En manque de bras, EDF s'appuie sur une centaine de soudeurs nord-américains pour réparer les réacteurs nucléaires français

Pour remettre en état de marche au plus vite les réacteurs concernés par un phénomène de microfissures, EDF s'appuie sur cinq entreprises. Deux d'entre elles, Framatome et Westinghouse, ont fait appel à leurs équipes canadiennes et américaines. L'électricien vise 42 réacteurs disponibles au 1er décembre 2022, puis 46 au 1er janvier 2023, contre 30 actuellement. Encore six réacteurs devront faire l'objet de contrôles en 2023, ce qui pourrait déboucher sur des réparations supplémentaires. Pour accélérer, EDF mise sur la standardisation et l'automatisation.
Juliette Raynal
Des réparations sont actuellement en cours sur les réacteurs Chooz 1 et 2, affectés par un problème de corrosion sous contrainte.
Des réparations sont actuellement en cours sur les réacteurs Chooz 1 et 2, affectés par un problème de corrosion sous contrainte. (Crédits : MOSSOT, CC BY-SA 3.0)

Des soudeurs américains et canadiens viennent à la rescousse du nucléaire français, qui manque de bras. EDF, qui est confronté à un important problème de corrosion sous contrainte depuis un an, s'appuie actuellement sur une centaine de soudeurs et tuyauteurs nord-américains employés par les entreprises Westinghouse et Framatome, qui toutes les deux ont des filiales outre-Atlantique. Ils « sont venus en renfort pour nous permettre de passer le pic », a expliqué Régis Clément, directeur adjoint de la direction production nucléaire d'EDF, lors d'un point presse ce mardi 8 décembre. « Tant qu'on a besoin de soudeurs, on mobilise des soudeurs », a-t-il ajouté.

Le besoin en soudeurs d'EDF ne se limite pas aux seuls problèmes de corrosion sous contrainte. Le groupe, dont la renationalisation est attendue pour la fin de l'année, a également des tuyauteries à fabriquer dans le cadre de la quatrième visite décennale de ses plus vieux réacteurs, qui ont passé le cap des 40 années d'activité. Ce qui représente une charge industrielle très importante.

Environ 600 personnes mobilisées pour réparer les circuits

Pour remédier au phénomène de corrosion sous contrainte, qui se traduit par des micro-fissures observées sur des circuits auxiliaires connectés directement au circuit qui entoure le réacteur, EDF fait donc appel à cinq entreprises : Framatome (filiale d'EDF),  Endel (ex-filiale d'Engie revendue au groupe Altrad), les français Monteiro et Sigedi et l'américain Westinghouse.

« EDF a un rôle de prescripteur. Nous concevons et spécifions les besoins en réparation. L'industriel a ensuite la responsabilité de la réalisation des gestes », a précisé Régis Clément. Plus de 300 soudures neuves ont d'ores et déjà été réalisées. « Une soudure neuve est une soudure saine », assure le directeur adjoint. « Il y a très peu de soudures sur lesquelles on a eu des reprises à faire », précise-t-il.

Au total, en comptant le renfort nord-américain, quelque 600 personnes sont mobilisées sur ces questions de soudage et de tuyauterie. Outre les opérateurs qui réalisent ces très délicates manipulations, de nombreuses personnes s'attellent à l'ingénierie réglementaire, qui consiste à monter les dossiers réglementaires qui doivent être validés avant d'entamer la moindre opération.

Objectif : 46 réacteurs disponibles au 1er janvier

Grâce à cette mobilisation, EDF mise sur une disponibilité de 42 réacteurs au 1er décembre 2022 et de 46 réacteurs au 1er janvier 2023, contre 30 actuellement. « Les marges se sont réduites mais cela correspond à un scénario sur lequel RTE [le gestionnaire du réseau de transport d'électricité qui doit assurer en permanence un équilibre entre l'offre et la demande d'électricité, ndlr] nous attend », relève Régis Clément.

Un énième décalage ne ferait qu'accentuer les risques sur le système électrique français, très affaibli à l'approche d'un hiver tendu. En outre, chaque décalage d'arrêt de tranche se transforme en véritable casse-tête pour l'électricien. « Toucher un arrêt, c'est regarder le planning d'arrêts sur 10 ans. Tout est lié. Ce sont 350 arrêts de tranches qu'il faut scruter pour optimiser les arrêts des réacteurs entre eux », confie Régis Clément. Là encore, la question des ressources industrielles est déterminante.

Aujourd'hui, sur les 26 réacteurs nucléaires à l'arrêt, 15 le sont pour un problème de corrosion soupçonné ou avéré. Certains réacteurs ont, en effet, été mis à l'arrêt et ont subi des découpes de tuyauteries pour vérifier s'ils étaient concernés par ce phénomène, mais ne le sont pas. Il s'agit par exemple des réacteurs Tricastin 3 et Bugey 4, qui sont tous les deux des réacteurs d'une puissance de 900 MW.

Lire aussiLe gouvernement presse EDF d'optimiser ses capacités hydroélectriques et éoliennes

16 réacteurs sensibles

Et pour cause, l'investigation menée pendant plusieurs mois par EDF a finalement démontré que les microfissures étaient le plus susceptibles d'apparaître sur les réacteurs les plus récents, dont le design, c'est-à-dire la géométrie de la tuyauterie, est un peu plus complexe. Les 32 réacteurs de 900 MW, les plus anciens du parc, ne sont donc pas concernés. Les huit réacteurs de 1.300 MW de première génération sont, eux aussi, épargnés.

En revanche, 16 réacteurs sensibles ou fortement sensibles ont été identifiés. Il s'agit des réacteurs du palier dit N4, (Chooz B1 et B2 et Civaux 1 et 2) ainsi que les 12 réacteurs de 1.300 MW les plus récents.

Sur ces 16 réacteurs particulièrement sensibles, dix sont actuellement en cours de traitement et devraient être de nouveau connectés au réseau d'ici le début 2023. En revanche, le contrôle des six réacteurs restants ne démarrera que l'année prochaine. Et « de ces contrôles peuvent émerger des besoin de réparation », prévient Régis Clément. Ces six réacteurs pourraient donc faire l'objet d'arrêt d'une durée moyenne de 24 semaines, soit 5 mois et demi environ.

Standardiser et automatiser

Grâce à l'expérience accumulée cet été, EDF entend désormais industrialiser les réparations. L'électricien mise notamment sur la standardisation et l'automatisation. « Ces chantiers doivent faire l'objet d'un maximum de recopies avec un schéma de réparation qui se reproduit de réacteur en réacteur, afin de réduire progressivement la durée des chantiers », indique le directeur adjoint. « L'automatisation est un deuxième facteur clé. Sur ces opérations, on est partiellement automatisés pour les moyens de soudage et on l'est peu sur les moyens de contrôle. Il faut davantage automatiser ».

Pour accélérer les procédures de contrôle, EDF mise notamment sur une technologie avancée d'ultrasons. Elle permet de localiser d'éventuels phénomènes de corrosion sans avoir à découper les tuyauteries. L'électricien fait valoir une performance unique dans le monde dans l'industrie nucléaire et affirme avoir reçu deux offres d'achats « de notre outil qui n'est pourtant pas à vendre ». Le groupe dispose aujourd'hui d'une vingtaine d'équipements de la sorte et forme une soixantaine d'intervenants à son utilisation. Pour que le potentiel de cette technologie soit pleinement exploité, elle doit franchir une dernière étape réglementaire qui est la qualification.

Lire aussiNucléaire : tout savoir sur la fuite inédite qui touche le réacteur de Civaux 1 d'EDF

Juliette Raynal

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Commentaires 39
à écrit le 11/11/2022 à 8:17
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Parler de manque de bras ne permet pas de pointer le véritable problème. Ce n'est pas lié à un "manque de bras", c'est lié à une perte de compétence. La desindustrialisation massive de notre pays et le trou qu'il y a eu dans la réalisation de progra...

à écrit le 10/11/2022 à 18:40
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Bonjour , Avant ma retraite j'étais un excellent électromécanicien. Mais quand j'avais besoin d'une bonne soudure j'allais voir le soudeur, que veux tu, nous sommes excellents, mais eux sont des artistes, plus que des ouvriers, mieux payés que nous...

à écrit le 10/11/2022 à 13:03
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Je confirme le message de Labo. Ayant travaillé plusieurs années comme soudeur pour de l'équipement pour différentes centrales en France pour le compte de Framatome . Ce métier et très exigeant et complexe mais largement sous payé surtout par rapport...

à écrit le 09/11/2022 à 22:14
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Quelle honte, avec le nombre de chômeur qu'on a c'est logique d'aller chercher seulement 100 soudeurs à l'étranger, combien de chômeurs savent faire des soudures et qui pourraient éviter une telle dépense aussi absurde que mal gérée...

le 10/11/2022 à 8:31
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En considérant que n'importe qui peut faire les soudures nécessaires sur les tuyauteries des centrales, vous méprisez le métier de soudeur qui exige des formations et des qualifications pointues... C'est parce que beaucoup de français moyens pensent ...

le 10/11/2022 à 8:42
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On ne parle pas de simples soudures de bricolos, les soudeurs se qualifient pendant plusieurs mois pour exécuter un certain type de soudage, dans certaines positions...

le 10/11/2022 à 10:09
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Pas du tout, je ne dis pas que n'importe qui peut faire ces soudures, mais qu'avec plus de 10 millions de chômeurs il est impossible qu'on ne trouve pas 100 soudeurs qualifié chez nous pour les faire...

le 12/11/2022 à 23:53
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Ben justement aucun … l état avec ses politiques néolibérales depuis 15 ans a tue les compétences / centres de formation- maison comme à la sncf qui a le même problème de manque de surveillants travaux caténaires btp infras plus personne ne veux tr...

à écrit le 09/11/2022 à 12:45
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Merci à nos dirigeants qui n'ont de vue que leurs réélections et pour se faire ont adopté les visions erronées des écolos.... Et nous avons perdu les compétences tant humaines qu'industrielles.... Un désastre !

à écrit le 09/11/2022 à 12:37
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La France de McKron peut être fier de la dissolution française ! ;-)

à écrit le 09/11/2022 à 10:37
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A PoleEmploi il n'y a pas des centaines de soudeurs en attente de contrat (CDD) ? C'est mal organisé finalement... Au pire il faudrait payer plus pour faire venir ceux de St Nazaire à construire des bateaux mais ils manqueraient la bas. Un dilemme. M...

le 09/11/2022 à 11:39
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dans les annees 60 70 la france avait les meilleurs soudeurs au monde la destruction industriel a detruit le savoir et comme un ouvrier meme rtres qualifie meme ingenieur et considere en france par la classe politique et les media comme des moin...

le 09/11/2022 à 20:28
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"Comme chaudronnier, qui a envie de le devenir ne sachant pas trop ce que ça veut dire ?" Surement des chaudrons pour les sorcières

le 10/11/2022 à 9:37
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Ces commentaires me font rires des soudeurs aux chômages! Mon fils est cadres chez Framatom et justement inspecteur en soudure pour ces réparation ils aimeraient tellement avoir des soudeurs mais impossible de recruter personne Quand il a fait un ...

à écrit le 09/11/2022 à 9:18
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J'ai travaillé à la construction d'une centrale thermique classique, à fuel lourd. Les tuyauteurs soudeurs relevaient de la convention collective "construction mécanique" bien plus favorable que celle des travaux publics. Les salaires étaient intéres...

à écrit le 09/11/2022 à 9:02
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Pub sur le net : Recruter des travailleurs d’autres pays de l’Espace économique européen (EEE) permet aux entreprises de trouver des travailleurs motivés et qualifiés, notamment lorsqu’elles se heurtent à une pénurie de main-d’œuvre dans des secte...

à écrit le 09/11/2022 à 7:28
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Bonjour, Depuis 20 ans certains métiers sont dévalorisé ... Un ouvrier sa gagne le smic , et un soudeur tous juste plus.. Voila pourquoi l'ons ne trouvent plus se type de compétences... Bien sur ils ne faut pas le dire ..

à écrit le 09/11/2022 à 6:29
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J'ai travaille ds l'entreprise qui a étudié fabriqué et construit la totalité des reacteurs français. A l'epoque il y avait 600 soudeurs . Ds les pays emergeants on ne trouvait pas les competences...un soudeur de ce niveaux gagnait plus qu'un ingénie...

le 09/11/2022 à 8:37
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@jpa Les soudeurs qualifiés (les chaudronniers, les tuyateurs ) ont toujours été une denrée rare, malgré des salaires élevés.

à écrit le 09/11/2022 à 0:21
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Réduire ces techniciens hautement spécialisés et expérimentés à de "simples bras" dont "on manquerait" est inapproprié et grandement insultant. "Des bras," en France on en a plein. Des soudeurs expérimentés également. Les compétences requises ici ...

à écrit le 08/11/2022 à 23:19
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Ne gagner que le smic pour un soudeur accrédité en nucléaire me semble peu vraisemblable. Ces soudeurs sont qualifiés et doivent maintenir leurs qualifications par un processus formel. Par contre, ca relève la question d’où viendra le main d’oeuvre p...

à écrit le 08/11/2022 à 22:19
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Le CAP soudeur a été fermée par l' Éducation Nationale en 1988.

à écrit le 08/11/2022 à 21:50
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A force de cracher sur ces métiers en leurs demandant de travailler jour et nuit, les week end pour un smic pendant que d'autres dans un bureau, au chaud devant un ordinateur regardant internet à longueur de journée pour passer le temps s'ennuient et...

le 09/11/2022 à 8:50
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"Posons nous l'a question : Pourquoi ces gens là, ne sont jamais dans les médias pour s'exprimer" La France populaire, à la télévision, est invisible. C'est ce que l'on comprend en lisant le dernier rapport - le troisième en date - de L'Observatoi...

le 09/11/2022 à 11:39
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Bien vu AZERTY. +1.

à écrit le 08/11/2022 à 21:49
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On reconnaît un pays bien géré au fait qu'avec 4 millions de chômeurs, il a plus de 700.000 emplois non pourvus. Un RSA dégressif pour les fainéants en bonne santé, permettrait de ramener pas mal de gens vers le travail.

le 09/11/2022 à 0:23
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Hors sujet.

à écrit le 08/11/2022 à 21:27
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Ils pourraient pas nous finir vite fait l'EPR de Flamanville ? depuis le temps que la plaisanterie dure.

à écrit le 08/11/2022 à 20:53
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C'est pas eux qui payent. Je connais des soudeurs philippins qui connaissent leur métier pour 10 fois moins cher.

le 08/11/2022 à 21:22
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Il ne s'agit pas uniquement de connaitre le métier de soudeur mais d'avoir en plus les qualifications nécessaires pour intervenir sur des installations nucléaires ce qui ne doit pas être si courant , pour preuve les soudeurs américains viennent d'ent...

à écrit le 08/11/2022 à 20:51
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C'est pas eux qui payent. Je connais des soudeurs philippins qui connaissent leur métier pour 10 fois moins cher.

à écrit le 08/11/2022 à 19:13
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100 soudeurs amèricains sur 600 personnes qui travaillent sur ce chantier dans un moment de pic n'est rien d'anormal en soi. Mais si on lit bien : "Au total, en comptant le renfort nord-américain, quelque 600 personnes sont mobilisées sur ces questi...

le 10/11/2022 à 8:40
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"Parmi les personnes d'EDF on peut donc suspecter que la majorité s'attellent à l'ingénierie réglementaire." : Oui ! vous avez raison ! Et il suffit du caprice d'un ingénieur de l'ASN pour empêcher la centrale de redémarrer pour 3 mois ! Comment se f...

à écrit le 08/11/2022 à 18:50
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A quand la fermeture des centres AFPA?

à écrit le 08/11/2022 à 18:34
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Il y a peu, la France critiquait la Pologne pour avoir choisi l'américain Westinghouse plutôt que le français EDF pour construire ses premiers réacteurs nucléaires, alors que la Pologne touche de généreuses subventions européennes 🤣 Mais la France sa...

à écrit le 08/11/2022 à 18:32
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Le résultat de le honte de notre système d'éducation français qui donne un savoir théorique au lieu de donner un métier. Les jeunes rêvent de télétravail, d'influenceur ou de youtubeur, triste avenir !!!

le 08/11/2022 à 18:58
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il y a encore 1 an, le nucleaire c etait considere comme un cul de sac professionel. quel jeune allait investir la dedans ? Et si certains metiers sont en penurie, il faut aussi se demander pourquoi ! qui a envie que son fils soit condamne au smic a ...

le 09/11/2022 à 22:30
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Ce qui est plus marrant, les jeunes pensent à leurs retraites avoir même d'avoir commencé à travailler. Comme vous dites, triste avenir !!!!

le 10/11/2022 à 8:43
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Inutile de mettre en cause l'éducation Nationale....Ce sont les décisions politique qui ont torpillé le Nucléaire français et les compétences associées... Macron nous a bien expliqué qu un individu ne pouvait plus passer sa vie dans le me^me métier.....

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