Alors que le bouclier tarifaire de l'Etat, qui protège pour l'instant les consommateurs de l'explosion des cours de l'électricité, devrait prendre fin d'ici à 2023, le gouvernement explore toutes les pistes pour contenir les factures des Français au-delà de cette date. Une équation périlleuse, au moment où les prix du mégawattheure (MWh) dans l'Hexagone s'envolent à plus de 900 euros sur le marché au comptant pour le dernier trimestre 2022, soit deux à trois fois plus que dans le reste de l'Union européenne ! D'une crise « conjoncturelle » et « temporaire », comme l'estimait l'exécutif à l'automne dernier, la situation est devenue incontrôlable et promet de durer. Et pour cause, en plus de la guerre russe en Ukraine qui aggrave les difficultés d'approvisionnement en combustibles du Vieux continent, la France doit composer avec des prévisions de production nucléaire historiquement faibles pour les deux hivers à venir, couplées à un manque structurel de marges pour y faire face.
Pris de court, les pouvoirs publics comptent, une nouvelle fois, mettre à contribution EDF, qui devrait prochainement revenir à 100% dans le giron de l'Etat après le rachat des 16% de titres qui lui échappent pour l'instant. En effet, la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, a annoncé hier au Sénat que l'exécutif pourrait rehausser le quota d'électricité qu'EDF devra vendre à prix coûtant à ses concurrents via le mécanisme de l'ARENH (accès régulé à l'électricité nucléaire historique). Celle-ci a expliqué qu'un « plafond à 135 térawattheure (TWh) pour 2024 et 2025 serait un compromis raisonnable » et qu' « un amendement pourrait être déposé ».
Impact sur les factures des Français
Ce dispositif se trouve au cœur du fonctionnement du marché de l'électricité en France, et de la manière dont le prix effectivement payé par le consommateur est déterminé. Concrètement, il permet depuis 2011 aux fournisseurs « alternatifs » (c'est-à-dire autres qu'EDF), qui ne peuvent posséder aucune centrale nucléaire, de proposer à leurs clients des prix compétitifs en achetant de l'électricité auprès d'EDF à prix coûtant (sans bénéfice pour ce dernier) plutôt qu'à celui, fluctuant, du marché. Ce tarif étant fixé depuis dix ans par les pouvoirs publics à 42 euros le mégawatt heure (MWh), l'ARENH représente logiquement un avantage considérable pour ces opérateurs au moment où les cours s'envolent.
Ainsi, plus le volume d'ARENH demandé par ces derniers leur est effectivement délivré, moins ils doivent s'approvisionner au comptant, limitant ainsi l'impact de la flambée des cours sur leurs grilles tarifaires. Or, pour qu'EDF ne dispose pas d'un avantage trop fort, son tarif réglementé de vente (TRV), auquel ont souscrit quelque 30 millions de Français, doit lui aussi s'adapter aux éventuelles hausses de coûts de ses concurrents, selon le calcul imposé par la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Résultat : dans ce jeu aux dés pipés, plus il y a d'ARENH disponible, moins les factures des consommateurs augmentent.
Dans ces conditions, le gouvernement avait déjà rehaussé en janvier le quota d'ARENH à fournir sur l'année, déclenchant l'ire du patron d'EDF, Jean-Bernard Lévy. Dans une annonce qui avait mis le feu au poudre, Bercy l'avait en effet contraint à vendre 20 TWh supplémentaires de son électricité à 46, 20 euros le MWh, en plus des 100 TWh à 42 euros prévus depuis plus de dix ans. Un dispositif « exceptionnel » justifié par une « séquence hors norme », et qui devait répondre à la crise sur le « court terme », avait alors fait valoir le cabinet du ministre de l'Economie, Bruno Le Maire.
Un éventuel plafond mobile, en fonction de la production réelle
L'exception devrait donc devenir la règle, au moins pour les prochaines années. A condition du moins que l'opposition l'accepte, en l'absence de majorité absolue au Palais Bourbon. De fait, l'exécutif souhaitait aller encore plus loin, et songeait à augmenter le plafond à 150 TWh, c'est-à-dire le maximum autorisé par la loi Énergie Climat de 2019. Mais une coalition de députés NUPES, RN et LR ont court-circuité ses ambitions, et voté dans le cadre du projet de loi « pouvoir d'achat » pour ramener le quota maximum d'ARENH qui peut être exigé par décret gouvernemental de 150 à 120 TWh jusqu'à fin 2023. Un « compromis raisonnable », a néanmoins estimé hier Agnès Pannier-Runacher, « compte tenu du productible anticipable [d'EDF] en 2023 » (entre 300 et 330 TWh, contre près de 380 TWh en 2019, un niveau à l'époque déjà considéré comme bas).
Reste à savoir ce qu'il adviendra après 2023. « Le plafond [de l'ARENH] aurait vocation à augmenter », a insisté hier la ministre de la Transition énergétique. Mais alors que la cause et l'ampleur du fameux défaut de corrosion découvert dans plusieurs réacteurs d'EDF, et qui l'oblige à contrôler tout son parc d'ici à 2025, restent inconnus, la situation de l'entreprise tricolore inquiète. Et le rachat par l'Etat de l'intégralité de ses actions ne suffirait de toute façon pas à résoudre le problème, qui pourrait s'avérer générique. Dans la tourmente, l'énergéticien essuie d'ailleurs une perte historique de 5,3 milliards d'euros sur le premier semestre 2022, a communiqué le groupe ce jeudi. « La proposition qu'on pourrait vous faire serait d'avoir un plafond mobile en fonction de la réalité de la production d'énergie nucléaire », a ainsi suggéré hier Agnès Pannier-Runacher. Une chose est sûre : la question continuera d'être au cœur des discussions au moins jusqu'à la fin du mécanisme de l'ARENH, prévue le 31 décembre 2025.
Sujets les + commentés