« C’est presque par égoïsme que nous devrions préserver les océans » (Maud Fontenoy, navigatrice)

La navigatrice Maud Fontenoy a passé plus de temps sur l’eau, en ramant ou en ba-teau à voile, que sur terre. Défendre les océans est sa passion, au point qu’elle a créé une fondation en 2008. Au programme : sensibiliser les jeunes générations et les autres pour faire en sorte que les océans jouent encore longtemps leur rôle essentiel pour la planète et la vie. (Cet article est issu de T La Revue n°10 - "Pourquoi faut-il sauver l'eau ?", actuellement en kiosque).
(Crédits : DR)

La surface de la Terre est couverte aux trois quarts par de l'eau, et pour une grande partie, ce sont des océans. À quoi servent-ils ? Pourquoi est-ce important de les protéger ?

Maud Fontenoy D'abord, la vie est née dans les profondeurs de l'océan, il y a 3,8 milliards d'années. Sans cette petite particule de vie, sans ce passé, nous ne serions pas là, sur Terre. Reste à savoir si nous avons, avec les océans, un avenir, puisqu'ils sont non seulement à l'origine de la vie, mais aussi source de vie. Au-delà de la nourriture qu'ils apportent - et je rappelle qu'ils fournissent l'essentiel des protéines consommées par un tiers de la population mondiale - ils servent également à réguler le climat, grâce, notamment, aux courants marins comme le Gulf Stream, et à absorber le dioxyde de carbone que nous émettons de plus en plus à travers nos activités. Les océans sont aussi responsables de la moitié de l'oxygène, autrement dit, un humain sur deux respire grâce à eux. Pourtant, aujourd'hui, on explore plus volontiers la surface de la Lune que les océans. Or ce manque d'intérêt pourrait nous coûter la vie. Pendant combien de temps encore les océans vont-ils être capables d'absorber le dioxyde de carbone ? Ils s'acidifient de plus en plus. Pendant combien de temps encore vont-ils subir les assauts des déchets plastiques ? Sous forme de microparticules, ils se retrouvent partout, même au plus profond des océans, et nous les absorbons. Par ailleurs, les océans participent également à perpétuer le cycle de l'eau sur la planète : elle s'évapore puis revient, sous forme de pluie, mais c'est toujours la même. Enfin, l'eau de mer est également de plus en plus dessalée, et ce sont environ 300 millions de personnes, autour de la Méditerranée, dans les pays du Golfe arabo-persique, en Australie, qui en consomment chaque jour. Il s'agit donc de voir les océans non seulement comme des éléments vitaux pour les humains mais aussi « globaux », alors que pour beaucoup, l'océan c'est uniquement ce qui borde la plage sur laquelle ils se prélassent de temps en temps... En fait, il est tout proche, tous les jours, puisque la pollution, notamment aux microparticules de plastique, se retrouve partout, y compris dans les sushis ! Et les océans peuvent aussi être considérés comme des pays et donc des puissances économiques. Avec ce qu'ils rapportent en termes de services rendus, ils seraient la 7e puissance économique mondiale, avec près de 2 500 milliards de dollars de richesse annuelle.

Mais vous militez aussi pour une exploitation des océans, au-delà de la pêche...

M.F. Oui, les océans recèlent d'énormes ressources potentielles en énergie, par exemple, par le biais des courants qui peuvent servir à produire de l'électricité, tout comme le vent, tandis que les microalgues ont un potentiel énergétique 30 fois supérieur au colza : de quoi faire un jour voler nos avions ! C'est aussi une formidable trousse à pharmacie pour demain. Déjà aujourd'hui plus de 22 000 médicaments viennent de la mer. C'est vrai pour les produits visant à renforcer les défenses immunitaires, grâce aux premiers travaux d'Élie Metchnikoff, de l'Institut Pasteur, à partir des anémones de mer, qui lui ont valu, en 1908, le prix Nobel de médecine. C'est vrai pour l'AZT, qui sert dans la lutte contre le Sida, et dont le principe actif a été initialement extrait du hareng. C'est vrai pour l'arénicole, un ver des sables, dont l'hémoglobine est capable de fixer 40 fois plus d'oxygène que la nôtre, un atout pour les greffes, en particulier. Sans oublier les innovations dans d'autres domaines que la pharmacologie : les recherches en biomimétisme, qui ont permis de concevoir, en s'inspirant des nageoires, des hélices de moteur de bateau plus efficaces, ou celles de la biotech qui ont permis de développer des films alimentaires à base d'algues, biodégradables ou comestibles. Une start-up a ainsi conçu une capsule qui peut contenir une boisson, distribuée lors des marathons aux coureurs. Je voudrais aussi souligner les recherches sur la peau de requin qui empêche les bactéries de s'y fixer : elle est ainsi à l'origine d'un matériau extraordinaire qui permet de lutter contre les infections nosocomiales en milieu hospitalier. Nous avons devant nous une bibliothèque énorme, mais faute de recherches poussées pour pouvoir la lire entièrement, c'est comme si nous brûlions des livres pour nous chauffer ! C'est donc presque par égoïsme que nous devrions préserver les océans...

Mais tout cela ne peut qu'inciter à réglementer les usages de l'océan, au-delà de la pêche, n'est-ce pas ?

M.F. Bien entendu. Cela doit être une priorité. J'ai déjà parlé des dégâts de l'acidification des océans en raison du dioxyde de carbone qui se répercute sur le plancton et sur toute la chaîne alimentaire. Il faut également arrêter la surexploitation des océans par des bateaux de pêche usine qui restent des mois en mer et ravagent tout. Ainsi, si l'Europe ne capture que 4 % du poisson pêché dans le monde - la France étant derrière l'Espagne et le Royaume-Uni - l'Asie, et la Chine en particulier, est responsable de 50 % des prélèvements. Pis, le gaspillage est énorme : certains poissons pris dans les filets, mais non conformes aux quotas ou aux désirs du marché, sont rejetés, morts, par-dessus bord... Les estimations font état de 7 à 6 millions de tonnes de poissons par an remis à l'eau de cette façon ! Une aberration ! Quant à la pêche illicite, elle soustrait, selon la FAO, quelque 30 millions tonnes de poissons par an... De même, il faut davantage réglementer les élevages de poissons, ainsi que la navigation commerciale, puisque 80 % des marchandises qui transitent le font par la mer, et ce sont près de 50 000 navires qui sont en permanence sur les océans. Certains ont des capacités telles qu'ils peuvent transporter plus de 20 000 conteneurs, et ils sont si gros que, pris dans une tempête, ils peuvent chavirer. On a ainsi vu des milliers de conteneurs polluer la mer ou échouer sur les côtes. Et, bien sûr, toutes ces activités commerciales polluent à cause de l'énergie nécessaire aux moteurs. Les enjeux de gouvernance sont donc immenses. Or, s'il existe des accords internationaux pour les fonds marins, trop peu de traités régissent les activités liées à l'océan et 60 % des surfaces de haute mer sont sans juridiction, à part les quelques aires marines protégées. Cela dit, les conventions internationales spécifiques, à base, notamment, d'inspections, pour protéger le thon rouge ou la légine, ont montré leur efficacité : les stocks se sont reconstitués. Les océans sont vastes, certes, mais il est possible de réglementer et d'assurer la surveillance. À cet égard, la France, qui est, du fait de la présence de sa marine nationale dans trois océans (Atlantique, Pacifique et Indien), la deuxième puissance maritime mondiale, est bien placée pour prendre un rôle de leader, européen et mondial, dans cette lutte pour protéger les océans, puisqu'elle en a la légitimité. Car il n'est pas question de reproduire avec les océans les erreurs que nous avons faites sur la Terre ! Le One Ocean Summit, qui s'est tenu, à l'initiative du président Emmanuel Macron, du 9 au 11 février dernier à Brest, dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, avec le soutien des Nations Unies, est la première pierre. Il semble donc que la volonté politique soit là. Il s'agit maintenant de la concrétiser...

Vous avez créé une fondation pour préserver les océans et écrit, entre autres ouvrages, La mer au secours de la Terre*. Quelles sont les actions que vous menez concrètement à travers votre fondation ?

M.F. La fondation est dévolue à l'éducation qui nous paraît le meilleur levier d'action. Des connaissances accrues sur les océans, ce qu'ils nous apportent et les dangers qu'ils courent, sont forcément la porte d'entrée, puisqu'en comprenant mieux pourquoi c'est important de protéger les océans, on agit d'autant plus. Cela passe par une évolution - déjà faite - du contenu des programmes de l'Éducation nationale, ou les classes de mer, que le président Macron veut relancer, à destination, en particulier, des zones d'éducation prioritaire. D'ailleurs, quand j'ai besoin d'un peu de tonus, je vais moi-même avec les équipes dans les classes et je parle des bienfaits de la mer aux enfants qui s'émerveillent.

Quelles sont les actions que chacun peut mener, au quotidien, pour protéger les océans ?

M.F. Les petits gestes quotidiens, à la portée de tous, sont nombreux. Déjà, le fait que l'Europe ait condamné les gobelets en plastique, les cotons-tiges, les pailles à boisson et les emballages plastiques pour les fruits et autres produits est une excellente nouvelle. Ces 370 millions de tonnes de plastiques produites par an, qui consomment du pétrole et polluent lors de la fabrication, ne sont recyclées qu'à hauteur de 9 % dans le monde... Les consommateurs peuvent donc d'abord acheter le moins possible de produits emballés dans du plastique et ensuite le recycler. Ils peuvent aussi vérifier d'où vient leur poisson - de préférence de la pêche française - et si l'élevage est labellisé. Et faire attention à leurs produits ménagers ! Quant aux fumeurs, ils doivent arrêter de jeter leurs mégots dans la rue - les estimations sont de 150 000 mégots jetés par seconde dans le monde ! Chaque mégot se retrouve dans les caniveaux, puis dans les eaux de la ville et en pollue 500 litres d'un coup, pour finir ensuite dans la mer...

Quelles sont les actions que peuvent mener les pays en développement ?

M.F. Nous devons les aider, financièrement, que ce soit en matière d'épuration ou de recyclage des déchets plastiques, d'autant plus qu'ils ne sont pas forcément responsables de cette pollution qui arrive sur leurs côtes, de même qu'en termes d'éducation et de pêche durable. D'ailleurs, dans nombre de pays en développement, la pêche est la première activité économique. Le One Ocean Summit comportait également un volet international, en particulier orienté vers l'éducation. Et notre fondation a aussi l'intention de développer des actions à l'international dans ce sens.

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* La mer au secours de la Terre, Maud Fontenoy, Joséphine Jobard, Belin, 2021. Retrouvez dans cet ouvrage les sources des données chiffrées citées dans l'interview ci-dessus.

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Article issu de T La Revue n°10 spécial "eau" actuellement en kiosque et disponible sur notre boutique en ligne

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Commentaires 3
à écrit le 03/07/2022 à 9:35
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Préserver la terre ne profitera qu'aux riches survivants qui ont tout fait pour la polluer : ils veulent une mer propre pour leur villégiature, une neige immaculée pour leurs sports d'hivers, un air pur dans leur loft, le silence dans leur ville... ...

le 03/07/2022 à 14:53
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que ces ideologues realise leurs discourt dans les pays suivant la chine, la russie, les usa, le monde arabe, la france a elle seule meme avec des taxes sur tout les produits ne sera d'aucune utilite alors pour quelle raison vouloir penaliser un pa...

à écrit le 02/07/2022 à 10:55
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Les bourgeois moralistes adorent parler d'égoïsme, d'altruisme. Pendant ce temps là, les gens normaux luttent pour finir le mois sans découvert

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