L'économie du partage laisse les e-commerçants sceptiques

Y aura-t-il une bulle du "commerce collaboratif"? A quels besoins répondent vraiment les plateformes d'échanges entre particuliers? Les valorisations de certaines d'entre elles donnent le tournis, les chiffres s'accumulent. Mais pour les professionnels français du commerce en ligne, les questions restent en suspens.
Marina Torre
12 millions d'internautes en France ont utilisé une plateforme collaborative l'an dernier.

"Commerce collaboratif", s-commerce (pour Sharing), économie du partage ou le désormais incontournable "uberisation" de l'économie... Plusieurs expressions désignent ce modèle d'échange popularisé à l'échelle mondiale par les plateformes mettant en relation des consommateurs et des producteurs qui jouent parfois les deux rôles tour à tour. Signe que ce modèle n'a pas (encore) une identité claire et délimitée? Preuve en tous cas qu'il pose problème jusque dans sa définition. Ce 2 juillet, dans la salle de conférence - comble - du Pavillon Gabriel, face à l'Elysée, quelques centaines de professionnels français du commerce en ligne étaient invités par la Fevad à s'interroger, entre autres, sur le bouleversement qu'il représente.

Parmi les questions soulevées à cette occasion, l'une retenait l'attention: y a-t-il un risque de "bulle"? La valorisation des deux symboles de la mouvance "collaborative" donne le tournis. Celle d'Airbnb atteindrait 24 milliards de dollars d'après les dernières rumeurs. Celle d'Uber pourrait être deux fois plus importante, pour un chiffre d'affaires estimé entre 400 et 500 millions de dollars. Rappelons que ni l'une ni l'autre ne réalisent de profits.

 200 milliards en 2020

"Uber, Palantir, Airbnb, Dropbox, Pinterest et SpaceX vaudront collectivement 200 milliards de dollars d'ici 2020", juge Sam Altman, le président de l'incubateur Y Combinator, cité par le cabinet Deloitte dans une enquête parue ce jeudi.

Mais ce ne sont évidemment que des conjectures. Pour l'heure, les sociétés de capital-risque ont investi 5 milliards de dollars dans ces entreprises, dont 2 milliards l'an dernier, d'après l'étude de Deloitte. Mais l'investissement des entreprises dans ce type de service est autrement plus élevé: 12 milliards de dollars.

Au-delà du débat sur la destruction ou la création nette de valeur entraînée par ces modèles, les risques que pose une éventuelle explosion de la "bulle" sont bien concrets. Jean-Marc Liduena, associé au sein de ce dernier en charge, invité lors de cette conférence, note par exemple que:

"Jamais dans l'histoire autant de personnes n'ont été employées par des entreprises qui ne font pas de profits. Cela pose un risque social clair."

Il faudrait en outre rajouter tous ceux qui travaillent directement ou non avec ces plateformes, de façon plus ou moins indépendante.

>> Et si l'économie du partage annonçait la fin du salariat ?

Projections enflammées

Reste donc à savoir si la demande suivra vraiment l'explosion de ces offres de services qui ne concernent évidement pas que la location saisonnière ou le transport, mais vont de la garderie d'enfant au "vide-dressing" en passant par la location de matériel de bricolage, ou l'audit... Là aussi, les projections s'enflamment. Le cabinet de conseil prévoit que le marché de l'économie collaborative atteindra 100 millions de dollars d'ici trois ans. En la matière, difficile de se faire une idée claire puisque chacun y va de sa définition et de sa date butoir. Ainsi PwC prévoyait-il en mai que les plateformes réaliseraient 335 milliards de dollars en 2025 dans le monde.

Pour revenir à des données plus "tangibles", quelque 12 millions d'internautes auraient fait appel aux services d'une plateforme collaborative cette année en France. Un chiffre en progression rapide, à comparer au 35 millions de cyber-acheteurs, tous sites confondus, que compte désormais l'Hexagone.

Mais si le modèle "prend", est-il pour autant pérenne? Car, nées pendant ou juste après la crise de 2008, ces plateformes doivent une part de leur réussite au besoin pour une large partie des consommateurs de "faire des économies". Leur succès à long terme dépendrait donc de l'adoption ou non d'un mode d'un nouveau mode de consommation (et de production).

Dématérialisation de la croissance

Là encore, aucune réponse tranchée n'est apportée. Toutefois, certains observateurs des comportements des consommateurs, comme Philippe Moati, cofondateur de l'ObSoCo, qu'effectivement, l'attrait pour l'usage pourrait bien remplacer celui pour la propriété.

"On peut imaginer une forme de dématérialisation de la croissance rendue nécessaire par les enjeux du développement durable", affirme-t-il. Ce qui aurait bien sûr des implications de fonds sur l'organisation des échanges. "Airbnb représente le stade suprême du capitalisme :un capitalisme sans capital", note-t-il d'ailleurs avant d'évoquer les aspects négatifs de ces plateformes, concernant notamment le droit du travail. "Effets pervers susceptibles de tuer dans l'oeuf" la perspective d'une croissance conciliée avec les impératifs environnementaux et sociaux. Ce à quoi François Momboisse, président de la Fevad ajoute les questions relatives à la fiscalité.

"Le mouton que l'on caresse"

Finalement, c'est l'animateur et philosophe Raphael Enthoven qui secoue quelque peu la salle en s'amusant de l'obséquiosité de façade des chauffeurs d'Uber, signe parmi d'autres que "lorsque l'on flatte l'individu en vous, c'est le mouton que l'on caresse". Ou en soulignant que:

 "La tendance à la dématérialisation, l'atténuation du support au profit de ce qu'il suppose, est inscrite depuis des siècles dans l'histoire esthétique. De l'émergence de la forme - le sphinx ou la pyramide - pour en arriver à la perspective, on est dans la dématérialisation."

Dans le même ordre d'idées, le principe selon lequel, désormais, les offres répondraient davantage à une demande réellement exprimée par "la foule" des consommateurs n'aurait non seulement rien de neuf. Mais la méthode pour la recueillir se révèlerait historiquement douteuse.

Le présentateur de l'émission de radio le Gai Savoir s'exclame ainsi : "Ce que l'on décrit comme économie collaborative et comme une idée neuve, c'est une idée inventée par le parti communiste chinois qui, dans les années 1950, a inventé la ligne de masse, aller récupérer les doléances du peuple pour produire des lois. En réalité, tout était écrit à l'avance et on ne faisait que prélever parmi les doléances ce qui avait déjà été écrit. En France, on appelle ça la démocratie participative".

- - -

Pour aller plus loin:

>> Opportunités, mensonges et limites de l'économie du partage

>> Innovation collaborative : à qui profite vraiment la création "low cost" ?

Marina Torre

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 3
à écrit le 09/07/2015 à 21:48
Signaler
L'économie "collaborative" est un arnaque intellectuelle. Regrouper uberPOP et le covoiturage sous la même bannière ne fait qu'obscurcir la compréhension des changements en cours. D'un côté une personne qui est prête à céder une partie de son temps e...

à écrit le 09/07/2015 à 12:42
Signaler
bravo, mais il faut payer des impôts, à commencer par la tva sur les transactions si on ne veut pas finir comme les grecs

à écrit le 09/07/2015 à 10:03
Signaler
Il faut arréter de dénigrer les site de plates formes collaboratives, c'est un model qui vient seulement de s'ajouter aux modèle classique et ne pas le remplacer. De plus les gens prennent de plus en plus conscience des effets bénefique de cette éco...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.