Loi Climat : le Sénat s'apprête à voter un texte qui divise toujours

Une ambition « rehaussée » selon la majorité sénatoriale de droite, de nombreux « reculs » sur le « coeur du texte » pour le gouvernement : sans surprise, le projet de loi Climat porté par la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, continue de diviser, alors que le Sénat s’apprête à l’adopter mardi en première lecture. Il devra ensuite passer en commission mixte paritaire, mais les chances que les deux assemblées s’entendent sont faibles.
Marine Godelier
Porté par la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili, le projet de loi Climat traduit une partie des 146 propositions de la Convention citoyenne pour le climat qu'avait retenu Emmanuel Macron.
Porté par la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili, le projet de loi Climat traduit une partie des 146 propositions de la Convention citoyenne pour le climat qu'avait retenu Emmanuel Macron. (Crédits : Reuters)

Après avoir revu la copie de l'Assemblée nationale sur de nombreux points, le Sénat s'apprête à approuver solennellement sa nouvelle version du projet de loi Climat cet après-midi, à l'issue de plus de deux semaines de débats intenses. Des modifications qui risquent d'être autant de points de blocage dans la recherche d'un accord sur un texte commun. Car si chacun affiche sa volonté de parvenir à un accord, tous ont aussi défini leurs « lignes rouges ».

Résultat : tandis que Marta de Cidrac (LR), l'une des rapporteures de la commission de l'Aménagement du territoire, affirme que « le Sénat a pas mal enrichi le texte », le jugement est sévère côté ministère de la Transition écologique, avec une image de circonstance: « les sénateurs ont travaillé sur la carrosserie, mais en dépeçant le moteur ». « Nous ne devons pas tomber dans le piège du green-talking et des effets d'annonce », a quant à lui prévenu Jean-René Cazeneuve (LREM), le rapporteur général du projet de loi au Palais-Bourbon, qui a voté le texte le 4 mai.

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Une déception partagée par l'opposition à la Chambre haute, notamment par les écologistes, qui devraient voter contre. « Il y a vraiment des décisions désastreuses, avec plein de reports de date. Le texte ne sort pas renforcé, et nous éloigne toujours des objectifs européens de réduction de 55% des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030, alors même que les sénateurs ont inscrit ce nouvel objectif dans la loi », souffle Ronan Dantec, chef de file des écologistes. Le groupe PS s'orientait également hier vers un vote négatif.

Cadeau empoisonné sur l'éolien

Sur plusieurs sujets, les sénateurs ont en effet radicalement changé la direction du texte. Notamment sur l'énergie, puisqu'ils ont créé un droit de veto pour les maires concernant les projets éoliens. Cette disposition, à laquelle le gouvernement et les sénateurs écologistes étaient opposés, a provoqué de vives discussions au sein de l'hémicycle. Car pour Barbara Pompili, un tel dispositif mettrait « la pression sur les maires » qui pourraient être « pris en otage par certaines associations, par certains groupes », évoquant « un cadeau empoisonné ».

« C'est une offensive forte contre l'éolien, avec une disposition qui rendrait quasiment inatteignables les objectifs de la programmation pluriannuelle de l'énergie [de près de 20% de la production d'électricité en France issue de l'éolien d'ici à 2028 contre 7,4% aujourd'hui, ndlr] », alerte Ronan Dantec.

D'autant que, dès le lendemain, la majorité sénatoriale de droite a voté une mesure conditionnant la fermeture des centrales nucléaires à l'existence de capacités de production d'énergie renouvelable et bas carbone équivalentes. De quoi exciter un peu plus les tensions avec les écologistes et le gouvernement, la ministre de la Transition écologique fustigeant « un article ni fait ni à faire », qui « ne résout rien du tout ».

Modalités assouplies et décalage du calendrier

En plus de ces controverses, d'autres « points durs » restent d'actualité, comme les dispositions sur les zones à faibles émissions (ZFE), qui interdisent l'accès aux véhicules les plus polluants. Les sénateurs en ont en effet assoupli les modalités, afin de « redonner la main aux collectivités », en proposant un décalage du calendrier d'application de 2025 à 2030. Une ligne rouge pour le ministère de la Transition écologique, qui a rappelé que « la mauvaise qualité de l'air entraînait 40.000 morts par an » et que le confinement avait « évité 1.200 décès » du fait d'une baisse significative du trafic routier.

« L'interdiction de certains véhicules dans les ZFE que nous proposons sera accompagnée par des moyens significatifs, comme les aides à la conversion ou un bonus allant jusqu'à 14.000 euros pour les ménages les plus modestes. Sans compter les micro-crédits qui les complètent, à hauteur de 5.000 euros », défend-on au cabinet de Barbara Pompili.

Autre point de blocage : le Sénat a gommé, lors de son examen, le terme d'écocide - l'une des mesures phare du projet de loi sanctionnant tout comportement mettant gravement en danger l'environnement. Une mesure de « simplification, de clarification et de sécurisation juridique » pour la rapporteure LR Marta de Cidrac. Mais inacceptable pour le gouvernement, qui s'est dit « attaché au terme ».

Enfin, sur les plats végétariens, plutôt qu'une pérennisation de la mesure voulue par les députés, les sénateurs ont privilégié la poursuite de l'expérimentation d'un menu sans viande hebdomadaire dans les cantines scolaires.

« L'évaluation déjà menée a eu un bilan positif, sans impact fort ni sur le gaspillage ni sur la satisfaction des élèves. Dès lors, pourquoi revenir à un modèle d'expérimentation ? », a interrogé le gouvernement, vent debout contre ce pas en arrière.

Mesures contradictoires

Pourtant, en même temps que ces « reculs », « des avancées sont à souligner », selon Ronan Dantec. Notamment sur une mesure choc introduite par le Sénat : la baisse de la TVA sur les billets de train, de 10 à 5,5%. Une diminution critiquée par le ministre des Transports, qui a invoqué les nombreuses aides dont bénéficie la SNCF et le risque d'inégalité de traitement qu'elle crée avec le transport aérien, mais saluée par les écologistes.

Surtout, la Chambre haute a proposé la création d'une dotation financière de 1 milliard d'euros à destination des collectivités. Le but : accompagner les intercommunalités et les régions qui ont adopté un plan climat-énergie dans la mise en œuvre de celui-ci, et faciliter l'application des volets climats des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet). Un dispositif « très important », estime Ronan Dantec, qui pourrait permettre de « proposer enfin un véritable accompagnement financier de l'action climat des territoires ».

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Reste que plusieurs de ces mesures « se contredisent » avec d'autres beaucoup moins ambitieuses, donnant l'impression d'une action « illisible », décidée « au coup par coup », selon le chef de file des sénateurs écologistes. Par exemple, sur les engrais azotés, dont la matière première est entre autres l'ammoniac - un gaz dangereux pour la santé -, alors même que la Chambre haute a interdit leur utilisation pour les usages non agricoles, elle a supprimé la taxation sur ces produits proposée par les députés pour privilégier un accompagnement des agriculteurs.

Quant à l'éolien, tandis que les sénateurs ont voté le droit de veto des communes sur l'installation de nouveaux parcs, ils ont, en même temps, inscrit dans la loi un objectif très ambitieux pour l'éolien offshore de 50 GigaWatts à l'horizon 2050...

Et maintenant ?

Après son vote cet après-midi, le texte examiné en procédure accélérée devra passer en commission mixte paritaire (CMP) mi-juillet - une réunion de sept députés et sept sénateurs qui sera chargée de trouver un compromis. Si tout le monde, à l'instar de Marta de Cidrac, dit vouloir aboutir à une CMP conclusive, les divergences semblent pour l'heure trop importantes.

« On va essayer de trouver des terrains d'entente mais cela ne peut pas se faire au détriment de la qualité du texte », indique pour sa part le ministère de la transition écologique, qui espère qu'il soit définitivement adopté avant la fin du mois de septembre.

« S'ils ne parviennent pas à s'accorder, ce qui est très probable, la commission spéciale de l'Assemblée nationale s'emparera à nouveau du projet de loi. Il reviendra ensuite en séance publique mi-septembre au plus tôt, et ne serait alors pas voté avant fin septembre ou début octobre », conclut Ronan Dantec.

Marine Godelier

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Commentaire 1
à écrit le 30/06/2021 à 9:21
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"et nous éloigne toujours des objectifs européens de réduction de 55% des émissions de gaz à effet de serre" La réduction des GES n'est plus la priorité, la vie s'effondre partout à cause d'abord et avant tout du modèle agro-industriel principal ...

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