Point de vue michel maffesoli Membre de l'Institut universit...

Point de vue michel maffesoli Membre de l'Institut universitaire de France (*)Un président postmoderneSi « le président de tous les Français » ne laisse personne indifférent, c'est parce qu'il s'identifie avec l'« esprit du temps ». En symbiose avec l'ambiance postmoderne, il projette du ludique, du compassionnel et du métissage dans une société française qui peine à reconnaître les changements en cours. D'où l'acharnement des « gardiens du temple » de la modernité contre celui qui incarne cette « rupture ».Le concernant, même les fluctuations des sondages sont instructives. Leurs variations montrent bien qu'il ne laisse en rien indifférent. En fait, s'il est omniprésent dans les medias, c'est certainement parce que le « président de tous les Français » correspond en profondeur à « tous ces Français ». Il est en phase avec « l'homme sans qualités », en « accordance », pour le meilleur et pour le pire, avec une réalité profonde. Celle de l'esprit du temps. Disons le tout net, Nicolas Sarkozy est postmoderne. Et c'est cela, justement, qui chagrine les divers observateurs sociaux. On pourrait même dire toute cette intelligentsia qui reste frénétiquement attachée à ces valeurs modernes dont on peine à reconnaître, en France, qu'elles sont en faillite.Quelles sont donc ces « caractéristiques essentielles » qui, contre vents et marée, qu'il en soit ou non conscient, connectent Nicolas Sarkozy à l'ambiance postmoderne ? Je ne soulignerai que quelques « accroches » spécifiques déterminant la profonde symbiose entre le président et la vie de tous les jours.D'abord, en ces supposés temps de « crise », il y a du ludique dans l'air. On ne sait pas de quoi sera fait demain, aussi faut-il jouir de ce qui se présente, ici et maintenant. Ce qui, bien sûr, est en écho avec un hédonisme latent, ambiental. Ce désir de jouissance est là, profond, et a envie de s'exprimer, ne serait-ce qu'en fonction des incertitudes de l'avenir. Et si le côté « bling-bling » de Nicolas Sarkozy, son appétence pour les yachts et autres luxes, disait en majeur ce que tout un chacun a envie de vivre en mineur ? Projection, rêve collectif, où l'on « participe » magiquement, mystiquement, aux bonheurs du chef.Ce ludique n'est pas éloigné, non plus, de l'importance du « compassionnel ». Une autre caractéristique à laquelle peu de chefs d'État peuvent échapper. La grande ambition moderne de la résolution de tous les problèmes sociaux ou économiques est quelque peu désuète. Le sentiment tragique de l'existence est là qui fait qu'il faut s'accorder, tant bien que mal, à ce qui est. Dès lors, à défaut de sauver, il faut compatir, panser les plaies, utiliser des mots qui sachent adoucir les maux. Dans une usine en difficulté, un port de pêche, sur les lieux des désastres naturels, sans oublier ceux où se déroulent les habituelles tragédies de la vie quotidienne.« Omniprésence », a-t-on dit. En fait, conscience, ou plutôt pressentiment qu'il faut savoir vibrer avec la douleur et la déréliction humaines. Même les plus froids des politiques « sentent » bien qu'il faut mettre en ?uvre une telle empathie caritative. Cela ne règle rien mais, je l'ai dit, notre espèce animale a besoin de ces mots pour ses maux. Nicolas Sarkozy sait, au-delà de la fonction de président, jouer ce rôle de « compatisseur ».Ce jeu de la vibration, les sociologues parlent de « syntonie », n'est pas sans rapport avec une troisième caractéristique du temps. Celle du métissage. Ce président « d'origine étrangère », selon l'expression de certains, hume, là encore, l'air du temps. La République n'est plus une et indivisible, ainsi que cela fut dit au grand moment de la modernité laïque. La « Res publica » peut être une mosaïque de communautés spécifiques qui s'ajustent, tant bien que mal, les unes aux autres. L'ambiance du moment est à la tolérance, les pratiques juvéniles en font foi. Ainsi que le signalait Nietzsche, « lieux où les races sont mêlées, sources de grandes cultures ». Et un tel métissage nécessite que l'on sache prendre en compte la religiosité spécifique de chacune de ces communautés. Il n'y a là, dans cette vision prospective, rien de choquant, même si cela peut inquiéter les nostalgiques d'un républicanisme dépassé. Voilà encore une solide intuition dont, à terme, Nicolas Sarkozy sera crédité.Bien évidemment, toutes ces particularités ne renvoient plus à l'individu. Des esprits pressés et peu informés croient voir dans la postmodernité le triomphe de l'individualisme. Il n'en est rien. C'était au contraire la marque des temps modernes. Du « bourgeoisisme » sous ses variantes socialistes et capitalistes. En fait, l'air du temps présent est aux « nous ». Avec les nouvelles formes de générosité ou de solidarité que cela induit. C'est bien à ces « nous », à forte composante affectuelle, que fait appel le président Sarkozy. Ces communautés, redonnant force et vigueur au sentiment d'appartenance, il sait en user parce qu'il pressent bien que ce sont elles qui vont constituer la société complexe de demain.L'ensemble de tout cela culmine dans un glissement d'importance qui est en train de s'opérer dans la postmodernité naissante : celui du contrat au pacte. Le contrat était d'essence purement rationnelle. Le pacte, au contraire, se caractérise par une forte charge émotionnelle. Le contrat social est censé s'établir sur la longue durée. Il repose sur un « plan » raisonné et prédictible. Il est essentiellement tourné vers le futur. Vers la recherche d'une société parfaite. Tout autre est le « pacte », dont les caractéristiques sont la mobilisation des émotions, avec l'aspect éphémère que cela ne manque pas d'induire. Et c'est bien ce dernier que met en ?uvre Nicolas Sarkozy. Son pragmatisme, ses réponses immédiates aux problèmes qui se présentent en témoignent. Il y a du « situationnisme » dans l'air.On pourrait continuer une litanie en ce sens. Qu'il en soit ou non conscient, le président Sarkozy est en phase avec l'évolution présente. D'ailleurs, il ne la crée pas, mais se contente d'en être le « haut-parleur ». Dire tout haut ce qui est vécu à bas bruit. Ces manières peuvent offusquer. Mais s'il irrite, c'est bien parce qu'il met le doigt là où ça fait mal : des valeurs sociales en perdition, des valeurs sociétales en émergence. Ayant « invent頻 la modernité, en particulier celle du contrat social, la France a bien du mal à reconnaître les changements de fond en cours. D'où l'acharnement des gardiens du temple vis-à-vis de tout ce ou de tous ceux exprimant ces changements : s'ajuster, tant bien que mal, au monde tel qu'il est ; ne plus faire fond sur ce qui « devrait être », voilà ce qui peut irriter. Mais on ne peut plus confondre l'« opinion publiée » et l'« opinion publique ». Et cela, Nicolas Sarkozy l'a bien compris. À terme, voilà sa principale force. n(*) Dernier ouvrage paru : « Apocalypse », CNRS Éditions. 2009.
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