Les défis s'accumulent pour EDF. Alors que son parc nucléaire connaît une indisponibilité historique, avec 27 réacteurs à l'arrêt sur 56 au total, en raison notamment d'un phénomène de corrosion sous contrainte, l'électricien va devoir affronter un été chaud et sec, qui pourrait le contraindre à baisser son niveau de production, déjà très faible, avec une participation de seulement 58% au mix électrique ce mardi 5 juillet, contre 69% en moyenne sur l'année 2021.
"L'été va être marqué par des épisodes anticycloniques assez forts et longs. Nous sommes lucides sur le fait que l'été va être long. Nous serons très attentifs au mois de septembre car les étiages [abaissements exceptionnels du débit d'un cours d'eau] des fleuves peuvent être marqués en septembre", a reconnu Cécile Laugier, directrice prospective et environnement du parc nucléaire d'EDF, sans pour autant partager des estimations chiffrées sur les possibles baisses de production.
Des épisodes précoces
La pression pour EDF est d'autant plus forte que, cette année, plusieurs réacteurs ont dû baisser leur niveau de production dès le printemps. En mai dernier, le groupe a notamment été contraint de réduire de 100 mégawatts (MW) la puissance mobilisée de la centrale du Blayais (Nouvelle-Aquitaine). Puis, début juin, c'est la centrale nucléaire de Saint-Alban, en bord de Rhône, qui a dû adapter sa puissance pour maintenir la température des rejets thermiques dans le fleuve dans les limites de la réglementation. Des épisodes assez "précoces" a admis Cécile Laugier.
Si les centrales nucléaires sont sensibles à la météo, c'est parce que les réacteurs et les piscines d'entreposage du combustible usé doivent être refroidis en permanence. Pour ce faire, les installations prélèvent de l'eau dans un estuaire, la mer, ou un cours d'eau, et la rejettent plus chaude.
Baisser la production pour préserver la biodiversité
En cas d'épisode de canicule ou de sécheresse, les centrales peuvent alors être amenées à réduire leur production, voire même à la stopper. Non pas pour des problématiques de sûreté nucléaire, mais en raison des contraintes fixées sur la température et le débit dans chaque cours d'eau, qui jouxte les réacteurs, afin de préserver la biodiversité de ces milieux naturels.
Aujourd'hui, il existe deux familles de centrales nucléaires. Celles situées en bord de mer ou en bord de Rhône (26 réacteurs au total) ont un circuit ouvert. Une grosse quantité d'eau est alors prélevée, puis restituée en totalité au milieu naturel. La centrale de Tricastin (Drôme), qui est dans cette configuration, a ainsi une limite d'échauffement de 6 degrés. Cela signifie que la centrale ne doit pas apporter plus de 6 degrés en moyenne au Rhône et la température du fleuve, après rejet, ne doit pas dépasser 28 °C.
L'autre famille de centrales sont équipées d'un circuit de refroidissement fermé. L'eau circule alors plusieurs fois dans une tour aéroréfrigérante, dans laquelle s'effectue l'échange de chaleur. Le prélèvement d'eau dans la rivière est beaucoup moins important et le réchauffement apporté est fortement réduit. En revanche, seul 70% de la quantité d'eau est restitué. La centrale de Dampierre, située en bord de Loire, a ainsi une limite d'échauffement de 1 degré seulement.
18 réacteurs plus sensibles
Si EDF anticipe un risque de dépasser ces limites réglementaires, il est obligé de baisser sa production nucléaire afin de rester dans les clous. Pour les semaines à venir, six centrales, représentant 18 réacteurs, sont plus exposées à ces risques de baisses de production. Dans le Sud ouest, il s'agit de Golfech près d'Agen et du Blayais. Sur le Rhône, les centrales de Saint Alban, de Bugey et de Tricastin. Chooz, située dans les Ardennes près de la frontière Belge, est aussi concernée car un accord franco-allemand qui prévoit un arrêt des tranches lorsque la Meuse descend en dessous d'un certain débit.
Toutefois, un régime exceptionnel permettant à EDF de déroger à ces règles environnementales a été mis en place par les pouvoirs publics après la grande canicule de 2003. Cette année-là, EDF est obligé, en raison des limites thermiques, de réduire la puissance de plusieurs centrales en même temps, au détriment du bon fonctionnement du système électrique.
Un régime dérogatoire pour épargner le système électrique
Depuis cet épisode, en cas de conditions climatiques exceptionnelles, et si RTE (le gestionnaire du réseau électrique qui doit assurer en permanence l'équilibre entre l'offre et la demande d'électricité) requiert le fonctionnement d'une centrale en particulier, cette dernière peut opérer avec une température en aval plus élevée que la limite établie en temps normal. Pour la centrale de Saint-Alban, par exemple, cette limite est réhaussée à 29 degrés, contre 28 degrés habituellement.
Dans les faits, les pertes de production nucléaire liées à ces arrêts pour canicule ou sécheresse sont très faibles. D'après RTE, elles s'élèvent en moyenne à 1,4 térawattheure (TWh) par an, sur les 400 TWh environ générés chaque année par l'atome civil en France - même si ce chiffre plafonnera à près de 300 TWh seulement en 2022 à cause notamment du défaut de corrosion. Depuis 2000, les pertes de production pour cause de températures élevées des cours d'eau ont ainsi représenté 0,3% de la production nucléaire annuelle, selon EDF.
Sujets les + commentés