Climat : « La COP26 est trop carbone-centrée, l'eau est la grande oubliée »

Au sommet mondial sur le climat, la réduction du carbone semble l'unique obsession. D'autres enjeux tout aussi voire plus importants, passent à la trappe comme l'alimentation, la dépollution... et surtout l'eau "qui est source de toute vie", estime Marie-Hélène Aubert, présidente du groupe de travail "Biodiversité aquatique et solutions fondées sur la nature" du Partenariat français pour l'eau. Dans cet entretien à La Tribune, la spécialiste brosse un tableau des nombreux dysfonctionnements structurels qui entravent l'efficacité du traitement des questions environnementales tout autour du monde.
Giulietta Gamberini
(Crédits : ALY SONG)

LA TRIBUNE - Le bouleversement du cycle de l'eau est l'une des principales conséquences du changement climatique. Quelle place est réservée à la question de l'eau lors de la COP26?

MARIE-HÉLÈNE AUBERT -  Avec beaucoup d'étonnement, on constate que l'eau n'est pas un enjeu suffisamment pris en compte dans les débats autour du climat. Il y a bien un pavillon de l'eau à la COP26, rassemblant plusieurs organismes, mais c'est la première fois. Et si une dizaine d'organisations onusiennes, chapeautées par l'Organisation météorologique mondiale (OMM), viennent enfin de rendre une déclaration soulignant que l'eau doit être absolument intégrée dans les programmes d'adaptation au changement climatique, c'est nouveau. Or, alors qu'on peut bien se passer des énergies fossiles, on ne peut pas se passer de l'eau, qui est à la source de toute forme de vie.

Quelles sont les raisons de cet oubli?

Une des grandes difficultés dans le traitement international des questions environnementales réside dans l'organisation de l'agenda international par conventions sectorielles. Trois grandes conventions sont notamment issues du Sommet de la terre organisé à Rio de Janeiro en 1992, chacune avec ses Conférences des parties (COP): une sur le climat, une sur la biodiversité, une sur la désertification. Elles évoluent séparément à leurs propres rythmes, ce qui fait obstacle à un traitement efficace des questions climatiques, puisque tous ces sujets sont liés.

En plus, le débat sur le climat a jusqu'à présent surtout porté sur la production de carbone via les énergies fossiles, et pas assez sur les interactions avec d'autres enjeux que la production d'énergie: l'alimentation, l'eau, les forêts, la dépollution... Je pense qu'on a une approche trop carbone-centrée, où la réduction du carbone est la seule obsession. Cela est aussi dû au fait que, pendant un certain temps, les défenseurs du climat ont préféré éviter de mettre l'accent sur les besoins d'adaptation au changement climatique, en craignant que cela n'induise une déresponsabilisation sur l'atténuation des émissions. Mais aujourd'hui, l'adaptation est reconnue comme un enjeu crucial et urgent. Et face au changement climatique, il existe une multitude de solutions transversales et interactives, qui devraient être mieux considérées.

Avant l'Accord de Paris, en septembre 2015, l'ONU a adopté un agenda 2030 avec 17 objectifs de développement durable, dont l'eau fait partie. Mais cet objectif-là est jusqu'à présent passé en arrière-plan, or je pense qu'il devrait être la clé de voûte de l'ensemble des questions environnementales.

Comment une meilleure prise en compte de l'eau peut-elle notamment contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique?

Un enjeu essentiel et souvent oublié est la préservation des milieux humides, sur le littoral ou à l'intérieur des terres, qui sont des puits de carbone, mais permettent également de préserver la ressource en eau en quantité et qualité. Leur surface à travers le monde se réduit à cause de l'artificialisation des sols.

On oublie souvent aussi que la santé des océans, plus grands puits de carbone de la planète, dépend de celle de l'eau douce. Il est donc essentiel de s'occuper mieux des zones d'estuaires et de deltas, où surgissent souvent les grandes villes et où vivent des milliards de personnes. Des experts à travers le monde travaillent d'ailleurs de manière spécifique aux questions de l'accès à l'eau, de la maîtrise des pollutions, du traitement des eaux usées, etc., dans ces zones cruciales. En France et à l'international, il est aussi important de revoir la réglementation et l'organisation administrative, afin de mieux relier la gestion des eaux douces et des zones marines, souvent séparées.

Enfin, si l'ensemble des acteurs de l'eau prennent aujourd'hui en compte l'impact du changement climatique sur le grand cycle de l'eau, alors qu'avant la gestion du petit cycle de l'eau primait dans leurs préoccupations, on l'aborde surtout sous forme de gestion des risques, d'inondations et de pénuries. Mais pour prévenir ces dangers, il y a aussi des mutations à opérer dans les pratiques agricoles et industrielles ainsi que dans les usages domestiques, qui doivent devenir plus durables et équitables. Il ne faut d'ailleurs pas oublier que des problèmes comme l'accès à l'eau ou le traitement des eaux usées préexistent à la question climatique: le travail qui en résulte est d'autant plus énorme.

Que souhaiteriez-vous?

Le Partenariat français pour l'eau (PFE) espère que le sujet de l'eau sera enfin placé en haut de l'agenda environnemental, et traité non seulement lors de la COP26, mais bien au-delà. Nous préconisons d'aborder le sujet climatique dans son ensemble et en tenant compte de tous ses aspects pratiques, puisque la transition écologique va bien au-delà de la transition énergétique.

On devrait passer de COP sectorielles à des COP bien plus globales où, comme le souligne la déclaration de l'OMM, l'eau pourrait jouer le rôle de "connecteur", puisqu'elle est l'élément qui permet de relier l'ensemble des enjeux environnementaux. Il est aussi nécessaire de mieux décliner les décisions prises au niveau mondial à des échelles régionales voire locales, à travers des plateformes d'acteurs porteurs de projets précis et concrets. Cela permettrait de mieux prendre en compte des situations extrêmement diverses et d'ainsi impliquer davantage les citoyens. L'approche d'aujourd'hui nourrit un sentiment d'impuissance, alors qu'un traitement local reliant l'ensemble des enjeux engendrerait plus de confiance dans la capacité humaine à enclencher une véritable mutation, et aurait sans doute un effet de levier plus important.

Quels sont des exemples efficaces de solutions concrètes et locales?

Au Brésil, dans l'Etat de Sao Paulo, les autorités de la commune de Rio Claro (sur le bassin du Piracicaba) ont par exemple mis en place un système de paiement pour services environnementaux consistant à rémunérer les communautés rurales locales  vivant en amont du bassin pour des actions de reforestation, entretien des berges,  préservation des captages d'eau. Cela a permis à celles-ci d'améliorer leurs revenus, d'ouvrir des écoles, de créer un dispensaire, de faire revenir les jeunes générations, tout en profitant aux ressources en eau des communes en aval. En France, la ville de Roanne a fait le choix de gérer ses eaux pluviales et d'éviter l'engorgement des réseaux, très coûteux à construire et vulnérables en cas d'inondations, en misant sur la restauration de parties naturelles du territoire capables d'absorber les eaux de pluie et la désimperméabilisation. Des exemples de ce type, il y en a sur tous les continents.

Ces solutions fonctionnent, mais doivent être gérées de façon différente par rapport aux grands projets d'infrastructures. Elles demandent une adaptation des outils de suivi, financiers et réglementaires.

Quel rôle peut jouer la technologie?

Le foisonnement technologique en matière de gestion durable de l'eau et des milieux aquatiques est notable. En France, il existe même un pôle de compétitivité, Dream, situé à Orléans, consacré à ce genre d'innovation. Mais on ne peut pas tout miser là-dessus: il faut adopter aussi une logique d'anticipation globale en valorisant tous les services que nous offrent aujourd'hui les écosystèmes naturels. Les petites usines de désalinisation qui fonctionnent à partir d'énergie solaire, par exemple, résolvent les problèmes liés à l'utilisation des énergies fossiles, mais pas celui lié aux pollutions.

Vous l'avez souligné, l'accès à l'eau est aussi souvent une source de conflits, qui risquent de s'aggraver avec sa raréfaction. Comment aborder cet aspect?

C'est la raison pour laquelle ces enjeux ne peuvent se traiter qu'à une échelle territoriale de bassin et dans le cadre d'assemblées représentatives associant l'ensemble des préoccupations et des intérêts. La gestion de l'eau par grand bassin développée par la France depuis les années 1960 fait école dans le monde entier: chaque comité de bassin y est traversé aujourd'hui de débats de plus en plus vifs sur ce partage de l'eau. Une telle gestion intégrée de la ressource en eau est la condition sine qua non pour éviter des conflits qui peuvent dégénérer dans de véritables guerres de l'eau.

Propos recueillis par Giulietta Gamberini

Giulietta Gamberini

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Commentaires 6
à écrit le 04/11/2021 à 11:49
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Les conséquences climatiques et l'inadaptation des surfaces recevant cette eau, ne font qu'aggraver le problème!

à écrit le 03/11/2021 à 20:19
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Parce que l'eau est un intérêt privé, on n'y touche pas. S'occuper de l'eau c'est le retour obligé aux concessions communales c'est le fric qui a tué la nature c'est lui qui empêche qu'on la sauve.

à écrit le 03/11/2021 à 18:41
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c'est marrant, c'est ce que je pense depuis 20 ans, a saoir que le pb est a mon avis tres mal pose.......quand il fait chaud et qu'il y a du soleil, avec de l'eau, y a de la vegetation, autrement y a du sable, comme au sahel, deplume progressivement ...

à écrit le 03/11/2021 à 15:04
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Arretez de faire des gosses (consommateurs) pour sauver la planète !

le 04/11/2021 à 5:47
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Seul commentaire pertinent.

le 04/11/2021 à 14:06
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C'est pour cela que l'on parle pas de l'eau, il faut pas mettre la démographie folle d'un certain continent sur le devant de la scène, qui n'a plus les moyens d'avoir de l'eau de qualité et en quantité et ou les risques de guerres pour l'accaparement...

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