J-7 avant les soldes d'été. Mais rarement cette période pourtant cruciale pour les commerçants n'aura eu si peu de sens aux yeux des consommateurs, en quête "de bonnes affaires". Car qu'est-ce encore qu'une "bonne affaire" quand quotidiennement de nouvelles promos se bousculent dans votre boite mail, vos sms, et bientôt sur votre montre connectée ? Premier constat en tous cas, ce n'est plus pendant les soldes qu'elles sont les plus intéressantes.
En effet, même rallongés en raison de la suppression des soldes flottants (ils démarrent le 24 juin et se termineront le 4 août), les soldes sont relégués au second plan dans les méthodes des Français qui souhaitent répondre à un besoin ou se faire plaisir tout en évitant de payer le prix fort. C'est du moins ce qui ressort de plusieurs sondages sur le sujet commandés par des distributeurs et diffusés à l'approche des soldes (cf encadré plus bas)
Compression des marges
Les soldes restent pourtant un moment fort pour les commerçants, même pour les destockeurs, car ils sont censés en profiter pour vider leurs stocks et faire de la place pour leurs nouvelles collections. Seulement en multipliant promotions, ventes privées et autres méthodes pour proposer des prix alléchants toute l'année, un phénomène connexe se produit qui, à long terme, risque de leur porter préjudice : la valeur attachée aux prix affichés sur les étiquettes se brouille.
A Bercy, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes a même consacré un colloque à ce problème, organisé mi-juin. Nathalie Homonobo, directrice générale de la DGCCRF, inaugurait celui-ci en soulignant que:
"La recherche du prix bas, les promotions permanentes, ce qu'il est convenu d'appeler la guerre des prix, bénéficient à court terme au consommateur, mais si cela compresse trop fortement les marges, cela ne permet plus d'investir ou d'innover, toute la chaîne de distribution en pâti y compris le consommateur."
"Espions" numériques et prix personnalisés
Plus encore, si l'usage de ces armes marketing n'a rien de neuf, le développement de nouvelles technologies contribue, semble-t-il, à amplifier la dégradation du sentiment de faire face à une "prix juste". Invité lors du colloque de la DGCCRF, Marc Vanuhuele, professeur en marketing à HEC Paris et spécialiste de la fixation des prix, désigne même internet comme "coupable" d'avoir brouillé les pistes, en raison de trois pratiques qui s'y sont répandu. Outre la gratuité et les circuits secondaires pour écouler les stocks (ventes privées par exemple), il met en cause la personnalisation des prix non seulement à la "tête du client", mais d'après une série de critères sociaux-économiques déductibles de sa localisation géographique qu'il est aisé de retracer avec son adresse IP. Il explique :
Le distributeur "sait d'où surfe [le client], il connait les caractéristiques du quartier où il se trouve et peut en tirer des conclusions sur le pouvoir d'achat ou l'intérêt du produit ou du service pour cette personne. Il va proposer un prix pour cette personne. Techniquement, il est possible de travailler ainsi."
Il se trouve que ces pratiques dans le domaine du voyage ont fait l'objet en 2013 d'une enquête de la DGCCRF et de la Cnil. Il s'agissait de vérifier si, réellement, des agences de voyage en ligne augmentaient au bout d'un temps donné les prix affichés à l'écran pour les internautes "repérés" ayant effectué des requêtes. " Nous n'avons prouver l'existence de ces méthodes, probablement parce que ça n'existe pas", rappelle à cet égard Didier Gautier, le chef du Service national des enquêtes de la DGCCRF. Il explique néanmoins que :
"La tarification comportementale liée au parcours de navigation existe. C'est aussi la faute du consommateur qui accepte ou pas les cookies [fichiers installés sur les navigateurs des internautes permettant de "suivre" leur parcours] qui apparaissent pendant son acte d'achat. "
A ce propos, le gendarme de Bercy a entamé une enquête visant à vérifier sur ces informations sont collectées de façon transparente pour le consommateur.
Même en magasin
En attendant une éventuelle réglementation ou des sanctions, le développement des technologies permettant la personnalisation des offres, donc des prix va beaucoup plus loin désormais. Laurent Coulon, vice-président de Dunnhumby France, entreprise qui prodigue des conseils sur la fixation des prix à de grands distributeurs signale ainsi :
"Le traçage IP appartient déjà au passé, nous sommes déjà sur des modèles prédictifs, qui s'adaptent même dans le monde physique. Par exemple, outre-Atlantique, des chaînes de restauration rapide, sont capables de repérer grâce à des caméras le genre, l'âge, des consommateurs. Grâce aux téléphones portables, il est possible de savoir si un client est déjà venu ou pas. Ensuite, cela permet d'afficher des menus différents en fonction des heures de la journée ou des personnes qui se trouvent dans le restaurant."
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Comparateurs et avis : la qualité en questions
Par ailleurs, un autre pan de la valeur attachée aux prix pose également problème : celui de l'évaluation de la qualité des produits. Cette fois, ce sont les comparateurs en ligne et avis de consommateurs qui sont en cause. Dans le premier cas, le manque d'exhaustivité de certains comparateurs dans la grande distribution dont les remontées de résultats manqueraient de transparence, ont même fait l'objet d'une autre enquête de Bercy.
Même chose pour les avis de consommateurs soupçonnés d'être souvent produits par des entreprises soit pour dénigrer un concurrent, soit pour encenser son propre produit. Or les avis ont un pouvoir d'influence réel : trois internautes sur quatre auraient déjà renoncé à un achat à cause d'un commentaire ou avis négatif. Didier Gautier évalue à 30% la proportion des faux avis. "Cela dénature totalement la confiance des consommateurs. Or, quand ils n'ont pas confiance, la consommation en général en prend un coup", rappelle-t-il.
Nuance toutefois, s'appuyant sur une enquête menée par l'Observatoire Société et Communication qu'il a co-fondée, l'économiste Philippe Moati note que "les jeunes ont moins de problèmes avec la volatilité des prix".
Louer plutôt qu'acheter
A cela, il faut ajouter les pratiques relevant de l'économie du partage qui tendent également à brouiller l'idée que les consommateurs peuvent se faire du "prix" d'un produit. Car si, désormais, plutôt que d'acheter une voiture ou même un sac à main, certains préfèrent les louer pendant la période dont ils ont besoin, la fixation du tarif de location de ce produit n'est pas toujours très claire.
Le 12 mai 2015, le gouvernement a mandaté le Conseil national de la Consommation sur l'activité des plateformes numériques dites "collaboratives". Objectif : définir des règles à introduire dans le Code la consommation afin d'obliger toutes les plateformes à fournir aux consommateurs une information "loyale, claire et transparente sur les critères de classement et de référencement des offres" et à informer toutes les parties concernant leurs obligations civiles, sociale et fiscale.
Une autre piste de régulation est à l'étude qui vise également à clarifier l'établissement des prix dans le cadre de l'économie "collaborative". La loi Hamon de 2014 prévoit en effet de tester le double affichage des prix pour une liste de produits qui doit être définie par décret. Seraient indiqués non seulement le prix auquel le distributeur souhaite vendre le produit, celui pour lequel il espère que le consommateur serait prêt à payer pour obtenir la propriété de ce bien ; mais aussi celui pour lequel le produit serait en quelques sorte "loué". La définition précise de cette liste semble poser quelques difficultés méthodologiques.
Transparence et simplicité pour fidéliser
Du côté de l'offre, davantage de transparence dans l'affichage des prix présente des avantages. "Les entreprises doivent beaucoup plus travailler sur la logique qui sous-tend la fixation de tel ou tel prix, et expliquer pourquoi un prix est plus ou moins élevé. Faute de transparence le client devient cynique et risque de ne pas rester fidèle à la marque", affirme Marc Vanhuele.
Même idée pour Laurent Coulon chez Dunnhumby qui préconise la simplification des prix. "Au-delà du prix affiché, des promotions etc, ce que le consommateur observe, c'est le coût de son charriot final. Peu importe la technique marketing, plus elle est simple mieux c'est. Dès que cela devient trop compliqué, même si c'est justifié, on risque une perte de confiance car le consommateur se dit 'on essaie de m'embobiner' "
Enfin, pour les consommateurs, plusieurs stratégies de contournement s'offrent à eux. Pas toutes évidentes à mettre en œuvre. Les consommateurs les plus avisés - et doués en informatique - peuvent toujours tenter de cacher leur adresse IP afin de se prémunir contre de tels risques. Ensuite, refuser les fameux "cookies" cités plus haut afin d'éviter de laisser trop de traces serait une solution, si elle n'entraînait dans certains cas le blocage d'accès à certains sites.
Et pour ceux qui tiennent absolument à faire leurs emplettes en ligne, il est toujours possible "d'utiliser" les systèmes de tracking. Car pour certaines catégories de produits, ces derniers aboutissent non pas une hausse du prix comme cela pouvait être redouté dans le secteur du voyage... mais de nouvelles promotions ! L'astuce consiste alors à remplir un panier et attendre plusieurs relances, éventuellement par mail. Les prix auront souvent été réduits, parfois pour des produits similaires, parfois pour les mêmes.
A croire que le prix le plus fort devient celui que l'on paye quand on est pressé. "Il faut faire l'arbitrage entre le temps et l'argent. A vous de juger le cout d'utilité du temps", relève à cet égard Marc Vanhuele. Comme quoi, plus que jamais, le temps c'est de l'argent !
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