Bras de fer entre l'Etat et EDF sur les futurs prix de l’électricité

EDF et le gouvernement ne s’accordent pas sur le tarif de l’électricité auquel pourront avoir accès les industriels français, qui sont à la recherche de compétitivité et de visibilité. Alors que l’exécutif plaide pour fixer un prix le plus attractif possible malgré les impacts sur les finances de l’énergéticien, ce dernier s’oppose à un montant trop faible. Et entend bien faire valoir ses intérêts, malgré la prise de participation à 100% de l’Etat.
Marine Godelier
Bruno Le Maire et Luc Rémont, PDG d'EDF
Bruno Le Maire et Luc Rémont, PDG d'EDF (Crédits : Reuters)

C'est une question épineuse, source d'âpres tractations entre EDF et le gouvernement : combien l'électricité vendue par l'énergéticien tricolore, dont l'État vient de prendre ce jeudi 100% du capital, coûtera aux grands industriels français ? Alors que ces derniers ont besoin de visibilité et de compétitivité dans leurs achats d'énergie, une condition sine qua non à la réindustrialisation du pays, les deux parties peinent à tomber d'accord sur un montant.

Au point que les sous-entendus piquants se multiplient de part et d'autres : « EDF n'est pas nationalisé, il a un actionnaire à 100% ! », a ainsi lancé jeudi le PDG du groupe, Luc Rémont, en ouverture du colloque de l'Union française de l'électricité (UFE) - signe qu'il ne compte pas se laisser imposer n'importe quelle condition sans broncher. « C'est l'Etat français, avec de l'argent public, qui a financé tout le nucléaire », rétorque une source ministérielle - autrement dit, ses intérêts prévalent sur les finances de l'entreprise.

« Il y a une vision diamétralement opposée entre l'entreprise et l'Etat », confie un connaisseur du dossier.

Les grands industriels, eux, ne peuvent qu'attendre l'issue des négociations, et espérer un cadre qui leur sera favorable.

EDF craint de devoir vendre à un prix « non tenable »

Si le sujet divise autant, c'est parce qu'EDF redoute de devoir leur céder systématiquement sa production à prix cassés, dans le cadre de contrats de long terme noués avec des consortiums d'entreprises très consommatrices d'énergie. C'est en tout cas ce que propose le rapport que Philippe Darmayan, ex-président d'ArcelorMittal France, a récemment rendu au gouvernement.

Concrètement, il s'agit là de trouver un successeur au système actuel, appelé ARENH (accès régulé à l'électricité nucléaire historique), qualifié de « poison » par l'ancien PDG du groupe, Jean-Bernard Lévy, et qui arrive à échéance en 2025. Celui-ci oblige aujourd'hui l'énergéticien à vendre un certain volume de son productible à 42 euros par mégawattheure (MWh), un prix qui ne reflète plus ses coûts de production, et a largement contribué à sa dégradation financière.

Or, dans les recommandations de Philippe Darmayan, le prix privilégié pour les contrats à long terme serait proche de celui de l'ARENH, comme nous l'expliquions le 30 mai dernier. Un niveau inenvisageable pour EDF, qui estime que le montant devrait être significativement plus élevé. « Quand on est client, on cherche le prix le plus bas possible. Mais quand on est producteur, je ne dirais pas qu'on cherche le prix le plus haut possible, mais on a quelques contraintes pour assurer une soutenabilité durable de l'offre ! », s'est justifié jeudi Luc Rémont, affirmant que le tarif doit refléter les « opérations, la maintenance et la continuité d'exploitation ».

« Si on se mettait à fournir gratuitement de l'électricité à tout le monde, cela ferait sans doute des heureux mais ce ne serait pas durable ! A la fin, il n'y aurait plus d'électricité du tout », a-t-il ajouté.

Il faut dire que les dernières estimations de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) tablent sur un coût de production de l'ordre de 57 ou 58 euros le MWh pour le parc nucléaire existant d'EDF, soit dix euros de plus que dans son estimation réalisée il y a trois ans.

En clôturant le colloque de l'UFE, le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, a néanmoins voulu ménager EDF : le « juste prix » sera celui qui garantira « une compétitivité à l'industrie française face à la concurrence européenne et internationale », certes, mais tout en permettant de « financer, avec le soutien complémentaire de l'Etat, les investissements nécessaires pour notre système électrique », a-t-il assuré. Un numéro d'équilibriste.

Lire aussiPrix du nucléaire : EDF ne veut pas être sacrifié sur l'autel de la réindustrialisation de la France

Gré à gré ou consortium ?

Ce n'est pas tout : EDF se montre également frileux à l'idée de nouer lesdits partenariats avec des groupements d'entreprises, comme le consortium Exeltium né en 2008. A l'époque, une trentaine d'industriels électro-intensifs lui avaient versé quelque 1,75 milliard d'euros en échange de droits de tirage sur le parc nucléaire à un tarif préférentiel sur 25 ans.

Dans son rapport, Philippe Darmayan plaide ainsi pour que ce soit différents groupes homogènes d'industriels qui achètent en commun de l'électricité nucléaire via des contrats de long terme. Il préconise d'inclure dans ce dispositif des fonds d'infrastructures afin que ces derniers prennent en charge une partie de la garantie et du financement. Objectif affiché : permettre à toutes les entreprises, mêmes les moins vaillantes, de bénéficier de ce type d'outil.

Mais EDF craint que cela se fasse à ses dépens. Et préfèrerait servir les « industriels de taille significative un par un », officiellement pour leur « faire des propositions adaptées à leur profil de consommation » et « trouver des réponses plus flexibles », a défendu jeudi Luc Rémont. « EDF a un pouvoir de marché tel qu'il ferait ce qu'il veut, ce n'est pas raisonnable ! », rétorque Frank Roubanovitch, président de l'association de grands consommateurs industriels et tertiaires français d'électricité et de gaz CLEEE.« Leur but est surtout d'éviter de faire face à des blocs qui pourraient peser face à eux », abonde-t-on à l'Uniden, qui représente les entreprises grandes consommatrices d'énergie.

« C'est pour ça qu'on milite pour que les industriels puissent participer au financement du Grand Carénage [le vaste programme de renforcement des centrales nucléaires, visant à allonger leur durée d'exploitation possible, ndlr], par exemple. EDF a besoin de ces financements. En échange, sur des formules pouvant se rapprocher d'Exeltium, on aurait accès à des volumes d'électricité sur une période donnée, avec de la visibilité sur le prix et la compétitivité », poursuit un porte-parole.

Lire aussiLes entreprises énergo-intensives prêtes à financer une tranche du futur nucléaire en échange d'une capacité d'électricité réservée (Nicolas de Warren, Uniden)

Cadre européen

Avant toute chose cependant, la France devra obtenir l'aval des autres Etats membres, au Conseil européen du 19 juin, sur la première mouture de la réforme du marché de l'électricité proposée par la Commission européenne.

Et pour cause, c'est ce texte, présenté en mars par l'institution bruxelloise, qui ouvrira la porte à la généralisation de contrats à long terme pour réguler le nucléaire. « Celui-ci doit se stabiliser avant l'été, pour pouvoir être formellement voté en septembre », souligne Frank Roubanovitch à La Tribune. Une fois cette étape cruciale validée, et le bras de fer terminé, les modalités précises devraient être connues.

Marine Godelier

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Commentaires 11
à écrit le 09/06/2023 à 7:55
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Ce qui a été le problème depuis des décennies, -l’interventionnisme forcené des politiques dans la production d’électricité-, ne peut certainement pas être la solution. La présence de minoritaires privés permettait de remettre un peu de sagesse dans ...

à écrit le 09/06/2023 à 7:40
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Il est cocasse de voir nos industriels lorgner sur l'électricité de nos centrales nucléaires. Si on résume, les gueux vont devoir payer un bras pour une électricité à base de renouvelables, et les industriels vont préempter la production de notre par...

à écrit le 09/06/2023 à 2:45
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Un enarque ne comprend rien a l'economie. A part faire des reglement ces gens ne servent et ne produisent rien. Le PDG d'EDF est dans son droit. Le prix est excessif a cause des taxes enarquiennes.

à écrit le 08/06/2023 à 21:32
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EDF a été nationalisé après sa faillite annoncée suite au relèvement des volumes soumis à l'arenh et la catastrophe de l'hiver 22-23 durant lequel les réacteurs ont stoppé pour refaire les soudures sensibles à la "corrosion sous contrainte". Ces so...

le 09/06/2023 à 10:54
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Les fissurations sous contraintes des aciers INOX sont bien documentés et il était nécessaire de les reprendre. Cependant certains gros systèmes nécessitent un soutien industriel qui nous fait défaut en particulier les soudeurs experts. La limitation...

à écrit le 08/06/2023 à 21:02
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Pour un prix de revient EDF a 50 -60 euros on nous le facture 300 € c’est inadmissible, on peut faire autrement BRUNO LE MAIRE doit prendre ses responsabilités et sortir du marché européen

à écrit le 08/06/2023 à 20:45
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Lorsqu'on fait le choix d'un ingénieur pour diriger une entreprise, ce n'est pas pour lui faire cirer les chaussures d'un ministre. En tant qu'actionnaire, comme nous tous, d'EDF, j'attends avec confiance la solution du PDG à l'équation du tout élect...

à écrit le 08/06/2023 à 20:03
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Ils n'ont rien à décider, il n'y a pas si longtemps on nous expliquait que le prix se faisait suivant l'offre et la demande dans une bourse de l'énergie ou l'électricité était indexé au gaz..

le 10/06/2023 à 0:30
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EDF doit vendre son électricité sur le marché européen, et il n'y a aucune raison pour que le prix du marché soit plus défavorable aux entreprises qu'aux particuliers. Si le marché est bon pour l'un, il est nécessairement bon pour l'autre... On ne pe...

à écrit le 08/06/2023 à 19:50
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Je crois qu il ne faut pas se fier à Macron parcequ il retourne sa veste du côté où il pleut et comme en ce moment il fait beau le matin et il pleut le soir bien malin celui qui saura ce qu il décidera demain

à écrit le 08/06/2023 à 19:35
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Que ne ferons nous pas, pour maintenir à flot une concurrence artificielle digne d'un dogme européiste ? ;-)

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