Recycler les huiles usagées en circuits courts, le pari d'Oléo-Déclic

Créée à Marseille en 2011, la startup collecte les huiles de friture de 200 restaurateurs. A la recherche de nouvelles formes de recyclage propre, elle les transforme aujourd'hui en bio-combustibles pour chaudières, demain peut-être en produits détergents.
Giulietta Gamberini
Aujourd'hui ces huiles, essentiellement utilisées pour la production de biocarburants, parcourent souvent de longues distances avant d'atteindre les bio-raffineries où, mélangées à d'autres huiles végétales vierges, elles sont transformées chimiquement en biodiesel.
Aujourd'hui ces huiles, essentiellement utilisées pour la production de biocarburants, parcourent souvent de longues distances avant d'atteindre les bio-raffineries où, mélangées à d'autres huiles végétales vierges, elles sont transformées chimiquement en biodiesel. (Crédits : DR)

Dispersées dans la nature, elles perturbent les écosystèmes. Jetées dans les égouts ou dans la poubelle, elles compromettent le bon fonctionnement des stations d'épuration, des décharges et des incinérateurs. Les huiles de fritures usagées, utilisées en grande quantité par les restaurateurs, sont aujourd'hui soumises en France à une obligation de tri: à partir d'une consommation de 60 litres par an, elles doivent être confiées à des professionnels, qui prendront en charge leur collecte et leur tri. Toutefois, la filière est aujourd'hui loin d'être exemplaire du point de vue environnemental. Non seulement des quelque 110.000 tonnes consommées annuellement en France, moins de 50% étaient collectés en 2016. Surtout ces huiles, aujourd'hui essentiellement utilisées pour la production de biocarburants, parcourent souvent de longues distances avant d'atteindre les bio-raffineries où, mélangées à d'autres huiles végétales vierges dont l'huile de palme (au grand dam des écologistes qui dénoncent un détournement des ressources agricoles voire une déforestation sauvage), elles sont transformées chimiquement en biodiesel.

Afin de réduire la consommation énergétique, le bilan carbone ainsi que la pollution liée à ce système de recyclage, une entreprise associative marseillaise, Oléo-Déclic, est convaincue que la solution ne peut consister que dans les circuits courts. Elle développe depuis 2013 une collecte hebdomadaire alternative à celle menée par les gros recycleurs: notamment Veolia, aujourd'hui plus gros collecteur de France des huiles usagées, dont l'entreprise transforme 20.000 tonnes annuelles en biocarburant dans son entreprise de Limay; et Suez, qui en 2016 a souscrit un partenariat avec Total afin de lui fournir d'ici à dix ans 20.000 tonnes d'huiles pour sa nouvelle bioraffinerie de la Mède -à une quarantaine de kilomètres de Marseille justement.

Moins d'émissions de CO2

"Une fois collectées nos huiles usagées [surtout du colza et du tournesol, NDLR ] sont traitées localement via un procédé de valorisation que nous avons nous-mêmes développé, basé sur la décantation et la filtration. Son bilan énergétique est neutre et il est sobre en intrants chimiques", explique Alain Vigier, fondateur d'Oléo-Déclic en 2011.

Encore interdit dans le réservoir des voitures, le produit issu peut être utilisé pour alimenter des chaudières équipées de brûleurs spécifiques, "avec une efficacité énergétique bien supérieure à celle des moteurs thermique". C'est le lobbying mené entre 2014 et 2016 par Oléo-Déclic qui a d'ailleurs été à l'origine de la modification législative nécessaire pour autoriser cette utilisation des huiles de friture, explique Alain Vigier. Selon l'analyse du cycle de vie commandée à un cabinet spécialisé, grâce à la dimension locale de la collecte et au procédé mis en place, l'utilisation de ce bio-combustible implique une réduction des émissions de CO2 de 96% par rapport au fioul et de 62% par rapport à l'ester, précise Alain Vigier. Limiter le traitement des huiles usagées à 400 tonnes par unité locale permettrait en outre la création de quelque 600 emplois en France, affirme-t-il, citant une étude menée par la dizaine de structures analogues à Oléo-Déclic qui existent dans l'Hexagone. Or, l'usine d'agrocarburant de Total à la Mède a été conçue pour utiliser à elle seule 650.000 tonnes d'huiles, dont 100.000 usagées.

Une filière encore immature

En cinq ans ans, Oléo-Déclic a réussi à convaincre 200 professionnels.

"Les restaurateurs marseillais qui font confiance à une petite structure locale comme la nôtre profitent d'une plus grande souplesse par rapport aux quantités minimales collectées et aux échéances fixées par les grands groupes", observe Alain Vigier, qui ajoute: "La chute des prix du pétrole, qui a rendu la production de bio-carburants moins rentable, a d'ailleurs provoqué une baisse de l'offre de collecte".

Le modèle économique n'est toutefois pas encore rentable, admet le fondateur d'Oléo-Déclic, qui aujourd'hui tient debout surtout grâce à des subventions. Premier problème: les recycleurs, qui profitent de dispositifs fiscaux avantageux et visent la collecte de gros volumes, proposent aujourd'hui leur service gratuitement. Oléo-Déclic ne peut donc pas faire autrement.

Deuxième obstacle: l'absence d'exutoires suffisants. "L'utilisation du bio-carburant dans les chaudières est encore taxée à la hauteur de la matière fossile remplacée", ce qui ne le rend pas vraiment compétitif, observe Alain Vigier. Oléo-Déclic explore à présent l'utilisation de son bio-combustible pour alimenter des générateurs de vapeur pour usage professionnels et des groupes électrogènes, ainsi que la possibilité d'une valorisation matière, pour la production de détergents voire de peintures... Pour l'instant, néanmoins, des 55 tonnes d'huiles collectées annuellement par l'entreprise, elle n'en valorise qu'un tiers: l'immaturité de la filière l'oblige à envoyer le reste en Espagne, où il est transformé en biodiesel, regrette Alain Vigier.

De possibles synergies

Approché par de grosses grosses entreprises telles que Total et Suez, qui voudraient profiter de l'activité de collecte d'Oléo-Déclic, Alain Vigier se dit toutefois sceptique: "Ce qui m'intéresse c'est surtout l'impact sur la filière", explique-t-il. L'entreprise, qui compte trois salariés, a d'ailleurs développé une activité d'étude des gisements présents sur les divers territoires et des scénarios envisageables de collecte et recyclage. Elle réfléchit aujourd'hui à de possibles synergies afin d'élargir sa collecte aux déchets verts, aux marres de café etc. La collecte des huiles ménagères est aussi envisagée, notamment en vue des restrictions proposées par le Parlement européen concernant l'utilisation des huiles végétales et notamment de palme dans les transports.

"Mais pour cela, nous aurions besoin d'être mandatés par les collectivités locales qui seraient prêtes à mettre en place des points d'apport volontaire", suggère Alain Vigier.

Giulietta Gamberini

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Commentaire 1
à écrit le 17/01/2018 à 11:35
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Puis-je vous inviter à partager un café sur la place Saint Marre à Venise... Pauvre orthographe si maltraitée.

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