Près de 110 heures de débats plus tard, l'heure du vote a sonné : l'Assemblée nationale vient d'adopter solennellement le projet de loi Climat et résilience dans l'après-midi - à 332 voix pour, 77 contre et 145 abstentions -, avant un passage au Sénat d'ici à la mi-juin, et un ultime retour devant les députés probablement à l'été. Fruit de trois semaines de discussions houleuses, le texte du gouvernement est, sous les mains des députés, passé de six titres et 69 articles à sept titres et 218 articles. Mais cette inflation ne rime pas avec une hausse des objectifs environnementaux, estiment certains d'entre eux.
Car malgré les avancées - « significatives » d'après le rapporteur, « à la marge » pour des membres de l'opposition -, les dispositions, qui touchent tous les aspects de la vie quotidienne, restent largement décriées par les écologistes, qui dénoncent des mesures « insuffisantes », « déconnectées » des propositions de la Convention citoyenne - qui les avait inspirées - et de l'urgence climatique. « L'exécutif et la majorité choisissent de ne pas suivre les préconisations des scientifiques, experts et ONG. Par des mesures de faible ampleur. Ils condamnent notre pays à faire du sur-place », a réagi la Fondation Nicolas Hulot dans un communiqué.
Dans l'hémicycle, Adrien Quatennens (LFI) a relayé l'action d'une dizaine de militantes d'Extinction Rebellion qui se sont enchaînées aujourd'hui aux grilles de l'Assemblée pour appeler les députés à voter contre le projet de loi Climat et résilience. Posté devant l'édifice, Cyril Dion, garant de la convention citoyenne pour le climat, a lui déploré les « actions trop mesurées » en matière écologique depuis « cinquante ans ».
Manque de considérations pour les députés
Pour modifier le texte, les amendements n'ont pourtant pas manqué : près de 5.000 avaient été déposés, à gauche comme à droite, lors de son examen. Mais une partie a été balayée, parfois jugée irrecevable d'office, poussant certains parlementaires à crier au « déni démocratique ». « Il y a eu un grand manque de considération de la part du gouvernement pour le débat lors des discussions à l'Assemblée », a ainsi regretté Morgane Créach, directrice du Réseau Action Climat (RAC), lors d'une conférence de presse organisée le 4 mai. Et Cécile Duflot, directrice générale d'Oxfam France, d'ajouter que « la marge de manœuvre aux parlementaires a été très faible ».
Ainsi, quand la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, a défendu à l'Assemblée un texte d' « écologie pratique » et de « bon sens », « véritable bascule culturelle globale », la directrice du RAC a elle fustigé des propositions « réduites à une peau de chagrin » et un « formidable gâchis ».
La question épineuse des vols intérieurs
Parmi les sujets qui ont particulièrement animé les débats figure la suppression de certaines lignes aériennes intérieures, qui continue de diviser bien qu'elle entérine des décisions déjà prises avec Air France. Alors que les 150 citoyens avaient préconisé une interdiction des lignes dès l'existence d'une alternative de 4 heures en train, l'article 36 voté par les députés s'accorde sur les trajets qui peuvent être parcourus en « moins de 2h30 » de train. Une disposition « anecdotique », selon le Haut conseil pour le climat : sa portée, en termes d'émissions de gaz à effet de serre, est très limitée par le fait que huit liaisons seraient concernées, pour 10% seulement du trafic de passagers aérien métropolitain, et 4% hors Dom-Tom et Corse.
« On attendait que la loi Climat s'empare de ce sujet, mais elle fait preuve d'un manque d'ambition et de vision assez criant [...] Elle aurait pourtant dû servir à préparer l'appareil productif de demain et anticiper les grandes mutations professionnelles dans les grands secteurs », a défendu Amandine Le Breton, directrice plaidoyer à la Fondation Nicolas Hulot.
Pas assez ambitieuse pour certains, la mesure va trop loin pour d'autres, qui s'inquiètent des conséquences sur un secteur déjà fragilisé par la pandémie. Ce mode est aujourd'hui « responsable de zéro émission à effet de serre parce qu'il n'y a plus de transport aérien », avait ainsi déclaré le MoDem Jean-Luc Lagleize, réclamant des mesures pour « sauver cette filière » plutôt que de lui imposer de nouvelles contraintes. Dans une tribune, l'Union des aéroports français avait elle dénoncé « l'illusion française de la décroissance imposée du transport aérien pour réduire les émissions de CO2 », qui n'aura « pour seul effet qu'obérer le développement économique des territoires sans aucun gain pour la lutte contre le changement climatique, puisque le développement du trafic se déportera par effet de ricochet hors de France ».
Pour la publicité, ne pas interdire mais responsabiliser
Autre point de tension : la régulation de la publicité pour les produits polluants. Alors que le projet de loi prévoyait initialement l'interdiction de la publicité pour les énergies fossiles seules (pétrole, charbon, gaz), « du pur affichage » selon le député Mathieu Orphelin (GE), les parlementaires ont musclé le texte, tout en restant en-deçà des propositions des 150.
L'interdiction des campagnes pour la « vente » des énergies fossiles a été étendue à la « commercialisation et la promotion ». Et les sanctions en cas de non-respect de cette mesure pourraient désormais atteindre un montant correspondant à la totalité des dépenses consacrées à l'opération délictueuses, au lieu de la moitié comme prévu initialement. Par ailleurs, les députés ont rendu obligatoire un affichage dans la publicité pour les voitures et l'électroménager de leur classe d'émissions de CO2 (de A à G).
Mais pour Pierre Cannet, responsable climat du WWF France, « on ne s'attaque toujours pas au nerf de la guerre, les produits polluants eux-mêmes ». La Convention citoyenne proposait, en effet d'aller plus loin, et d'interdire dès 2023 la publicité pour les produits les plus émetteurs de gaz à effet de serre, comme les SUV. « Avec le texte en l'état, alors qu'on a décidé de sortir d'ici à 2040 des moteurs thermiques, on continue d'en faire la promotion à grands renforts publicitaires », déplore Pierre Cannet. Des amendements (rejetés) de Jean-Charles Colas-Roy (PS) et de Camille Galliard Minier (LREM) avaient pourtant demandé à interdire la publicité des biens quelques années avant l'effectivité de leur fin de mise en service sur le marché, de manière à préparer le consommateur à l'arrêt de la commercialisation. « Nous ne voulons pas d'une société qui interdit, mais qui responsabilise », avait opposé dans l'hémicycle la rapporteuse du texte, Aurore Bergé.
Acceptabilité sociale
Une interdiction est pourtant prévue, dans un autre secteur : celle de la mise en location des logements les plus énergivores, alors que le bâtiment représente plus de 25% des émissions de gaz à effet de serre et 45% de la consommation énergétique en France. En la matière, les députés ont renforcé le texte du gouvernement, en élargissant l'interdiction de la mise en location des « passoires thermiques » (logements classés F et G en performance énergétique) en 2028, aux logements classés E en 2034. Ils ont aussi voté un « accompagnement individualisé » des ménages à chaque étape de la rénovation et une garantie partielle pour des prêts (« avance-mutation ») de familles modestes.
Des avancées « emblématiques de ce projet de loi », selon Aude Luquet (MoDem), un « constat de déception, voire de contrariété entre les objectifs et les moyens alloués », pour Jean-Baptiste Lebrun, directeur du réseau pour la transition énergétique (CLER). « Il n'y a aucune mesure structurante, seulement quelques propositions de dispositions qui avaient déjà commencé à être introduites dans la loi Energie climat de 2019 », fait-il valoir. Selon lui, sans véritable trajectoire ni d'obligation de rénovation énergétique, « on passe à côté du sujet ». Et cette politique ambitieuse devrait être « accompagnée de mesures fortes d'accompagnement », ajoute Arnaud Schwartz, président de France nature environnement (FNE).
« Un logement bien rénové équivaut à du confort en plus et des dépenses en moins pour les locataires. C'est un acte social, à condition qu'il soit ouvert à tous, sans reste à charge pour les prix modestes, et strict pour les propriétaires et bailleurs », affirme-t-il.
Car l'accompagnement social, loin de s'opposer à l'écologie, lui est indissociable, souligne-t-il. Un sujet pourtant « pris à l'envers » par le gouvernement, estime le président de FNE. Marqué par la crise des Gilets jaunes, née d'une taxe carbone sur les carburants, la majorité a en effet insisté sur la « ligne de crête » entre « ambition écologique » et « acceptabilité sociale » lors des discussions à l'Assemblée, au sujet du retour d'une éventuelle écotaxe pour les poids lourds. « Cette acceptabilité est un leitmotiv dans [leurs] bouches. Mais à cet égard, les mesures efficaces pour le climat ne doivent pas être vues comme des contraintes, mais comme des leviers vers plus d'égalité », conclut Arnaud Schwartz.
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