décennie, et majoritairement réparties entre trois secteurs-clés.

Tout d'abord, la mobilité bas carbone, (72 milliards), avec notamment une hausse de la prime à la conversion et du bonus auto en 2018, ou encore le rachat de la dette SNCF en 2020 (20 milliards d'euros). Est aussi prise en compte l'incitation, par taux de taxation réduits, aux biocarburants. « Malgré une efficacité climat parfois discutable », admettent les auteurs de l'étude - les biocarburants pouvant en effet émettre autant de gaz à effet de serre que les carburants classiques.

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Viennent ensuite les aides à la production d'énergie dite décarbonée (61 milliards), avec un « fort soutien sur toute la période » à l'éolien et au solaire, puis au bioGNV et à l'hydrogène.

Enfin, la rénovation des bâtiments arrive en troisième position, en valeur absolue (37 milliards), grâce à des mécanismes comme la création du CITE en 2014 - un crédit d'impôt ouvert à tous les ménages - ou, plus récemment, la mise en place MaPrimeRénov' et le financement de la rénovation des logements et des bâtiments publics.

Des mesures pas toujours utiles

À cet égard, le plan de relance liée à la pandémie a entraîné une « accélération inédite » de ces dépenses, souligne I4CE, avec pas moins de 5,6 milliards supplémentaires favorables au climat en 2021. De quoi permettre à la France d'arriver « à peu près aux montants d'investissement nécessaires pour s'aligner avec les objectifs » qu'elle s'est fixée, estime Quentin Perrier, chercheur à I4CE et coauteur de l'étude.

Les dépenses n'ont pourtant pas toujours été efficaces pour réduire effectivement les émissions, prévient l'étude. Et de prendre l'exemple du CITE(*), qui a favorisé les changements de fenêtres ou l'installation de nouvelles chaudières au fioul, peu efficaces pour réduire la consommation d'énergie. Idem pour l'ouverture de la prime à la conversion, incitant à l'achat de véhicules thermiques émetteurs.

Une cinquantaine de niches fiscales qui ont profité aux énergies fossiles

Surtout, dans le même temps, l'État a fortement soutenu des secteurs carbonés : les dépenses défavorables à l'environnement représentaient 16 milliards d'euros en 2012, en hausse légère depuis 2021.

« Elles augmentent jusqu'en 2019, puis on voit une légère baisse en 2021, à prendre cependant avec prudence car on a moins d'infos sur ces deux années, et la pandémie a freiné l'aviation et les poids lourds », commente Quentin Perrier.

En cause : l'existence d'une cinquantaine de niches fiscales, c'est-à-dire des taux réduits de taxation sur les énergies fossiles, forme de soutien économique de la part de l'État. 

« Les niches les plus structurantes sont l'exonération sur l'aviation (3,6 milliards en 2019), le taux réduit sur le diesel (3,5 milliards en 2019), le taux spécial sur les carburants dans les DOM-TOM, et les taux réduits pour les transports routiers de poids-lourds, les électro-intensifs [métallurgie, cimenterie... soumis par ailleurs au marché européen] et les exploitations agricoles », précise l'étude.

Un « rattrapage » a néanmoins commencé entre le diesel et l'essence - même si ce dernier a été « stoppé par la crise des gilets jaunes » -, et la niche fiscale sur le gazole non routier (hors agriculture) « devrait disparaître en 2022 », nuancent les auteurs. Reste qu' « au moins six niches fiscales structurantes demeurent sans plan de sortie », regrette Quentin Perrier.

Stratégie de sortie

Les écarter progressivement serait pourtant la seule manière de tendre vers les objectifs climatiques fixés par la France, souligne l'étude. Mais, alors que certains de ces secteurs ont besoin de ces avantages fiscaux, comment les inciter à décarboner?

«La réponse n'est ni simple ni univoque: elle devra s'adapter à chaque secteur, selon ses alternatives technologies et son contexte économique», font valoir les auteurs, qui relèvent un « besoin d'accompagnement sous tension ».

Quentin Perrier explique aussi:

« L'enjeu est de réduire ces niches, mais en accompagnant par ailleurs. Il faut s'interroger sur comment on peut aider ces secteurs autrement qu'avec un taux réduit sur les énergies carbonées. »

Et Benoît Leguet, directeur général d'I4CE, d'ajouter :

« Si on donne des aides pour qu'ils restent dans ces outils fossiles, on n'avance pas d'un iota. Il faut se demander quel chemin on trace vers la neutralité carbone, et la place octroyée à la sortie de niche fiscale là-dedans, en se donnant un horizon de temps acceptable ».

La question de l'après-plan de relance

Pour ce faire, I4CE appelle l'État à « clarifier son plan de financement de la transition pour les dix prochaines années, et les candidats à l'élection présidentielle à élaborer dès maintenant leur budget pour le climat ». Car selon les auteurs de l'étude, un « point de bascule » vient d'être atteint, alors que l'Union européenne vient de renforcer ses engagements climatiques à horizon 2030. « On est arrivé à ce niveau de dépenses [pro-climat, Ndlr] grâce au plan de relance. Qu'en sera-t-il par la suite ? », s'interroge Quentin Perrier.

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« Maintenant, il faut décider d'augmenter encore les dépenses favorables, et en même temps réduire les dépenses défavorables. Pour ces dernières, nous devrons être proche de zéro à horizon 2050 », appuie Benoît Leguet.

Car, faute de moyens, pas de résultats ambitieux ni de mesures de soutien permettant d'étendre et de faire accepter la transition à tous, souligne I4CE. Le rapport estime à 14 milliards d'euros par an les dépenses supplémentaires nécessaires pour 2024-2028.

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NOTE
(*) Le Crédit d'Impôt pour la Transition Énergétique (CITE) a été transformé en prime en 2020 et 2021. Cette nouvelle prime est intitulée MaPrimeRénov'.

Marine Godelier

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Commentaires 2
à écrit le 10/06/2021 à 11:54
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Bref! Dans tout les cas, la communication n'a pas perdu de "crédit" !;-)

à écrit le 10/06/2021 à 11:20
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Et surtout sans se débarrasser du modèle agro-industriel premier destructeur de vies humaines, animales et végétales et premier générateur de GES on ne peut que conclure qu'ils nous enfument copieusement encore une fois. Tout simplement une volonté d...

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