En Turquie, même le roi du jean se serre la ceinture

Dans le hangar de l'usine d'Orta Anadolu, les balles de coton s'entassent. Pendant que les machines du premier fabricant mondial de toile denim peignent, filent, tressent et teignent, les acheteurs et les designers des grandes marques de jeans travaillent de concert avec les spécialistes anatoliens de l'entreprise pour définir la tendance des prochaines saisons. Pour l'été 2009, le débat est tranché. Le jean sera très léger, presque aérien. Il se déclinera en bleu, comme d'habitude, mais aussi en kaki clair et beige. Mais plus que le cahier de tendances, c'est le carnet de commandes qui, pour l'heure, pose problème. « Nous nous attendons à un recul de la demande de l'ordre de 30 % l'an prochain », reconnaît Ömer Ender Gülsen, le directeur de la fabrication de cette filature. À Kayseri, principale ville industrielle de la Cappadoce, Orta Anadolu est un symbole de ce qu'on a appelé les tigres anatoliens. Fondée dans les années 50 par une famille locale, l'entreprise est désormais reconnue au niveau mondial pour la qualité de ses toiles, utilisées par de grandes marques, de Replay à Calvin Klein, en passant par Dior, Ralph Lauren et DKNY. « Les Européens et les Américains n'achètent déjà plus de voitures. À l'avenir, ils pourraient aussi bouder des produits moins chers, comme les jeans de marque », avance le producteur anatolien. Ceux qui sont fabriqués à partir du denim anatolien se vendent jusqu'à 200 dollars à Paris, New York ou Tokyo. 30 % des jeans de l'américain Levi's sont produits avec de la toile fabriquée par Orta Anadolu. Les États-Unis lui achètent un quart de sa production, l'UE le double. Au total, 80 % de son chiffre d'affaires est réalisé à l'export. bras de fer avec le FMILe roi du denim n'est pas le seul à craindre la récession. Chez Tofas, le joint-venture turco-italien de Fiat, l'inquiétude est à son comble. Dans l'usine de Bursa, au sud-ouest d'Istanbul, les responsables ont beau tenté de faire bonne figure, la production n'en a pas moins déjà chuté de moitié. Les entreprises turques ont depuis quelques semaines moins recours aux sous-traitants. Elles devront sans doute licencier dans les mois qui viennent. De quoi enclencher une spirale fatale pour l'économie du pays. « Les souvenirs de la terrible crise de 2001-2002 sont si présents que nous avons évité, au début tout au moins, d'employer le mot crise dans nos titres », raconte Eyüp Can Saglik, le rédacteur en chef de « Referans », le quotidien économique du pays. « Même chose pour le gouvernement, qui n'a pas analysé la situation correctement au début », ajoute-t-il. Mais les faits sont là. Reste à savoir maintenant quelles concessions le parti islamo-conservateur au pouvoir, l'AKP, est prêt à consentir au FMI pour obtenir les liquidités dont le pays a besoin. L'institution invite la Turquie à accroître ses rentrées fiscales en augmentant la TVA. Le taux de 8 % qui s'applique à certains produits (des machines agricoles aux chambres d'hôtel) devrait, selon le FMI, passer à 18 %. Pour le moment, le gouvernement préfère se focaliser sur la réduction du déficit de la sécurité sociale en rognant sur les dépenses de santé. Ankara rechigne par ailleurs à diminuer les aides et subventions accordées aux municipalités. Les prochaines élections locales auront lieu en mars prochain et l'AKP ne veut pas donner un argument de plus à l'opposition. Kamil Yilmaz, professeur d'économie à l'université Koç, à Istanbul, met cependant en garde le pouvoir en place. « Nous avons besoin des fonds du FMI pour compenser le ralentissement des investissements directs étrangers, qui, jusqu'à présent, venaient dynamiser l'économie. Si le gouvernement ne réussit pas à trouver un accord, il perdra les prochaines élections générales. » Dans ce contexte, l'Europe paraît bien lointaine? Certes, la Commission européenne cofinance des projets lancés par des entreprises locales, en Anatolie et ailleurs dans le pays, mais en cette période de crise, il n'est pas question, dans l'esprit de ces entrepreneurs locaux, d'argent frais qui viendrait de Bruxelles pour résoudre la crise. D'ailleurs, l'adhésion (éventuelle) de leur pays à l'Union n'est pas, ou plus, considérée comme le remède magique. Les patrons anatoliens ont même tendance à minimiser les avantages économiques qu'elle offrirait. « Nous avons déjà un accord douanier, et en temps normal, nous exportons dans l'Union sans difficult頻, précise ainsi Ömer Ender Gülsen, le directeur de la fabrication d'Orta Anadolu. « Une adhésion induirait certes une hausse du niveau de vie, mais elle irait de pair avec une augmentation des impôts et des salaires. De quoi rendre nos exportations moins compétitives », ajoute-t-il.en hibernation forcéePour l'heure, les tigres anatoliens n'ont donc plus qu'à rentrer leurs griffes. Eux qui n'ont pas besoin de liquidités (traditionnellement, ils s'appuient sur leurs propres ressources financières pour fonctionner) ne peuvent que faire le gros dos, en attendant que la demande extérieure reprenne. Après cela, ils pourront repartir à la conquête du monde. Et investir, comme nombre d'entre eux semblent vouloir le faire, en Europe. n dans un tel contexte, l'adhésion à l'ue n'est plus le remède magique.exergue colfine30 % des jeans de Levi's sont produits avec de la toile fabriquée par Orta Anadolu.
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