
Des soudeurs américains et canadiens viennent à la rescousse du nucléaire français, qui manque de bras. EDF, qui est confronté à un important problème de corrosion sous contrainte depuis un an, s'appuie actuellement sur une centaine de soudeurs et tuyauteurs nord-américains employés par les entreprises Westinghouse et Framatome, qui toutes les deux ont des filiales outre-Atlantique. Ils « sont venus en renfort pour nous permettre de passer le pic », a expliqué Régis Clément, directeur adjoint de la direction production nucléaire d'EDF, lors d'un point presse ce mardi 8 décembre. « Tant qu'on a besoin de soudeurs, on mobilise des soudeurs », a-t-il ajouté.
Le besoin en soudeurs d'EDF ne se limite pas aux seuls problèmes de corrosion sous contrainte. Le groupe, dont la renationalisation est attendue pour la fin de l'année, a également des tuyauteries à fabriquer dans le cadre de la quatrième visite décennale de ses plus vieux réacteurs, qui ont passé le cap des 40 années d'activité. Ce qui représente une charge industrielle très importante.
Environ 600 personnes mobilisées pour réparer les circuits
Pour remédier au phénomène de corrosion sous contrainte, qui se traduit par des micro-fissures observées sur des circuits auxiliaires connectés directement au circuit qui entoure le réacteur, EDF fait donc appel à cinq entreprises : Framatome (filiale d'EDF), Endel (ex-filiale d'Engie revendue au groupe Altrad), les français Monteiro et Sigedi et l'américain Westinghouse.
« EDF a un rôle de prescripteur. Nous concevons et spécifions les besoins en réparation. L'industriel a ensuite la responsabilité de la réalisation des gestes », a précisé Régis Clément. Plus de 300 soudures neuves ont d'ores et déjà été réalisées. « Une soudure neuve est une soudure saine », assure le directeur adjoint. « Il y a très peu de soudures sur lesquelles on a eu des reprises à faire », précise-t-il.
Au total, en comptant le renfort nord-américain, quelque 600 personnes sont mobilisées sur ces questions de soudage et de tuyauterie. Outre les opérateurs qui réalisent ces très délicates manipulations, de nombreuses personnes s'attellent à l'ingénierie réglementaire, qui consiste à monter les dossiers réglementaires qui doivent être validés avant d'entamer la moindre opération.
Objectif : 46 réacteurs disponibles au 1er janvier
Grâce à cette mobilisation, EDF mise sur une disponibilité de 42 réacteurs au 1er décembre 2022 et de 46 réacteurs au 1er janvier 2023, contre 30 actuellement. « Les marges se sont réduites mais cela correspond à un scénario sur lequel RTE [le gestionnaire du réseau de transport d'électricité qui doit assurer en permanence un équilibre entre l'offre et la demande d'électricité, ndlr] nous attend », relève Régis Clément.
Un énième décalage ne ferait qu'accentuer les risques sur le système électrique français, très affaibli à l'approche d'un hiver tendu. En outre, chaque décalage d'arrêt de tranche se transforme en véritable casse-tête pour l'électricien. « Toucher un arrêt, c'est regarder le planning d'arrêts sur 10 ans. Tout est lié. Ce sont 350 arrêts de tranches qu'il faut scruter pour optimiser les arrêts des réacteurs entre eux », confie Régis Clément. Là encore, la question des ressources industrielles est déterminante.
Aujourd'hui, sur les 26 réacteurs nucléaires à l'arrêt, 15 le sont pour un problème de corrosion soupçonné ou avéré. Certains réacteurs ont, en effet, été mis à l'arrêt et ont subi des découpes de tuyauteries pour vérifier s'ils étaient concernés par ce phénomène, mais ne le sont pas. Il s'agit par exemple des réacteurs Tricastin 3 et Bugey 4, qui sont tous les deux des réacteurs d'une puissance de 900 MW.
16 réacteurs sensibles
Et pour cause, l'investigation menée pendant plusieurs mois par EDF a finalement démontré que les microfissures étaient le plus susceptibles d'apparaître sur les réacteurs les plus récents, dont le design, c'est-à-dire la géométrie de la tuyauterie, est un peu plus complexe. Les 32 réacteurs de 900 MW, les plus anciens du parc, ne sont donc pas concernés. Les huit réacteurs de 1.300 MW de première génération sont, eux aussi, épargnés.
En revanche, 16 réacteurs sensibles ou fortement sensibles ont été identifiés. Il s'agit des réacteurs du palier dit N4, (Chooz B1 et B2 et Civaux 1 et 2) ainsi que les 12 réacteurs de 1.300 MW les plus récents.
Sur ces 16 réacteurs particulièrement sensibles, dix sont actuellement en cours de traitement et devraient être de nouveau connectés au réseau d'ici le début 2023. En revanche, le contrôle des six réacteurs restants ne démarrera que l'année prochaine. Et « de ces contrôles peuvent émerger des besoin de réparation », prévient Régis Clément. Ces six réacteurs pourraient donc faire l'objet d'arrêt d'une durée moyenne de 24 semaines, soit 5 mois et demi environ.
Standardiser et automatiser
Grâce à l'expérience accumulée cet été, EDF entend désormais industrialiser les réparations. L'électricien mise notamment sur la standardisation et l'automatisation. « Ces chantiers doivent faire l'objet d'un maximum de recopies avec un schéma de réparation qui se reproduit de réacteur en réacteur, afin de réduire progressivement la durée des chantiers », indique le directeur adjoint. « L'automatisation est un deuxième facteur clé. Sur ces opérations, on est partiellement automatisés pour les moyens de soudage et on l'est peu sur les moyens de contrôle. Il faut davantage automatiser ».
Pour accélérer les procédures de contrôle, EDF mise notamment sur une technologie avancée d'ultrasons. Elle permet de localiser d'éventuels phénomènes de corrosion sans avoir à découper les tuyauteries. L'électricien fait valoir une performance unique dans le monde dans l'industrie nucléaire et affirme avoir reçu deux offres d'achats « de notre outil qui n'est pourtant pas à vendre ». Le groupe dispose aujourd'hui d'une vingtaine d'équipements de la sorte et forme une soixantaine d'intervenants à son utilisation. Pour que le potentiel de cette technologie soit pleinement exploité, elle doit franchir une dernière étape réglementaire qui est la qualification.
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