Une année de transition pour l'industrie circulaire

Malgré une hausse de son chiffre d'affaires en 2017, le secteur du recyclage reste confronté à plusieurs problèmes structurels, notamment le manque de débouchés de certaines matières premières recyclées. Des difficultés que les acteurs de la filière voudraient voir mieux prises en compte dans la future loi sur l'économie circulaire.
Giulietta Gamberini
Les filières françaises de recyclage du plastique, déjà fragilisées par les fluctuations des tarifs du pétrole, ont été touchées par les nouvelles normes en Chine.
Les filières françaises de recyclage du plastique, déjà fragilisées par les fluctuations des tarifs du pétrole, ont été touchées par les nouvelles normes en Chine. (Crédits : iStock)

En octobre, pour la première fois depuis 2014, le secteur avait pourtant affiché un certain optimisme. Les chiffres publiés par la Fédération professionnelle des entreprises du recyclage (Federec) montraient en effet une embellie en 2017 : notamment une croissance du chiffre d'affaires de 5,7%, alors qu'il baissait encore de 1,8% en 2016. Essentiellement due à la reprise de l'activité économique française, cette amélioration a pris d'ailleurs en 2017 la forme d'une augmentation des effectifs du secteur de 6%, et des investissements (consacrés avant tout au renouvellement des machines et à l'agrandissement des locaux) de 12%.

Pourtant, un peu plus d'un mois plus tard, à l'occasion du salon des services de l'environnement Pollutec qui s'est tenu fin novembre à Lyon, les professionnels représentés par Federec ainsi que par la Fédération nationale des activités de la dépollution et de l'environnement (Fnade) ont lancé de nouveau un cri d'alarme concernant « l'équilibre économique de la filière du recyclage ».

Le principal des problèmes structurels du secteur, à savoir le manque de débouchés de certaines matières premières recyclées, persiste : « Le marché n'est pas encore assez fluide, installé financièrement et industriellement », résume le président de la Fnade, Philippe Maillard. Cette fragilité a même été aggravée par des politiques commerciales étrangères, et n'est pas suffisamment prise en compte dans les décisions des autorités françaises, déplorent les industriels.

La Chine et Trump changent la donne

Pendant toute l'année 2018, les filières françaises du recyclage des cartons et papiers ainsi que du plastique - cette dernière étant déjà très exposée à la fluctuation des tarifs du pétrole, qui influencent les prix du plastique vierge - ont notamment été bouleversées par la décision de la Chine de renforcer les standards de qualité appliqués aux matières recyclées importées, qui a causé une chute des cours internationaux et une saturation du marché européen.

Les exportations des métaux ferreux et non ferreux ont, quant à elles, été pénalisées par les mesures protectionnistes adoptées par Donald Trump, comme les taxes à l'import sur l'acier et l'aluminium, et la guerre commerciale avec Pékin qui en a découlé. Et ce genre de perturbations semble destiné à perdurer, puisqu'en novembre la Chine a encore allongé la liste des matières bannies de son territoire dès 2019...

« De moins en moins de matières pourront être exportées là-bas : il s'agit d'un mouvement de fond qu'il faut intégrer à moyen terme », analyse Philippe Maillard.

Le nouvel accent mis par la France sur le recyclage depuis l'élection d'Emmanuel Macron, bien que perçu comme une opportunité, préoccupe aussi. Les industriels reprochent entre autres au gouvernement français d'être trop focalisé sur l'objectif - déjà fixé par la loi de transition énergétique de 2015 - de diviser par deux la quantité des déchets mis en décharge entre 2010 et 2015.

Le principal instrument prévu pour l'atteindre est en effet une augmentation progressive entre 2021 et 2025 de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) relative aux déchets. La loi de finances pour 2019, adoptée le 20 décembre 2018, consacre cette trajectoire, en réduisant en parallèle le taux de TVA sur certaines prestations de gestion des déchets (collecte séparée, tri et valorisation matière), afin de garantir un coût du recyclage de plus en plus compétitif par rapport à celui du stockage et de l'incinération.

Une approche "à l'envers"

Or, si d'une manière générale les recycleurs se disent favorables à une augmentation des pénalités pour le stockage, ils regrettent « qu'on travaille à l'envers ».

« La diminution des déchets enfouis devrait plutôt être la conséquence du développement d'atouts industriels » , note Philippe Maillard.

« Pour améliorer le tri et le recyclage, il faut de nouveaux équipements, qui demandent du temps et de l'argent », souligne Erwan Le Meur, directeur général adjoint du groupe Paprec et président de Federec BTP.

Philippe Maillard estime notamment à 4,5 milliards les investissements nécessaires pour atteindre les objectifs de la loi de transition énergétique, et à plusieurs années le temps nécessaire pour l'installation d'une nouvelle usine : dans les deux cas, des énergies difficiles à mobiliser par une industrie qui « souffre déjà ».

Malgré ses « objectifs volontaristes », la feuille de route sur l'économie circulaire adoptée en avril, qui devrait aboutir à l'adoption d'une loi dans la première moitié de 2019, « passe aussi sous silence ce volet industriel ». Annoncées par le gouvernement durant l'été 2018, des mesures comme la simple incitation des plasturgistes à intégrer - sans qu'ils y soient contraints - davantage de matière recyclée, voire l'adoption d'un bonus-malus favorisant les produits recyclables, sont certes des premiers pas dans la direction d'un renforcement du marché en aval, mais ne sont pas encore à la hauteur de l'enjeu, conviennent les acteurs du secteur.

Et l'ensemble des instruments visant à faire baisser la production de déchets - notamment l'institution par les collectivités territoriales d'une taxe d'enlèvement des ordures ménagères calculée sur la production réelle de déchets ultimes, favorisée par la loi de finances, ainsi que la responsabilisation progressive des metteurs sur le marché de nouveaux produits non recyclables, envisagée par la feuille de route - ne devrait pas permettre d'éviter plus d'un million de tonnes de déchets, calcule Philippe Maillard.

Des mesures critiquées par les acteurs

Parfois, la pénalisation du stockage prend même déjà des formes trop abruptes, qui, selon Erwan Le Meur, traduisent « un manque de pilotage au niveau national » et compliquent la recherche d'un équilibre économique pour le recyclage, dénoncent les industriels. Ainsi, une circulaire des douanes publiée en juillet, durcissant les conditions d'application de la TGAP pour l'année 2018, ainsi que l'adoption de plans régionaux limitant désormais la possibilité de transférer les déchets à enfouir d'un territoire à l'autre, auraient été à l'origine d'« une nouvelle crise sans précédent ».

Ne pouvant plus trouver d'exutoires aux parties non recyclables des déchets collectés auprès des industriels, certains recycleurs auraient même préféré suspendre leurs activités jusqu'en 2019, selon la Fnade et Federec. Ces fédérations appellent donc à intégrer dans la feuille de route des mesures susceptibles de favoriser leur industrie, telles que des taux de TGAP réduits pour les déchets résiduels issus d'installations de tri ou recyclage atteignant des taux de performance certifiés, ainsi que le soutien à l'émergence d'une filière de valorisation énergétique des déchets sous la forme de combustibles solides de récupération (CSR).

La crise des "Gilets jaunes" ouvre paradoxalement de nouvelles perspectives à leurs demandes. La transition écologique « doit s'inscrire dans une trajectoire », martèle le président de Federec BTP, Erwan Le Meur, faisant sien l'un des arguments du mouvement. Et en raison du "Grand débat national" organisé début 2019, la loi censée mettre en oeuvre la feuille de route sur l'économie circulaire devrait prendre du retard, laissant ainsi aux recycleurs quelques mois de plus pour être entendus.

Giulietta Gamberini

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Commentaire 1
à écrit le 16/01/2019 à 8:27
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"notamment l'institution par les collectivités territoriales d'une taxe d'enlèvement des ordures ménagères calculée sur la production réelle de déchets ultimes" AH on va voir revenir les décharges sauvages du coup... -_- Mais que nos dirigean...

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