Formation professionnelle : osons plus d'inégalités pour rendre le système plus juste

Par sa connotation inégalitaire, l’idée d’une segmentation peut choquer. Selon Joël Elkaïm, associé responsable du secteur public du cabinet Deloitte, c’est pourtant une technique qui permettrait d’en finir avec l’actuelle inefficacité d’allocation des ressources de formation.
Joël Elkaïm (c) DR

Le gouvernement a clairement exprimé sa volonté de recentrer la politique publique de formation professionnelle sur les publics les plus fragilisés vis-à-vis de l'emploi : les jeunes peu ou pas qualifiés, les demandeurs d'emploi, les salariés les plus exposés par les mutations économiques. Si l'urgence de la situation de l'emploi en France justifie amplement cette orientation, l'inscription de cette priorité dans la future loi sur la formation professionnelle et, sa mise en œuvre concrète demandent de s'attaquer à des questions difficiles.

Épargnons la complexité du système aux bénéficiaires

Instaurée en 1970, la formation professionnelle représentait en 2010 un investissement annuel de 32,5 milliards d'euros (13,1 ayant été versés par les entreprises) soit 1,6% du PIB et un marché composé d'environ 60.000 organismes.

Certes, le système de formation professionnelle est complexe : on peut déplorer sa lourdeur, son coût, son manque d'efficacité, etc. Une fois ces constats posés, reconnaissons que la complexité ne serait pas si problématique si les acteurs du secteur étaient seuls à en subir les conséquences. Or, elle pèse surtout sur les utilisateurs du système, en particulier sur les publics les moins bien armés pour faire progresser leur employabilité. La priorité consiste à simplifier l'accès à la formation et de rendre lisibles pour tous les bénéficiaires aussi bien les droits, que les offres et les possibilités de parcours.

Faire évoluer l'égalité vers la garantie de l'équité

Il est techniquement tout à fait possible d'améliorer le système existant. La première condition est d'accepter de mettre à distance le principe d'égalité du système de formation actuel. L'égalité poussée à l'extrême ne produit pas l'équité attendue. En effet, il bénéficie en premier lieu aux salariés les plus qualifiés : en 2010, toutes tailles d'entreprises confondues, 56% des cadres ont eu accès à des cours ou à des stages pour seulement 39% des employés et 35% des ouvriers. Les collaborateurs des entreprises de plus de 1000 salariés sont statistiquement favorisés : ils sont 59% à avoir bénéficié d'une formation en 2010, contre 24% dans les entreprises de 10 à 19 salariés. Dans nombre de ces petites structures, les droits à la formation ne sont pas utilisés tout simplement parce que personne n'a le temps de s'en préoccuper. Enfin, il est démontré que les jeunes sortis du système scolaire sans qualification n'ont pas accès à la formation professionnelle et, comme l'a rappelé le Président de la République, 13% de l'effort financier global est dédié aux demandeurs d'emploi. 

Segmenter pour être plus pertinent donc plus efficace

Pour recentrer la politique de formation sur ceux qui en ont le plus besoin, il faut sortir de la logique des pourcentages et des grandes masses - les jeunes, les chômeurs, les salariés les plus exposés… - et accepter de passer à une logique de segmentation. Le mot, par sa connotation inégalitaire et sa coloration « marketing », peut choquer mais il faut le prendre pour ce qu'il est : une technique éprouvée pour sortir des réponses indifférenciées et s'assurer que les 32 milliards mobilisés servent à accompagner les personnes qui en ont le plus besoin vers les qualifications les plus porteuses et adaptées au tissu économique local.

Réaliser cet effort de segmentation préalable exige une base de technicité. Investir le temps de cette réalisation, c'est se donner les moyens d'améliorer la lisibilité de l'offre de formation pour les personnes les moins armées en les extrayant de la complexité inhérente à l'écosystème actuel. Ce point est fondamental pour généraliser l'accès individuel à des parcours de formation pertinents tout au long de la vie professionnelle. C'est la condition pour qu'un outil tel que le compte personnel de formation - qui est une avancée dont les modalités restent à définir - ne reconduise pas les travers du système existant.

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Commentaire 1
à écrit le 09/04/2017 à 12:22
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Fessenheim: un effet de manche préélectoral . Une classe politique qui a bien du mal à comprendre que l'on ne doit plus pratiquer la politique de nos grands-pères. Les esprits sont suffisamment éclairés pour discerner les faits et les replacer dans l...

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