
Après le temps des députés vient celui des sénateurs : la Chambre haute s'est emparé, lundi 14 juin, du vaste projet de loi Climat inspiré des propositions de la Convention citoyenne (CCC), adopté à l'Assemblée nationale le 4 mai dernier. De 69 articles dans sa version initiale, il en compte désormais 218 - un chiffre qui pourra encore gonfler. Car l'examen en première lecture se veut « ambitieux » : avec près de 700 amendements adoptés en commission et plus de 2.000 en séance publique, les sénateurs entendent faire évoluer le texte.
« Avancer concrètement », « rendre crédibles les engagements européens de la France », « apporter une dimension positive » ou encore « redonner la main aux territoires » : en commission, les élus se sont montrés critiques sur le travail du gouvernement et les modifications apportées par les députés, dénonçant un texte « qui ne satisfait personne pour satisfaire tout le monde ».
Jusqu'à accuser, pour certains, les députés d'avoir fait preuve de « frilosité », alors même que le texte devrait permettre à la France d'atteindre les objectifs exigeants qu'elle s'est fixés, en application de l'Accord de Paris, de neutralité carbone d'ici à 2050. A la Chambre haute, force est de constater que le débat a été plus ouvert : 5% seulement des amendements déposés en commission ont été jugés irrecevables, contre 26% à l'Assemblée - un chiffre qui avait fait bondir plusieurs parlementaires, dénonçant un « déni de démocratie ».
Interdiction des publicités pour les voitures les plus polluantes en 2028
Les sénateurs ont ainsi réécrit plusieurs articles, de manière à « rehausser l'ambition » globale du texte. Parmi lesquels celui sur la mise en place de l'affichage environnemental : ils ont accéléré sa mise en place obligatoire, en fixant une date butoir de lancement des expérimentations six mois après la publication de la loi. Par ailleurs, la rénovation énergétique des logements a été enrichie, avec notamment la disparition programmée des logements de classe D en 2048. Sur le volet transport, ils ont approuvé une baisse de la TVA sur les billets de train, de 10% à 5,5%, afin d'inciter à ce mode de déplacement - c'était l'une des propositions des 150 citoyens, qui avait été rejetée par le gouvernement et les députés.
La Chambre haute s'est aussi montrée impliquée dans les questions sociales : les élus ont voté un prêt à taux zéro mobilité pour faciliter l'acquisition d'un véhicule moins polluant pour les ménages modestes, donné un coup de pouce à la vente en vrac, et plaidé pour la création d'un chèque nutritionnel pour les plus démunis.
Quant à la question de la publicité, qui avait déchaîné les passions à l'Assemblée, les sénateurs ont su y mettre leur grain de sable. Alors que les 150 souhaitaient l'interdire sur tous les produits polluants, les députés s'étaient contentés de la bannir pour les énergies fossiles, suivant la proposition du gouvernement. Or, dans le texte de la commission du Sénat, les publicités pour « les produits à impact environnemental excessif » dans l'audiovisuel public seront proscrites dès 2023 dans l'audiovisuel public. Et celles pour les voitures les plus polluantes, dès 2028. Un ajout jugé inutile par le gouvernement :
« D'ici là, il n'y aura plus aucun modèle de véhicule [...] autorisé au-dessus du seuil défini [pour considérer que le véhicule figure parmi les plus polluants, ndlr]. Ce changement se fera avec ou sans cette disposition dans la loi », estime-t-on au ministère de la Transition écologique.
Libre choix aux collectivités
Ce sont pourtant des « avancées », estime le groupe écologiste du Sénat. Mais celles-ci ne doivent pas masquer plusieurs « reculs », dénonce-t-il. Notamment sur la problématique de la lutte contre l'artificialisation des sols, volet entièrement revu par les sénateurs pour privilégier une « approche territorialisée » et assouplir les délais. Et ce, en « faisant confiance aux élus locaux pour s'inscrire eux-mêmes dans la trajectoire » de zéro artificialisation net, avait précisé Jean-Baptiste Blanc, rapporteur pour ce volet. Même discours sur les zones à faible émission (ZFE), qui limitent la circulation des véhicules les plus polluants dans les agglomérations : les élus de la Chambre haute ont donné libre choix aux collectivités territoriales de définir leurs modalité, et décalé les échéances.
Sur le volet alimentation, par ailleurs, ils ont maintenu l'expérimentation des menus végétariens hebdomadaires à la cantine plutôt que de demander leur pérennisation, comme voté par les députés. Une décision incompréhensible pour le ministère de la Transition écologique, qui souligne un « bilan positif » des tests déjà menés en la matière, et prône désormais la généralisation. Le WWF France a lui dénoncé un « détricotage » de la mesure, et Greenpeace une ambition « revue à la baisse ».
Autre point dur : l'encadrement prévu pour les engrais azotés, dont la matière première est, entre autres, l'ammoniac - un gaz dangereux pour la santé. Alors que les députés prévoyaient de taxer son utilisation, les sénateurs ont plutôt prévu un plan, « Eco-Azot », rassemblant des mesures d'accompagnement des agriculteurs afin de réduire l'usage de ces engrais. A défaut de réussite de ce plan seulement, une redevance serait envisagée, mais uniquement au niveau européen. « C'est bien moins ambitieux que l'équilibre initial trouvé », regrette-t-on au ministère de la Transition écologique.
Commission mixte paritaire
Contre le franchissement de ces « lignes rouges », le gouvernement a déposé une vingtaine d'amendements, parmi une soixantaine en tout. Le texte doit être validé définitivement fin 2021 et être complété par un volet constitutionnel, afin d'inscrire le climat dans la Loi fondamentale.
En cas de non-entente des deux assemblées, une commission mixte paritaire (CMP) sera réunie, afin d'aboutir à la conciliation. Mais le gouvernement l'assure : « On ne souhaite pas que la CMP se fasse au détriment de la qualité du texte ». Reste qu'il affiche une « détermination totale » pour adopter celui-ci « avant la fin du quinquennat ».
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