La filière du nucléaire vise au moins 10.000 recrutements par an d'ici 2030

La filière tricolore du nucléaire devra recruter pas moins de 10.000 à 15.000 personnes par an d'ici à 2030, contre environ 1.500 jusqu'ici, pour espérer réaliser l’immense chantier de relance de l’atome voulu par Emmanuel Macron. Mais le défi s’avère colossal, après des années de baisse d'attractivité du secteur, rongé par un manque critique de compétences.
Marine Godelier
(Crédits : BENOIT TESSIER)

A côté de Cherbourg, dans la Manche, une école d'un nouveau genre a ouvert ses portes lors de la rentrée de septembre. Et son nom est éloquent : baptisée Hefaïs, pour Haute Ecole de formation en soudage, son appellation sonne comme une référence grandiose au dieu grec de la métallurgie, Héphaïstos. Il faut dire que sa mission s'avère colossale, puisqu'il ne s'agit rien de moins que de permettre le renouveau de la filière nucléaire. En effet, alors que le gouvernement compte lancer un gigantesque chantier de construction d'EPR sur le territoire français, EDF et les autres industriels du secteur n'auront d'autre choix que d'aligner leurs compétences techniques sur ce défi immense, une condition sine qua non à sa réussite.

C'est d'ailleurs l'un des cinq axes du plan excell d'EDF, ce vaste programme doté de cent millions d'euros dévoilé en 2019, censé remettre sur pied la filière nucléaire française. Car avec ses quelque 220.000 emplois, cette dernière devra étoffer ses compétences, après des années de baisse d'attractivité. Il faudra même redoubler d'effort : avec un objectif de 10.000 à 15.000 nouveaux recrutements par an d'ici à 2030, contre environ 1.500 jusqu'ici, un salarié sur deux qui travaillera dans la filière à cette échéance n'y exerce pas encore. « C'est là où il y a le plus d'enjeux [...] avec un changement massif d'échelle ! », a ainsi souligné ce mardi le responsable d'excell, Alain Tranzer, à l'occasion d'un point presse sur le sujet.

« Il faut attirer, former et recruter, puis accélérer l'expérience et les compétences des nouveaux arrivants », a insisté cet ancien de PSA.

Centaine de soudeurs nord-américains

De fait, un grand nombre de métiers nécessaires à la relance du nucléaire et à l'entretien du parc existant se trouvent actuellement en tension, des soudeurs aux chaudronniers, en passant par les tuyauteurs, les électriciens, ou encore les ingénieurs de génie civil ou de conception. Le gigantesque plan Messmer de 1974, qui a donné un coup d'accélérateur en France dans le déploiement du nucléaire en France, semble bien loin : aucun nouveau réacteur n'a été mis en service depuis 1999. Une « rupture de charge » longue de plus de vingt ans qui a « beaucoup fragilisé la filière », a lui-même reconnu Emmanuel Macron lors de son fameux discours de Belfort, le 10 février dernier. Et participé à la faire perdre en compétences, notamment après l'accident japonais de Fukushima, en 2011.

La Cour des Comptes pointe ces détériorations dans ses analyses sur la construction du seul EPR en chantier en France, celui de Flamanville, dont la mise en service accumule plus de dix ans de retard. Car pour couler du béton, s'adapter aux nouvelles normes, souder ou encore trouver des fournisseurs, « les difficultés n'ont pas été économiques, mais également industrielles », note la juridiction financière.

« On a perdu du savoir-faire. Le chantier a été chaotique. Avant 2015, il n'était même pas encadré par un chef », expliquait il y a quelques mois à La Tribune Nicolas Golberg, spécialiste des questions énergétiques chez Colombus Consulting.

Enième signe que la France manque cruellement de bras, EDF s'appuie d'ailleurs en ce moment sur une centaine de soudeurs nord-américains pour réparer les réacteurs nucléaires français touchés par des défauts de corrosion.

Lire aussiEn manque de bras, EDF s'appuie sur une centaine de soudeurs nord-américains pour réparer les réacteurs nucléaires français

Connaître le type de postes à créer

Pour rectifier le tir, le Groupement des industriels français de l'énergie nucléaire (Gifen), qui représente la filière, vient de lancer un programme, nommé MATCH. Le but : « permettre de travailler sur l'adéquation entre la charge de projets à venir et les ressources de la filière », explique le vice-président du Gifen, Alain Gauvin. Concrètement, il s'agira d' « analyser les plus de 80 métiers » utiles au secteur, afin de connaître précisément le type de postes à créer sur la décennie. Toujours en préparation, le programme sera présenté « autour de mars 2023 », date à laquelle le Gifen devrait également communiquer sur le nombre exact de salariés qu'il faudra à filière d'ici à la fin de la décennie.

Néanmoins, le Gifen n'a pas attendu les annonces d'Emmanuel Macron sur la construction de 6 EPR pour se mettre en ordre de marche. Et a d'ores et déjà terminé l'étape préalable à MATCH, en dressant un état des lieux des compétences qui seront utiles au nouveau nucléaire, dans le cadre d'un Engagement de développement de l'emploi et des compétences (EDEC) décroché auprès de l'Etat. Electriciens industriels, chaudronniers, mécaniciens spécialistes des machines tournantes ou encore soudeurs : y est explicité « le nombre de personnes qualifiées pour chacun de ces emplois et où elles se situent géographiquement, tout en prenant en compte la notion d'âge et d'expérience pour faire de la prospective », expliquait il y a quelques mois à La Tribune sa déléguée générale, Cécile Arbouille.

Point d'entrée unique pour les formations et les offres d'emploi

Et pour faire en sorte que ces compétences montent en flèche, les initiatives pullulent. L'école Héfaïs, donc, située non loin de Penly (le site privilégié pour la construction du premier EPR2) mais aussi plus de 1.900 formations qui seront disponibles depuis juillet 2022 sur le site monavenirdanslenucléaire.fr. Lequel fera d'ailleurs office de point d'entrée unique pour les offres d'emploi dans le secteur dès la fin de l'année.

Afin d'encourager les nouveaux arrivants, l'Etat a d'ailleurs mis en place un dipositif de bourse d'étude dans le nucléaire, avec 200 étudiants bénéficiant de 600 euros par mois. Et en mars 2023, une semaine dédiée aux métiers de l'atome sera organisée avec Pôle Emploi. Autre atout mis en avant : la diversité des métiers, plus de 100 au total, et accessibles du CAP à Bac +6, selon le Gifen, qui insiste sur les bons niveaux de rémunération (plus de 2.500 euros mensuels pour un technicien Bac+2 en début de carrière) et l'importance de la formation en continu, trois fois plus importante que la moyenne observée dans les autres domaines.

Enfin, EDF et le Gifen espèrent convaincre le plus grand nombre en brandissant l'argument de la transition écologique, puisque le nucléaire émet très peu de CO2, mais aussi celui de la relocalisation des activités dans une France victime de sa désindustrialisation.

Lire aussiLa cellule interministérielle dédiée au nouveau nucléaire voit le jour

Marine Godelier

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Commentaires 8
à écrit le 29/11/2022 à 15:00
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le nucleaire essaye à grand frais de recycler les tiges de combustibles : stockage dans de l eau spéciale, transport en russie, retour en france etc etc etc : il faut opter pour la solution japonaise, désactiver les tiges.

à écrit le 16/11/2022 à 12:27
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J'ai passé une dizaine d'année dans la filière nucléaire. Une très bonne formation et une expérience terrain forte. Résultat pour ma reconversion que des propositions en cdi chez EDF CEA AVERA COGEMA et consors (filiales)... Que j'ai refusé vu les sa...

à écrit le 16/11/2022 à 9:38
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"La filière du nucléaire vise au moins 10.000 recrutements par an d'ici 2030". Il vont aller les chercher où??

le 16/11/2022 à 17:09
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Dans les écoles techniques, les sections de BTS, les centres de formation, les CAP/BEP de l'industrie etc.

à écrit le 15/11/2022 à 23:22
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Le pouvoir politique français de droite comme de gauche au pouvoir est responsable de. Étre situation. La situation tendue dans les compétences perdues et le manque d attrait financier pour les métiers n est pas propre à edf , la sncf et la ratp conn...

à écrit le 15/11/2022 à 20:11
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Mon fils diplomé d'une école spécialité nucléaire ( Mines Nantes) a été baladé avec des contrats interim payés comme une infirmiere pendant 3 ans. Aujourd'hui il s'est reconverti dans un autre domaine et s'en porte très bien. Il n'en demeure pas moin...

le 16/11/2022 à 10:37
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Mines de Nantes, pourtant une très bonne école. Hélas, en France, on favorise les insiders et leurs privilèges et le nucléaire est très (trop) politique

à écrit le 15/11/2022 à 19:23
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on a viré des soudeurs sur le site de saint marcel ou on fabrique les cuves sans se soucier de la suite maintenant il faut s y reprendre a trois fois pour réaliser ce que l on faisait du premier coup avant .qui a flinguer la filière sinon les grands...

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