Pourquoi les factures de gaz augmentent...alors que les prix chutent

Alors que les prix du gaz dégringolent depuis trois semaines sur les bourses d’échange européennes, les factures des consommateurs français, elles, augmentent. Et pour cause, depuis plus d’un an, les prix payés par les clients résidentiels n’ont plus grand-chose à voir avec l’état réel du marché. Et cela ne devrait pas changer de sitôt, même en cas d'accalmie prolongée. Explications.
Marine Godelier
(Crédits : Pixabay.com - TBIT)

C'est, à première vue, un paradoxe surprenant : alors même que les prix du gaz chutent depuis trois semaines sur les bourses d'échange européennes, jusqu'à atteindre des niveaux plus bas qu'avant la guerre en Ukraine, le prix réellement payé par les consommateurs, lui, monte en flèche. En effet, 2023 commence sur une note amère pour les particuliers se chauffant au gaz, jusqu'ici protégés des effets de la crise de l'énergie. Car dès janvier, la facture des ménages français ayant souscrit au tarif réglementé de vente (TRV), c'est-à-dire l'offre d'Engie encadrée par les pouvoirs publics, augmentera de 15% par rapport au 31 octobre 2021 - soit 130 euros de plus environ par tête et par an. Une revalorisation qui promet d'entraîner tous les autres contrats à la hausse, chez Engie comme ailleurs.

Et pourtant, dans le même temps, le prix du gaz sur le Title Transfer Facility (TTF), la bourse de référence sur le Vieux continent, continue de baisser. Ainsi, le mégawattheure (MWh) de gaz se vendait ce mercredi à moins de 65 euros pour le lendemain, soit un montant bien inférieur à ceux enregistrés ces derniers mois, notamment en août, lorsque le MWh avait culminé à près de 300 euros après l'annonce d'une réduction des livraisons par Moscou. Surtout, les cours ont également dégringolé sur les marchés à terme (où les prix sont établis pour une livraison dans le futur, de 3 mois à 5 ans plus tard) : les contrats pour le quatrième trimestre de 2023 se négociaient mercredi autour de 80 euros le MWh, contre environ 150 euros ces derniers mois. Comment se fait-il alors que les prix réellement payés par les clients résidentiels suivent le chemin inverse ?

Lire aussiElectricité et gaz : les dessous de la spectaculaire chute des prix de l'énergie en Europe

Le miroir déformant du bouclier tarifaire

Pour le comprendre, il faut d'abord distinguer le marché de gros du gaz, où les prix baissent depuis trois semaines, et celui de détail, qui se reflète sur les factures des clients particuliers. En schématisant, le premier pourrait s'apparenter à Rungis, cet immense marché alimentaire où les professionnels s'approvisionnent en produits frais, tandis que le second se rapprocherait plutôt du supermarché.

Ainsi, le marché de gros du gaz correspond au segment où les fournisseurs d'énergie et certains grands consommateurs industriels achètent et vendent cet hydrocarbure en grandes quantités pour le revendre. Le marché de détail, lui, regroupe les consommateurs finaux, tels que les particuliers ou les petites entreprises. Or, si le premier influence évidemment le second, les prix du MWh peuvent être très différents selon le marché concerné. Notamment en ce moment, puisque les montants payés par les particuliers via le marché de détail ne suivent plus du tout les cours réels du marché de gros. Et ce, pour une raison simple : depuis plus d'un an, le bouclier tarifaire déployé par l'Etat afin de protéger les consommateurs déforme la réalité, en rendant le gaz bien moins cher que ce qu'il ne vaut réellement.

« Sans cette aide, le tarif réglementé du gaz aurait augmenté de 122% au 1er décembre ! Dans les faits, celui-ci a été gelé dès octobre 2021. Il a ensuite été décidé de permettre sa hausse dès 2023, mais de la plafonner à 15%, donc très loin des +120% », explique à La Tribune Xavier Pinon, courtier en énergie.

Autrement dit, les prix effectivement payés par les clients résidentiels n'ont plus rien à voir, ou presque, avec la réalité des marchés. Et cela ne concerne pas que les clients au TRVgaz, qui représentent environ 25% des consommateurs particuliers de gaz. Car le TRV sert en réalité de référence, ou de balise, à la plupart des fournisseurs alternatifs (autres qu'Engie), qui s'y indexent (pour ne pas perdre des clients). Ceux-ci reçoivent d'ailleurs des compensations financières de l'Etat pour s'y ajuster malgré la crise, éloignant un peu plus les mensualités des ménages de la volatilité extrême sur les marchés, afin de les protéger.

Un rattrapage à venir

Ce n'est pas tout : dès le début, l'exécutif a prévenu que ce bouclier tarifaire ne s'apparentait pas à une subvention, et qu'un « rattrapage » aurait lieu. Et pour cause, afin de permettre ce tour de passe-passe, les contribuables sont forcément appelés à la rescousse. « Dans un premier temps, c'est lui qui paie plutôt que le consommateur. C'est le choix qui a été fait en France. Mais cela représente un montant stratosphérique pour les finances publiques, qu'il faudra bien rembourser, au moins en partie », explique Jacques Percebois, économiste spécialiste de l'énergie.

Par conséquent, même si les prix du gaz sur le marché de gros chutent, les clients résidentiels devront, de toute façon, payer plus cher que prévu après la crise afin de compenser les aides en vigueur depuis plus d'un an. Dans les faits, il faudrait même que les cours dégringolent bien plus qu'actuellement pour pouvoir parler de « rattrapage » : « A 60 ou 70 euros du MWh, on reste à des niveaux bien plus élevés que ce qui était considéré comme normal avant la crise, c'est-à-dire 20 à 25 euros », souligne Jacques Percebois. En d'autres termes, le marché reste très agité, et les particuliers continuent donc de bénéficier du bouclier tarifaire malgré l'accalmie, ce qui renchérit un peu plus le montant total qu'ils devront ensuite rattraper via leurs factures.

« Si l'on repartait sur des prix à 30 euros le MWh, peut-être que le gouvernement commencerait à parler de rattrapage. Par exemple, il maintiendrait à +15% le TRV, ou déciderait d'une nouvelle hausse afin de commencer un remboursement », conjecture Xavier Pinon.

Inutile, donc, d'espérer voir ses mensualités baisser de sitôt. Et ce, même en cas de retournement total du marché, par ailleurs peu probable tant les conditions d'approvisionnement restent fragiles en Europe. D'autant qu'il est prévu, en vertu d'une loi votée en 2019 afin de se plier aux exigences de libre concurrence de Bruxelles, que le tarif réglementé de vente du gaz pour les particuliers disparaisse d'ici à juillet 2023. Une échéance qui promet de rendre la situation encore plus illisible.

Marine Godelier

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 11
à écrit le 06/01/2023 à 13:39
Signaler
"Pourquoi les factures de gaz augmentent...alors que les prix chutent" avant y avait l'inverse : "Pourquoi les factures de gaz ne bougent pas...alors que les prix augmentent" (voir le cas en GB, ou chez les industriels (verreries, etc)).

à écrit le 05/01/2023 à 19:03
Signaler
Bonjour, Le pétrole arrive tout doucement en fin de course... Donc nous devons passé à autre chose.. La PAC consomme de l'électricité, donc finis la dépendance au pays producteur de pétrole... Ensuite, l'électricité ne restera pas chère indéfinim...

à écrit le 05/01/2023 à 18:42
Signaler
"un paradoxe surprenant" Normalement cela suffit pour la majorité des veaux. L'Europe c'est l'anti chambre de Washington, un constat, que le plus personnes ne contestent. La région France c'est : En haut, la France des lapins crétins aisés. En bas, ...

à écrit le 05/01/2023 à 13:43
Signaler
Parce que l' ensemble est voulu par Schwab du forum de Davos et sa pépinière de Young Leaders dont Macron, Trudeau et les autres qui suivent, ici contre l' avis des français, un modèle qui permet l' assassinat économique (av...

à écrit le 05/01/2023 à 12:15
Signaler
Il y a des solutions: regroupement des consommateurs en association achetant en gros, sobriété énergétique - donc conso…

à écrit le 05/01/2023 à 9:35
Signaler
en fait c'est marrant! quand les prix baissent, les gens veulent des prix spots! mais pas quand ca monte, ou la ils preferent des prix lisses ( plus bas donc)......comme la participation en entreprise! quand y a du bon benefice, le salarie ' reclame ...

à écrit le 05/01/2023 à 9:09
Signaler
C'est comme Pour le carburant pour monter cela prend 2 jours pour descendre cela prend 1mois Ce qui est étonnant,c'est notre ministre des finances ne veut pas sortir les énergies de la CE . Tu m étonne il a fait partie de ceux qui ont prôné la con...

le 06/01/2023 à 14:06
Signaler
Pas faux. Mais cela résulte des choix européens que les français ont acté. Il y a des eurpéennes dans peu de temps. Par ailleurs, entre la concurrence, et le monopole étatique, donc la gabegie, au bénéfice principal des syndicats... quel est le bon c...

à écrit le 05/01/2023 à 8:56
Signaler
Il y aura toujours de bonnes explications pour gruger le consommateur...c'est comme pour les carburants où la hausse est toujours répercutée plus vite que la baisse. Quoiqu'on en dise.

à écrit le 05/01/2023 à 7:34
Signaler
Le choix est simple face à la sortie future des énergies fossiles : abandonner les chaudières à gaz (et à fuel évidemment) et passer aux pompes à chaleur. En gros une PAC (20 000 € installée chez moi il y a quelques semaines) permet d'économiser sur...

le 05/01/2023 à 9:24
Signaler
Y a pas des régions où la PAC seule ne suffit pas ? Il ne faut pas ajouter un ballon d'eau chaude ? Ou parfois des radiateurs ? Ça semble intéressant pour ceux ayant une chaudière au fuel, fini le pétrole (prix variable, CO2, particules), cuve enlev...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.