
Peur d'un « black-out » ou rejet d'une « idéologie qui ne tient pas la route » : les sénateurs ont relancé, vendredi 18 juin, le débat sur la place du nucléaire, en votant la mise en place d'une « ceinture de sécurité » à l'arrêt des réacteurs en France, lors de l'examen du projet de loi Climat. Les élus de la Chambre haute ont en effet inséré un nouvel article visant à conditionner la fermeture des centrales « à la production d'énergies renouvelables et bas carbone équivalentes ». Déposé par Stéphane Piednoir (LR, Maine-et-Loire), l'amendement vise à s'assurer qu'aucune fermeture ne puisse intervenir « sans que les marges nécessaires à l'équilibre entre la production et la consommation d'électricité n'aient été prises en compte ».
« Il n'y a pas ceux qui veulent du tout nucléaire, ceux qui veulent du tout renouvelable, il y a simplement dans cet hémicycle des élus de la République qui souhaitent que nous ne soyons pas en black-out », a fait valoir la présidente LR de la commission des Affaires économiques, Sophie Primas.
Une disposition qui permettra aussi de « conforter l'objectif de décarbonisation du texte », tout en assurant la fiabilité de la fourniture d'énergie électrique, a assuré le rapporteur Daniel Gremillet (LR) - l'énergie nucléaire étant peu productrice de gaz à effet de serre.
Un article « ni fait ni à faire »
De quoi raviver les tensions avec l'exécutif, déjà excitées par la décision du Sénat, jeudi soir, d'instaurer un droit de véto aux communes à l'installation de nouvelles éoliennes. Alliés contre cette nouvelle disposition sur le nucléaire, le gouvernement et le groupe écologiste ont déposé, sans succès, plusieurs amendements de suppression. Dans l'hémicycle, la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, a fustigé « un article ni fait ni à faire », qui « ne résout rien du tout ».
« J'aimerais tellement que ce soit si simple. On ferme une centrale et hop, on met à la place des énergies renouvelables. [...] La politique énergétique est beaucoup plus complexe que ça ! [...] Ce qui marche par contre, et c'est déjà prévu dans la loi, c'est que la politique énergétique doit assurer l'approvisionnement de notre pays, a-t-elle affirmé.
Avant de souligner l'importance, sur le fond, de revoir « notre efficacité énergétique, la sobriété, nos modes de production ». « Il y a un vrai problème, c'est que vous n'intégrez aucunement les stratégies d'efficacité énergétique et de sobriété », a abondé le sénateur écologiste Ronan Dantec.
70% du mix énergétique français
La remarque n'a pas plu à la droite de l'hémicycle : « Je suis très surpris, Mme la ministre, quand vous dites que notre article n'est, ni fait, ni à faire. Cet hiver on sait tous qu'on a joué avec le feu », a ainsi lancé Daniel Gremillet, rappelant que la commission des Affaires économiques avait procédé à de nombreuses auditions dont celle du président de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Les importations d'électricité avaient en effet dû augmenter en 2020, après que la crise sanitaire a décalé le planning de maintenance des réacteurs nucléaires, réduisant le nombre de centrales pleinement opérationnelles.
Car l'atome reste la principale source d'électricité de l'Hexagone : il représente aujourd'hui plus de 70% du mix électrique français total - contre moins de 20% pour le solaire et l'éolien. Un constat qui a conduit le sénateur Stéphane Piednoir à se questionner, dans l'Hémicycle, sur la manière de parvenir à l'objectif de 50% d'ici à 2025. « On décrète qu'on va fermer un tiers de nos réacteurs comme ça, sans réfléchir aux capacités de production qu'on peut mettre en compensation », s'est-il étonné face à Barbara Pompili.
« Il y a un certain nombre de réacteurs qui vont s'arrêter et c'est normal. C'est le cycle de vie des centrales nucléaires, comme il y a un cycle de vie des éoliennes, comme pour tout », s'est défendu la ministre de la Transition écologique.
Arrêt à venir de certains réacteurs
Prenant appui sur des propos récents du président de l'ASN, le sénateur écologiste Ronan Dantec a lui averti sur l'illusion française de « garder le stock actuel de centrales nucléaires [...] sauf à prendre décennie par décennie et année par année de plus en plus de risques ».
Dans un rapport du 27 mai, le gendarme de la filière avait d'ailleurs insisté sur l'importance d' « anticiper » l'arrêt à venir de certains réacteurs, et dénoncé un manque de préparation face au vieillissement du parc existant. Moins d'un mois plus tard, le président de la Commission de régulation de l'énergie, Jean-François Carenco, avait plaidé dans les Echos pour une augmentation du nombre d'éoliennes, en parallèle d'un déclin de l'atome.
« Penser qu'on peut miser à 100 % ou presque sur le nucléaire n'est pas sérieux, déclare-t-il. À l'horizon 2050, tous nos réacteurs se seront arrêtés », avait-il souligné.
Reste que la question est loin d'être réglée : dans l'un de ses six scénarios sur le futur du mix électrique français, le gestionnaire du réseau de transport électrique RTE laisse la porte ouverte à un avenir reposant, à part égale, sur les renouvelables et le nucléaire à l'horizon 2050. Mais loin de s'appuyer uniquement sur le parc vieillissant, il propose la construction de pas moins de 14 nouveaux EPR, et de quelques SMR, des petits réacteurs modulaires.
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