Renationalisation d’EDF : ce difficile équilibre entre finances publiques et satisfaction des actionnaires

Alors que l’Etat entend lancer une offre publique d’achat simplifiée sur les titres du capital d’EDF, Bercy a précisé ce mardi avoir défini un prix de l’action à 12 euros (hors obligations à option de conversion). Un montant logique au vu des cours récents de la société, estiment les analystes, mais largement insuffisant selon des actionnaires salariés et anciens salariés, qui dénoncent une spoliation du groupe et de ses épargnants.
Marine Godelier
(Crédits : Regis Duvignau)

A l'heure où l'Etat a communiqué sur les modalités du rachat des parts d'EDF qu'il ne détient pas (environ 16%) afin de retirer la société de la cote, la question du prix des actions, défini à 12 euros par le gouvernement, fait des émules. Et pour cause, tandis que Bercy affirme que ce montant s'avère « juste pour les actionnaires et les finances publiques », des épargnants salariés et anciens salariés du groupe dénoncent pour leur part un montant « clairement insuffisant » qui les « spolie gravement ». Regroupés au sein de l'association Energie en actions, ces derniers ont même annoncé hier leur intention de porter plainte contre l'Etat et son offre publique d'achat.

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Il faut dire que lors de l'introduction en bourse de l'électricien, en 2005, cinq millions de Français avaient obtenu une part du fleuron national à 32 euros l'action. Mais dix-sept ans plus tard, le prix de 12 euros (et 15,64 euros pour les obligations à option de conversion, dites Oceane) « reflète la valeur fondamentale de la société », assure aujourd'hui l'exécutif.

Il fait même « apparaître une prime de 50% par rapport au cours de clôture de la Bourse du 5 juillet dernier [soit la veille de l'annonce de la nationalisation par la Première ministre, Elisabeth Borne], de 40% par rapport au 70 jours précédents, et de 34% sur un an », défend-on à Bercy. Et pèsera à hauteur de 9,7 milliards d'euros sur les finances publiques - 7,6 milliards pour le rachat d'action, 2,1 pour celui des Océane.

Porte de sortie

De fait, à force de difficultés, le groupe a perdu presque 70% de sa capitalisation depuis 2005. Concrètement, celle-ci s'élève aujourd'hui à près de 45 milliards d'euros, soit une valeur de 7 milliards environ pour les quelque 16% que ne détient pas l'Etat. Dans ces conditions, « le prix de 9,7 milliards que le gouvernement entend mettre sur la table se trouve dans la fourchette anticipée, voire même au-dessus puisque beaucoup tablaient sur 6 à 7 milliards il y a quelques jours », note Antoine Fraysse-Soulier, analyste financier chez Etoro.

Et pourtant, après des premiers mois difficiles, l'action avait culminé un peu au-dessus des 75 euros fin 2007. Mais ces dernières années, celle-ci stagnait plutôt aux alentours de 10 euros, et peinait même à atteindre les 8 euros début juillet. « A cause de l'augmentation de 100 à 120 TWh du volume d'électricité qu'EDF doit vendre à bas coût à ses concurrents afin de contenir les prix de l'énergie [l'ARENH, ndlr], et du fait d'un défaut de corrosion touchant le parc nucléaire qui affecte fortement la production, EDF devrait engendrer des pertes colossales en 2022. Et la baisse du titre aurait sans doute été encore plus marquée sans l'annonce par Emmanuel Macron le 16 mars de son intention de renationaliser EDF s'il était réélu », souligne Tancrède Fulop, analyste chez Morningstar.

Certes, le titre était bien remonté après le discours de politique générale d'Elisabeth Borne actant la renationalisation, mais ce rebond traduisait plutôt des comportements spéculatifs. « L'action a pris environ 20% en une semaine, pour atteindre 10,24 euros le 12 juillet. En fait, des investisseurs ont anticipé qu'il y allait y avoir une prime et cela a probablement été pris en compte par l'Etat dans son calcul », glisse un connaisseur du secteur.

« Il est très probable que le titre n'aurait pas atteint 32 euros à nouveau avant plusieurs années. Ce compromis est donc une porte de sortie, avec une valeur certes beaucoup plus basse qu'en 2005, mais beaucoup plus haute que la situation actuelle », affirme Antoine Fraysse-Soulier.

L'Etat actionnaire a chargé les finances du groupe, selon des salariés

Il n'empêche cette situation s'avère en grande partie imputable à l'Etat, fustige-t-on chez Energie en actions. « Certes un placement est risqué, mais c'est l'Etat qui, en 2005, a appelé des épargnants à venir soutenir le développement d'EDF, puis conduit, par ses différentes décisions, à provoquer ces cours ! Nulle part il n'était mis en avant le risque que l'Etat se comporte de façon contraire à l'intérêt de l'entreprise », s'indigne le secrétaire général de l'association, Hervé Chefdeville. Pour ce dernier, l'Etat doit désormais indemniser les actionnaires à hauteur de ce qu'ils ont perdu.

Energie en actions condamne notamment le mécanisme de l'ARENH, « dont le prix de vente du mégawattheure aux concurrents d'EDF, fixé en 2012 à 42 euros et jamais réévalué, ne reflète pas les coûts réels de production du nucléaire ». L'association dénonce aussi le relèvement par l'exécutif du plafond de cet ARENH en 2022, qui représente un manque à gagner de 10 milliards d'euros sur l'année, selon les dernières estimations d'EDF, ainsi que la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, déconnectée définitivement du réseau en juin 2020.

« Historiquement, on observe un conflit d'intérêt entre l'Etat actionnaire et les actionnaires minoritaires sur ces questions. On peut aussi citer le fait que l'Etat a pris son dividende en cash entre 2011 et 2014 alors que les besoins d'investissement étaient élevés. Ce qui a forcé EDF à s'endetter pour payer ces dividendes », souligne Tancrède Fulop.

De son côté Bercy met en avant le « soutien très régulier de l'Etat » au groupe « pour sécuriser sa trajectoire financière » par le biais de plusieurs augmentations de capital, notamment en 2017 et en avril 2022.

Si l'argument devrait peiner à convaincre les quelque 1% d'actionnaires salariés (actuels ou anciens), le gouvernement n'aura de toute façon pas besoin de leur aval : en vertu de la loi Pacte, l'Etat ne devra atteindre « que » 90% de prise de participation à EDF afin de cristalliser son offre publique d'achat et retirer la société de la cote. Une opération qu'il espère finaliser à l'automne, sous réserve d'une approbation des crédits nécessaires par le Parlement dans le cadre du vote du projet de loi de finance rectificative.

Lire aussi : EDF doit rester un groupe « unique », ne pas avoir d'énergies renouvelables est une « utopie » (Jean-Bernard Lévy, PDG)

Marine Godelier

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Commentaires 3
à écrit le 19/07/2022 à 19:11
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Bonjour, Ils faut arrêt de prendre les petits actionnaires pour des vache a lait... Lors de l'ouverture du capital l'action EDF avez une valeur importants.... Depuis des années par mauvais gestion de l'actionnaire principal/(état). L'action ne n'a...

le 20/07/2022 à 5:29
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vous trouvez normal qu'une entreprise comme la sncf fonctionne avec des subvebntions perpetuel qui est un gouffre financier et qui investisse dans des entreprises partout dans le monde et sans connexion avec la societe principal

le 20/07/2022 à 11:15
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juste observation )! éviter aux petits actionnaires de se faire flouer comme AIR FRANCE

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