Et si l'hydrogène naturel était le "game changer" de la transition énergétique ?

Alors que l''hydrogène décarboné peut être produit grâce à des électrolyseurs, il peut l'être aussi par... la terre, dans le sous-sol, comme le démontrent de nombreux travaux scientifiques. Cet hydrogène naturel, dit "blanc", serait non seulement présent en abondance sur plusieurs continents mais aussi très peu cher à produire. Son potentiel reste difficile à évaluer, mais, depuis quelques mois, les projets de forage se multiplient. Si les startups sont les premières à se lancer sur ce marché naissant, les majors pétrolières scrutent de très près cette effervescence. L'hydrogène naturel renouvelable pourrait rebattre les cartes de la géopolitique de l'énergie.
Juliette Raynal
(Crédits : DR)

Après la vague verte, faut-il se préparer à une vague blanche ? Depuis un an, une vague d'engouement déferle sur l'hydrogène "vert", celui produit par électrolyse de l'eau. Souvent présenté comme le carburant de demain, ce gaz extrêmement léger doit permettre de verdir les secteurs de la mobilité, et de décarboner un certain nombre de procédés industriels, comme la production d'ammoniac pour les engrais, très gourmands en hydrogène "gris", fabriqué, lui, à partir d'énergies fossiles et grand émetteur de carbone.

 Encore très coûteux à produire, l'hydrogène "vert" est obtenu grâce à un courant électrique décarboné (d'origine nucléaire ou renouvelable) qui vient casser la molécule d'eau (H20) pour séparer les atomes d'hydrogène de l'oxygène. Il y a un an, la France s'est dotée d'une stratégie nationale pour développer massivement la production et l'usage de l'hydrogène bas carbone. Elle prévoit d'y consacrer 7,2 milliards d'euros sur dix ans.

Un hydrogène "blanc", produit par la "machine terre"

Cet emballement pour l'hydrogène vert a conduit indirectement à mettre en lumière un autre hydrogène : l'hydrogène blanc, celui produit par la "machine Terre" et donc naturellement présent dans notre sol. Les géologues parlent alors d'hydrogène naturel ou natif. En juin dernier, le premier sommet mondial consacré à cette source d'énergie, baptisé H-Nat 2021, a réuni quelque 750 participants.

"Le récent intérêt porté pour l'hydrogène naturel s'explique par la conjonction de besoin d'hydrogène décarboné comme carburant pour la mobilité verte et de l'amélioration des connaissances scientifiques sur la formation d'hydrogène dans le sol", explique Isabelle Moretti. Docteur en géoscience à l'Université de Pau, membre de l'Académie des technologies et ancienne directrice scientifique d'Engie, elle est l'une des artisans de ce premier sommet international.

Des émanations d'hydrogène naturel au fond des océans ont été identifiées il y a déjà de nombreuses années, mais ces sources d'hydrogène naturel ne présentent aucun intérêt industriel car elles ne peuvent pas être exploitées comme ressources énergétiques à grande échelle. C'est en 2008 qu'une découverte scientifique décisive a eu lieu.

"Des chercheurs ont découvert en Russie des émanations conséquentes d'hydrogène en milieu géologique. C'est à ce moment-là que la vraie histoire industrielle a commencé", se souvient Alain Prinzhofer, géologue et directeur technique de la société suisse HyNat.

A l'époque, il travaille à l'Institut français du pétrole (IFP), devenu par la suite l'IFP Énergies nouvelles (IFPEN).

"Quand les chercheurs russes sont venus nous voir pour nous rapporter cette découverte, nous étions d'abord suspicieux, mais ils nous ont invités à venir voir par nous-mêmes. Les faits étaient irréfutables", poursuit-il.

En parallèle, un puits d'hydrogène naturel est découvert au Mali, lorsqu'un forage, initialement réalisé pour trouver de l'eau dans le village de Bourakébougou, est rouvert. Y sort de l'hydrogène pur à 98%. Celui-ci est utilisé depuis 2013 pour électrifier le village grâce à un moteur thermique.

Une énergie "renouvelable à l'échelle d'une vie humaine"

Ces découvertes sont majeures. Elles signifient que l'hydrogène n'est pas uniquement un vecteur énergétique, mais une source d'énergie à part entière. Autrement dit, l'utilisation d'une autre énergie n'est pas nécessaire pour fabriquer cette toute petite molécule.

"Une bonne partie des questions scientifiques liées à la production de l'hydrogène natif restent à éclaircir, mais beaucoup de données montrent que ce gaz est le fruit d'interactions entre l'eau et certaines roches. On parle alors de diagénèse", explique Isabelle Moretti. "Un autre phénomène explique la production d'hydrogène naturel : c'est la radiolyse. Ici, certaines roches, où est présente une radioactivité naturelle, émettent des rayons qui cassent la molécule d'eau, comme dans le procédé par électrolyse. Une évaluation du potentiel de l'Australie basée sur ce phénomène de radiolyse vient d'être publiée", poursuit-elle.

L'autre point clé, c'est que la production d'hydrogène se renouvelle régulièrement. "À la différence du pétrole et du gaz naturel, l'hydrogène est renouvelable à l'échelle d'une vie humaine. Le système hydrogène est en permanence actif", explique Stéphane Aver, fondateur de la société HyNat, spécialisée dans l'exploration d'hydrogène naturel.

"Dans le puits exploité au Mali, la quantité de gaz est restée constante au fil des années et la pression augmente. Il faut donc parler de flux et non de stock", souligne Alain Prinzhofer.

Quel est le débit de ce flux ? La production d'hydrogène par la terre est-elle suffisante pour couvrir tous les besoins mondiaux en hydrogène ? Aujourd'hui, la consommation est évaluée à environ 70 millions de tonnes chaque année, mais elle pourrait grimper à 400 millions de tonnes dans un avenir très proche avec le développement de la mobilité verte.

Une source abondante, mais un potentiel encore difficile à évaluer

"Le potentiel de l'hydrogène naturel reste délicat à évaluer", reconnaît Nicolas Pelissier, cofondateur et président de la société lorraine 45-8, spécialisée dans l'exploitation d'hélium et d'hydrogène naturel. "Toutefois, plusieurs éléments montrent que l'hydrogène naturel pourrait représenter une fraction très importante du mix d'hydrogène décarboné", poursuit-il.

"Environ un tiers du continent africain présente une géologie favorable à la production d'hydrogène naturel. C'est considérable", abonde Stéphane Aver de la société HyNat.

La présence d'hydrogène sous terre est souvent matérialisée à la surface par des grandes ellipses sans végétation, visibles par images satellite (photo ci-dessous). Des cercles de fée pour certains, des ronds de sorcière pour d'autres.

Cercle de fée

[Cercles de fée, matérialisant la présence d'hydrogène dans le sous-sol, observés par satellite aux Etats-Unis.]

Engie a réalisé des mesures sur une ellipse située au Brésil grâce à un capteur développé par ses propres soins. Le groupe tricolore a évalué la production d'hydrogène naturel à plusieurs dizaines de tonnes par an. Or, ces structures se retrouvent en grand nombre dans de nombreux bassins sur tous les continents et pour certaines, où des mesures ont été faites, ont confirmé une émission d'hydrogène.

"Nous pensons qu'il y a plusieurs dizaines de millions de tonnes d'hydrogène naturel qui sont émises chaque année dans l'atmosphère. En revanche, la quantité d'hydrogène qui reste piégée sous terre dans des accumulations et qui serait exploitable, reste la grande inconnue", explique Olivier Lhote, responsable de l'hydrogène naturel chez Engie.

"La connaissance va arriver avec les forages. Tant que nous n'avons pas de données de subsurface en grandes quantités, nous risquons de tourner en rond", prévient Isabelle Moretti. "Mais, comme dans le secteur pétrolier ou minier, nous pouvons très bien commencer à forer et à produire avant même de comprendre tous les phénomènes scientifiques", complète-t-elle.

Les forages se multiplient, les majors dans les starting-blocks

Les forages, justement, devraient se multiplier dans les mois à venir. Au Mali, la société Hydroma, qui exploite le premier puits découvert en 2013, a procédé à 25 autres forages dans un rayon de 20 kilomètres. En Australie, des dizaines de forages sont en préparation. "Le nombre de projets explose", confirme Alain Prinzhofer, qui souligne les facilités d'exploitation de ces puits.

"Nous sommes à l'équivalent de l'exploration pétrolière du début du XXe siècle. Il s'agit de puits de quelques centaines de mètres de profondeur seulement. C'est un point très important car cela signifie que la part d'investissements pour valoriser cette ressource est modeste et que l'on peut envisager des exploitations faites par des petites entreprises et pas uniquement par des majors."

De fait, aujourd'hui, se sont surtout les petites structures qui se lancent sur ce marché naissant, caractérisé par l'absence de cadre réglementaire et législatif (seuls le Mali, l'Australie et le Maroc ont intégré l'hydrogène dans leur code minier).

Les grands pétroliers très discrets mais en veille active

Les grandes entreprises pétrolières, elles, restent pour le moment en veille active, en prenant grand soin de ne pas se positionner publiquement. Contacté par La Tribune, le groupe TotalEnergies affirme ainsi ne pas s'intéresser à l'hydrogène naturel. En coulisses, la réalité est différente :

"Au sommet H-Nat, la majorité des pétroliers de la planète étaient présents, mais personne n'a ouvert la bouche, ni posé de questions", affirme Isabelle Moretti, sollicitée par ces mêmes entreprises pour dispenser des formations sur l'hydrogène natif.

"Quand le marché de l'hydrogène naturel aura confirmé son potentiel en termes de volumétries, nous verrons très probablement les grandes majors se positionner. Cette révolution de l'hydrogène naturel ne se fera pas sans elles", estime Stéphane Aver d'HyNat.

Même son de cloche chez 48-5 :

"Tous les pétroliers s'y intéressent. Ils sont dans les starting-blocks. Ils ont les ressources et les compétences nécessaires. Ils attendent que les petites sociétés défrichent le sujet. Nous aurons besoin de leur capacité financière et technique pour la phase de production", prédit son président Nicolas Pelissier.

Engie fait, lui, figure d'exception. C'est l'un des seuls grands industriels à s'être positionnés publiquement sur ce sujet.

"Nous voulons offrir de l'hydrogène naturel à nos clients dans les différentes régions du monde où nous sommes implantés en parallèle d'une offre d'hydrogène vert. Les premières livraisons d'hydrogène natif pourraient arriver d'ici deux à cinq ans", explique Olivier Lhote. "Son coût de revient pourrait être très faible par rapport à l'hydrogène vert produit par électrolyse, de l'ordre de 1 à 2 euros le kilo. Cela permettrait de contribuer au développement de l'économie de l'hydrogène et de faciliter les premiers usages", poursuit-il.

Vers une énergie bien plus décentralisée ?

Les startups HyNat et 45-8 partagent les mêmes horizons de temps. La première, qui cible essentiellement le continent africain, espère entrer en production dans trois ans. La seconde vise une première production pilote d'hydrogène naturel sur le sol européen en 2025 et pourrait passer au stade industriel d'ici 2028-2029. Les deux mettent en avant une approche respectueuse de l'environnement et surtout locale, avec une valorisation et une consommation de l'hydrogène naturel sur les zones de production.

Un point de vue défendu par Alain Prinzhofer :

"Cette énergie, c'est aussi l'espoir de voir un bouleversement dans les relations entre l'humanité et l'énergie avec une énergie beaucoup plus décentralisée. L'hydrogène est très cher à transporter. Or, plus une ressource est chère à transporter, plus on a tendance à l'utiliser sur place. Cela permettrait à des pays de se développer".

Un véritable changement de paradigme par rapport à la production de pétrole, qui est exportée à 80%.

"Cela va changer la donne au niveau de la géopolitique de l'énergie. La liste des pays qui ont des ressources naturelles va s'allonger. Il faudra s'assurer ensuite de la bonne répartition de la richesse liée à cette nouvelle ressource", prévient Isabelle Moretti.

D'ici là, la chercheuse espère que la France, qui est à la pointe de la recherche en la matière grâce notamment aux travaux des universités de Pau, de Grenoble, de Lorraine, de Montpellier ou encore du CNRS, saura transformer l'essai en s'emparant de cette révolution industrielle. Une étape loin d'être gagnée à l'heure où France Hydrogène, l'association des professionnels du secteur, semble tout miser sur les électrolyseurs.

"En tant que scientifique, je suis atterrée de voir que ces phénomènes, qui se passent naturellement dans le sous-sol, sont tant négligés alors qu'on parle constamment d'imiter la nature", lâche Isabelle Moretti.

Juliette Raynal

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Commentaires 24
à écrit le 08/09/2021 à 13:56
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On veut nous faire croire a "l'hydrogène" pour que les industriels et financiers puissent y croire!

à écrit le 27/08/2021 à 9:06
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Une chercheuse atterrée ? En ce cas, c'est pas mal dit.

à écrit le 26/08/2021 à 20:16
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L'hydrogène bleu sera toujours moins cher car c'est de loin l'énergie la moins chère , il ne faut pas oublier non plus que l'efficacité énergétique d'un système hydrogène étant au minimum multipliée par deux la terre se retrouva en état d'abondance é...

le 28/08/2021 à 8:57
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"l'efficacité énergétique d'un système hydrogène étant au minimum multipliée par deux" pourriez-vous nous expliquer pourquoi?

le 28/08/2021 à 10:04
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multiplié par rapport à quoi ? Parce que le gaz c'est H2 et donc y a 2 H ? Bof. Le butane C4H10 doit avoir un rendement élevé avec autant d'hydrogènes. La pile à combustible a un rendement médiocre, comme le reste (les panneaux photovoltaïques, les r...

à écrit le 26/08/2021 à 15:23
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Electrolyse, courant électrique, forage... t'as le bonjour de l'empreinte carbone. Pas très écolo tout ça.

à écrit le 26/08/2021 à 12:59
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L'hydrogène est tellement peu cher à produire qu'il est subventionné par les participations de l'état via EDF et BPI dans McPhy Energy. Manifestement l'économie "verte" c'est comme le champagne français, beaucoup de gaz carbonique (aka CO2) pour...

à écrit le 26/08/2021 à 12:20
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vous imaginez la tete des ecolofachos s'ils lisent que le tout electrique qu'ils veulent imposer n'est pas la solution? staline en a fusille pour moins que ca!

le 26/08/2021 à 12:51
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Le tout électrique est une ânerie sans nom. Le problème actuel est que la parole est systématiquement donnée à des militants "écolos", pas assez à des scientifiques, et que ces militants n'ont pour la plupart aucune base solide en quoi que ce soit, à...

à écrit le 26/08/2021 à 11:49
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le symbole l'hydrogène, c'est H. H2O, (l'eau) veut dire que la molécule d'eau est composée de 2 atomes d'hydrogène et un atome d'oxygène. c'est la toute première leçon de chimie enseignée à l'école......

à écrit le 26/08/2021 à 11:45
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Le principe est sympa mais je doute des volumes, Bourakébougou c'est une turbine de 7 kw qui je pense ne tourne pas h24. Ou alors faisons d'une pierre deux coups, améliorons la radiolyse par l'enfouissement de déchets nucléaires vitrifiés ;-)

à écrit le 26/08/2021 à 11:30
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L'histoire ne dit pas si l'hydrogene trouvee est liquide ou gazeux? Article assez peu consequent.

le 26/08/2021 à 20:24
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L'hydrogène est liquide a -253deg, température qui n'existe pas sur terre, c'est donc gazeux .

le 28/08/2021 à 10:26
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S'il était solide comment en captez vous les émanations gazeuses pour en détecter la présence si profond ? Vous pensez à l'hydrate de méthane ? Aller chercher H2 solide à la pelle ça peut compliquer la collecte en profondeur. :-) Plus on descend plus...

à écrit le 26/08/2021 à 11:30
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L'histoire ne dit pas si l'hydrogene trouvee est liquide ou gazeux? Article assez peu consequent.

à écrit le 26/08/2021 à 10:29
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- l'hydrogène est un gaz (le plus léger de tous) qui aime énormément l'oxygène surtout celui de la couche d'ozone, LA MOINDRE FUITE pourrait en détruire une partie non négligeable. - au niveau de l'exploitation il faut se souvenir qu'il est violemm...

le 28/08/2021 à 10:34
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L'hydrogène se moque de l'oxygène, il n'a aucune affinité pour ce gaz mais comme tout carburant, si on lui associe un comburant, et crée une étincelle (apporte de l'énergie) il peut y avoir combinaison brutale avec explosion (mais avec peu d'H2 ou pe...

le 28/08/2021 à 11:27
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à l'attention de Tournesol (28/08/2021 à 10:34), je parle d'OZONE (très instable, l'atome libre d'oxygène pouvant à tout instant se lier à une autre molécule en particulier H² et tout un tas d'autres gaz. https://fr.wikipedia.org/wiki/Ozone (article...

à écrit le 26/08/2021 à 10:29
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Mettre en place un nouvelle rente n'est pas si évident que cela, quand on a affaire a des gens un minimum sensés!

le 26/08/2021 à 17:02
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Réponse LA TRIBUNE du 26 août 2021 Hydrogène naturel et d’origine photo-catalytique et électrolytique Comment expliquer que le monde officiel administratif et économique puisse continuer à ignorer aussi superbement les possibilités du court terme...

à écrit le 26/08/2021 à 10:15
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Ce n’est pas de l’optimisme béat ! Puisque la solution existe depuis 2013. En exemple qui aurait dit il y a dix ans qu’un cœur artificiel était possible ? De plus les techniques de forage existent déjà. Si ça trouve un débouché industriel, c’est tel...

à écrit le 26/08/2021 à 9:06
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La seule énergie qui ne pollue pas est celle qu'on ne consomme pas.

à écrit le 26/08/2021 à 8:46
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Et l'impact sur la nature ? On ne lui enlève rien d'essentiel ?

à écrit le 26/08/2021 à 7:59
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Et si on arrrêtait l'optimisme béat ?

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