Ce n'est pas une surprise, tant le groupe accumule les déboires depuis plusieurs mois. Plombé par une baisse exceptionnelle de sa production d'origine nucléaire, mais aussi par l'appel à la rescousse de l'Etat qui l'oblige à vendre plus d'électricité à prix bradés à ses concurrents en 2022, EDF traverse une période critique.
Forte hausse du chiffre d'affaires
Et cela se traduit dans ses comptes : l'énergéticien tricolore, qui repassera à 100% dans le giron de l'Etat dans quelques mois, subit une perte historique de 5,3 milliards d'euros au premier semestre 2022, a communiqué le groupe ce jeudi. Et pourtant, son chiffre d'affaires enregistre lui une forte progression, passant de 22 milliards d'euros il y a un an à 66,262 milliards d'euros aujourd'hui (+67,2%), du fait de la forte hausse des prix de l'électricité et du gaz en Europe.
Mais les bonnes nouvelles s'arrêtent là : l'effet d'aubaine dont il aurait pu profiter a rapidement été bridé par les pouvoirs publics, dans une décision lourde pour sa santé financière. Et pour cause, en janvier, le gouvernement lui a imposé d'augmenter de 20% la production qu'il devra vendre aux fournisseurs alternatifs à moins de 50 euros le MWh en 2022, alors même que les cours de l'électricité bondissent à plusieurs centaines d'euros le MWh sur le marché. Un dispositif vivement combattu par le PDG d'EDF, Jean-Bernard Lévy, puisque celui-ci devrait en tout lui « coûter » 10 milliards d'euros de manque à gagner sur l'année, selon les calculs du groupe.
Un impact de 24 milliards d'euros sur l'Ebitda
Surtout, le pire est ailleurs : au moment-même où l'Etat le met à contribution, l'opérateur historique fait face à un phénomène grave, dont les raisons restent inconnues et qui a pour l'instant conduit à l'arrêt de 12 réacteurs sur 56. En effet, une minuscule fissure récemment identifiée dans trois de sites de palier différent l'oblige à baisser drastiquement sa production, et par là-même à racheter les électrons manquants sur le marché. Dans ces conditions, le groupe a revu à la hausse l'effet estimé de la baisse de production sur ses comptes annuels.
Concrètement, cet impact sur le bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciations et amortissements (Ebitda) est désormais estimé à 24 milliards d'euros environ cette année, contre 18,5 milliards précédemment, a précisé lors d'une conférence téléphonique le PDG d'EDF, Jean-Bernard Lévy. Une révision liée à la poursuite de l'envolée des prix de l'électricité en Europe, puisque cette flambée augmente par là-même le coût des rachats d'électricité par EDF.
Ainsi, l'énergéticien a enregistré au titre du premier semestre un Ebitda de 2,7 milliards (-75 %), mais également une perte nette courante de 1,3 milliard d'euros (contre un bénéfice de 3,7 milliards au premier semestre 2021).
Un programme de contrôle des réacteurs jusqu'en 2025
Et la tempête devrait durer : jeudi, Jean-Bernard Lévy confirmé que la production devrait s'établir cette année entre 280 et 300 térawatts-heure (TWh) seulement, puis entre 300 et 330 TWh en 2023, contre près de 380 TWh en 2019 (un niveau à l'époque considéré comme bas). Et ce problème d'indisponibilité des centrales nucléaires ne sera pas réglée demain : EDF devra contrôler l'ensemble de son parc d'ici à 2025 par ultrasons pour rechercher d'éventuelles traces du défaut de corrosion, en priorisant les zones les plus sensibles des réacteurs de 1.450 MW (les plus puissants) et certains de 1.300 MW. Un programme validé hier dans ses grandes lignes par l'Autorité de sûreté nucléaire.
En plus de nourrir les craintes sur la disponibilité future du parc nucléaire, ce phénomène est-il « susceptible de peser sur la capacité du groupe EDF à atteindre ses objectifs », comme celui-ci s'en inquiétait en mars dernier dans un communiqué inquiétant ? Son aptitude à relever les multiples défis qui s'annoncent, entre le prolongement maximal du parc existant et la construction de nouveaux réacteurs EPR, sera primordiale pour permettre à l'Hexagone de réussir son pari industriel de relance du nucléaire, et déterminera si, oui ou non, cette source d'énergie décarbonée se taillera une place de choix dans le mix de demain. Une chose est sûre : le rachat à 100% des parts par l'Etat ne règlera pas tout, et nombre de questions resteront en suspens.
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