
Dans l'histoire des trois petits cochons, le grand méchant loup parvient à détruire la maison en paille et celle en bois, rien qu'en soufflant dessus ! La seule qui résiste, c'est celle bâtie en pierres... Une invention est en passe de renverser l'épilogue de ce conte pour enfants, en plus de déjouer les idées reçues sur la paille. Car la paille, qu'elle soit de blé, d'orge, de riz ou de seigle, multiplie ses atouts.
Présente en quantité un peu partout sur le sol français, elle n'a qu'un très faible impact environnemental à l'heure où l'on se soucie des rejets de CO2. D'après l'ADEME, l'agence de la transition écologique, entre 5 et 6 millions de tonnes de paille seraient disponibles chaque année sur le territoire français, dont 10 à 15% pourrait suffire à isoler la totalité des bâtiments neufs construits sur le territoire français !
Peu chère et isolante
La paille possède par ailleurs d'excellentes propriétés isolantes. Contrairement aux idées reçues, elle résiste très bien aux incendies quand elle est suffisamment tassée. Sans oublier qu'elle ne coûte pas très cher. Elle bénéficie de l'aval de l'Agence Qualité Construction, de quoi faire pâlir ses concurrentes plus polluantes que sont la laine de roche ou le polystyrène.
« Le problème, c'est que cette méthode d'isolation connue depuis plus d'un siècle est restée très marginale : soit vous avez beaucoup d'amis pour vous venir en aide, soit vous consacrez un joli budget à sa mise en œuvre artisanale », explique Christophe Arnald, associé et directeur du développement d'Activ'Home, marque de la société It Control Expert, siégeant dans l'Allier, en Auvergne-Rhône-Alpes.
« C'est pourquoi nous avons mis au point un procédé unique au monde, qui permet d'industrialiser des murs, planchers, plafonds préfabriqués à partir de bois et de paille d'origine locale », poursuit-il. Concrètement, en 2017, un brevet a été déposé pour l'ossature comme module de construction et pour la machine de remplissage, fonctionnant avec des bottes de paille de taille standard. « Comme nous voulons faire fonctionner ce système sur le principe du circuit-court, nous commercialisons également le procédé ».
Première usine de 1500 m2
Dans la région des Hauts-de-France, ce sont des fabricants de ballots de paille qui ont sauté sur l'occasion. Adrien Caron, céréalier en activité, et Arnaud Delobel, ayant des parents agriculteurs, ont répondu initialement à un appel d'offres, avec leur entreprise Les Petits Ballots. « Nous avons rencontré Arnaud et découvert le procédé. Nous avons été emballés quand il nous a annoncé qu'il souhaitait démultiplier les lieux de production », se souvient Arnaud Delobel, ex-ingénieur commercial dans l'alimentation animale qui a du coup laissé tomber une création d'entreprise dans le conseil aux agriculteurs.
Les deux jeunes Picards se sont lancés dans le grand bain en créant Activ'Paille, et en reprenant 1.500 m2 au cœur de l'ancienne usine Nestlé à Itancourt, dans l'Aisne. La production de ces isolants paillés vient de démarrer, moyennant 600.000 euros d'investissement pour la première année d'activité.
Demande de matériaux biosourcés
« Nous enregistrons déjà des commandes pour produire 20.000 m2 d'ici septembre 2022, que ce soit pour des bureaux en métropole lilloise, des bâtiments professionnels, des maisons individuelles, des lotissements, une maison de santé voire même un gymnase », confie Arnaud Delobel. Activ'Paille a également conquis Rev3, mouvement d'amplification de la 3e Révolution Industrielle en Hauts-de-France, qui a subventionné l'aventure à hauteur de 112.000 euros pour l'investissement dans le matériel. Sachant qu'une autre subvention régionale d'un montant équivalent pourrait financer un bâtiment « démonstrateur » qui abriterait les locaux de la toute nouvelle entreprise.
« Nous espérons atteindre le million d'euros de chiffre d'affaires dès la première année, avec le soutien des communautés de communes locales et des collectivités qui sont très demandeuses de matériaux de construction bio-sourcés », détaille Arnaud Delobel, qui envisage de compter une vingtaine de salariés à terme. Sans oublier que cette activité offre également des débouchés pour l'agriculture régionale, qui pourra y écouler près de 80.000 ballots de paille à l'année. Les bois utilisés vont évidemment privilégier les essences locales.
L'exemple de L'Oréal
Il faut dire que depuis peu, Activ'Paille a un exemple grandeur nature à faire valoir, sur la nouvelle usine Sicos de L'Oréal à Caudry, dans le Nord. L'extension de près de 3.500 m2, dédiée à abriter des produits inflammables comme des parfums et autres produits pour la toilette, va être isolé sur un mur mitoyen... avec les fameux caissons en ossature bois, remplis de bottes de paille !
Outre les avantages de propriété physique et de circuit court, ce type de système constructif ne produit quasiment pas de déchets (uniquement les papiers de protection des films et adhésifs de traitement de l'étanchéité à l'air) durant les phases de chantier, tout étant pré-fabriqué en atelier.
De son côté, Christophe Arnald a déjà envoyé depuis l'Allier ses produits pour des maisons d'habitation dans les Alpes-Maritimes et la Drôme. Il peut montrer en exemple l'extension du parc à thème Paléopolis à Gannat, pour le compte du conseil départemental. Mais, surtout, il a reçu de multiples demandes pour déployer le système en Bourgogne et en Occitanie ainsi qu'en Belgique, au Danemark, en Italie et dans d'autres pays européens. De quoi réécrire à coup sûr l'histoire des trois petits cochons.
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