Vaillants libraires  ! Au Havre,

Vaillants libraires !Au Havre, Gilles de La Porte, fondateur de La Galerne, a une jolie formule pour résumer son métier de libraire. Il se dit « producteur d'assortiments ». « C'est fouetter les toupies qui tournent tout en entretenant des ouvrages de fond. Servir à la fois le client venu acheter le dernier Gavalda, et celui qui cherche ?Les Confessions? de saint Augustin dans la Pléiade. » D'ailleurs, c'est bien simple, pour Jacques Fourès, patron de la librairie Géronimo à Metz, « un livre n'est pas tout à fait fini tant que le libraire n'a pas fait son travail ». Pour mettre les ouvrages en scène, l'ancien prof de philo et son équipe de six personnes réactualisent en permanence une vitrine reflétant l'actualité littéraire, proposent leurs sélections sur de vastes tables de lecture et, surtout, font la part belle aux auteurs. Quelque 500 écrivains sont venus à la rencontre de leurs lecteurs messins à l'étage de la librairie. Accueillis en amis, ils reviennent volontiers : Jean Echenoz et Pascal Quignard approchent la dizaine de visites. Créée dans le quartier universitaire en 1976, puis relocalisée en plein centre-ville de Metz voici quinze ans, Géronimo s'est ainsi imposée comme un lieu attractif et vivant.Il est là, le secret de ces librairies qui durent. Dans leur façon bien à elles de créer un lien avec les lecteurs. Celles qui se battent, face aux poids lourds que sont la Fnac et la grande distribution, ne ménagent pas leur peine pour vivre de leur passion. Rencontres et signatures avec les auteurs, réalisation de vitrines originales confiées parfois à des écoles de design, comme la Librairie Coiffard à Nantes, un site Web riche en critiques, ou encore un journal interne foisonnant, tout est bon pour créer une relation unique avec ceux qui franchissent leur seuil. Apéros littérairesDans la périphérie de Nantes, à Clisson, la Très Petite Librairie, ouverte en 2005 par Laurence Neveu, privilégie les petits éditeurs, comme les Éditions du Chemin de Fer, et les livres que l'on ne trouve pas ailleurs, tels des ouvrages d'artistes de la région qu'ils laissent en dépôt. Une fois par mois, elle organise un apéritif littéraire : les gens viennent avec un livre et/ou une bouteille et font part de leurs dernières découvertes autour d'un verre. Un club de lecture est né : le petit groupe lit le même livre et partage ensuite ses impressions. Une formule qui a fait des émules, comme chez Les Vents m'ont dit à Pornic.Certaines organisent aussi des prix littéraires, telle La Galerne avec son prix Océanes ou le prix des Embouquineurs pour les enfants, et prennent part à des rencontres littéraires régionales. Page et Plume à Limoges crée des événements littéraires dans les bibliothèques et participe à « Lire à Limoges », qui accueille 60.000 visiteurs en trois jours tous les premiers week-ends d'avril. Ses vitrines correspondent aussi à des événements régionaux. Et si un livre sur la porcelaine vient à être édité, il trouve sa place presque naturellement entre tasses et assiettes. D'autres montent des colloques ou des congrès sur des thèmes qui leur sont chers, à l'instar de Vent d'Ouest à Nantes, passionnée de médecine et de psychologie. Il y a huit ans, elle a ouvert une succursale au Lieu Unique, centre culturel implanté dans l'ancienne usine LU. Cela lui a aussi permis de capter un public différent et plus jeune.Rayons en ligneSur la Toile, le lien se poursuit. Le site Web de la librairie limougeaude Page et Plume est animé par David, un de ses libraires. Dans ses « coups de c?ur », il propose régulièrement une sélection de livres. Maud Dubarry, la gérante, préfère ne pas mettre en avant les nouveautés mais les préférences de ses employés libraires : « Notre classement est toujours très différent de ceux des ventes. Nous sommes une librairie de conseils, lorsqu'un client cherche un titre ou un auteur, nous menons un travail de recherche pour le satisfaire. » Sur le site de Rev'En Pages, toujours à Limoges, les lecteurs retrouvent là aussi une sélection de coups de c?ur et sont informés de l'actualité de la librairie. « Nous adhérons à l'Association des librairies spécialisées jeunesse qui anime un blog et une revue baptisée ?Citrouille?. Mon associée y apporte sa contribution avec un groupe de libraires de toute la France. Elle envoie des résumés de livres, rédige des articles sur les auteurs et les ouvrages », ajoute Agnès Gizardin, la cogérante.Certaines préfèrent le conseil personnalisé à la critique littéraire. Comme Catherine Mugnier de La Librairie Imaginaire à Annecy. « Une bonne librairie, c'est une librairie qui donne envie de lire quand on y entre et où l'on ne peut pas s'empêcher de toucher les livres. J'ai des petites tables de présentation mais surtout je préfère en parler plutôt que de mettre des étiquettes car c'est tellement personnel, un livre ! Je ne peux pas déclarer que l'un ou l'autre doit être lu. L'ouvrage qui conviendrait à tout le monde n'existe pas. »Découvrir des écrivainsRaison de plus pour défendre un fonds riche et diversifié, fer de lance d'une bonne librairie. À Chambéry, Laurence Quénart, libraire depuis trente ans et chargée de la littérature française et étrangère chez Garin, résume assez bien la difficulté du métier : « Pouvoir sortir quelques petites pépites de toute cette production pléthorique, c'est-à-dire découvrir des auteurs dont on ne parle pas forcément et les conseiller. Mais aussi avoir du fonds, c'est-à-dire des livres qui ont plus d'un an. C'est toute la différence entre une librairie indépendante et une Fnac. La question est de savoir ce que l'on garde et combien de temps, car cela coûte cher. On fait donc une sélection draconienne. » D'autant que, poursuit la professionnelle, « les livres que je peux soutenir ne conviennent pas forcément à tout le monde. Mon but n'est donc pas de placer les ouvrages que je préfère, mais de satisfaire les lecteurs du mieux possible. Pour les conseiller dans leur choix, je leur demande ceux qu'ils ont aimés ».Mais le moment préféré des lecteurs, c'est de rencontrer leur auteur favori. À ce jeu-là, les librairies sont devenues des championnes. Elles en ont fait le grand classique de leur politique d'animation. Les Jean d'Ormesson, Amélie Nothomb, Anna Gavalda, Hubert Reeves, Michel Serres, Daniel Pennac, ou François Vallejo ne se font plus vraiment prier pour se déplacer. Avec, pour certains d'entre eux, une forme d'appréhension. Ainsi Marie Ndiaye, qui participait à l'Escale du livre de Bordeaux le 4 avril dernier, a accepté de jouer dans une pièce sonore dans laquelle elle devait lire des extraits de son prochain livre à paraître cet été. « Le test de l'oral peut être cruel : les phrases bancales n'y résistent pas, le ridicule semble toujours prêt à surgir, ou l'absurdité du processus même de l'écriture. C'est véritablement une mise à l'épreuve », a confié la jeune femme écrivain.Rendez-vous d'auteursÀ la célèbre librairie lilloise Le Furet du Nord, une des plus grandes librairies d'Europe (7.000 m2, 7 niveaux différents), troisième librairie française selon « Livres Hebdo » derrière Gibert Joseph et Gibert Jeune Rive Gauche et première librairie de province (devant Mollat à Bordeaux), les auteurs viennent très régulièrement. Plutôt des poids lourds comme Harlan Coben, Philippe Labro, Michel Drucker, Gonzague Saint Bris, Gisèle Halimi, Hubert Reeves, André Comte-Sponville ou le Prix Fémina 2008, Jean-Louis Fournier? mais aussi des auteurs de BD comme Manu Larcenet ou l'auteur de polars belge Pieter Aspe. Au total Le Furet en accueille entre 40 et 50 par an et mène une politique événementielle dynamique. Le vendredi 13 février dernier, il a ouvert exceptionnellement dès 6?h?45 pour recevoir les équipes d'Europe 1 qui y réalisaient leur matinale en direct et en public.Mais les toutes petites librairies ont, elles, parfois du mal à attirer le chaland. « Si des liens de proximité s'établissent petit à petit, les gens ont plus de gêne à entrer dans une librairie indépendante que dans un lieu plus grand, où ils peuvent se réfugier derrière un certain anonymat. À cette barrière, il ne faut donc pas en ajouter une autre, mais au contraire respecter un espace d'intimité. La proximité ne peut donc pas s'établir violemment, mais progressivement, naturellement », reconnaît Alain Coulon, gérant de la librairie Le Bois d'Amarante à Chambéry.Il n'empêche : de l'avis de tous, service et conseil sont les deux raisons d'être du libraire indépendant. À la fois lieu de débat culturel, générateur de lien social et parfois même un brin politique comme Les Temps Modernes à Orléans créés en 1964 par Madeleine Zay (épouse de Jean Zay, ministre du Front populaire assassiné par la milice en 1944) et sa fille Catherine. Pour la créer, Catherine a dû obtenir l'autorisation de Jean-Paul Sartre (qui éditait la revue « Les Temps Modernes »). Refuge des intellectuels orléanais, on y trouve tous les éditeurs un peu marginaux. Résultat : la librairie a bien résisté à l'arrivée de la Fnac.Sustenter l'intellectCar, s'il est un élément avec lequel aucune grande enseigne ne pourra rivaliser, c'est bien la convivialité. Tout le monde au Havre connaît les canapés en cuir rouge de La Galerne. Les cadres y viennent entre deux rendez-vous, les lycéens ou étudiants y révisent leurs cours, les mères de famille y laissent leur progéniture au coin « enfants ». Nombreux viennent aussi s'attabler au coin bistrot au milieu des livres où l'on peut déjeuner et prendre un café. Une idée qui est venue au couple de la Porte lors de leur visite chez Barnes & Noble à New York en 1999, année de l'arrivée de la Fnac au Havre justement. Ils y observent un « vieux monsieur assis dans un fauteuil, les Nike défaites, avec un livre type Pléiade dans une main et une assiette de spaghettis dans l'autre ». Son bonheur manifeste a fait office de révélation. De retour au Havre, les propriétaires de la Galerne ont revu l'aménagement de leur librairie. Car une librairie, « notre » librairie, c'est bel et bien un lieu où découverte et ressourcement ont partie liée. Où les sens se réveillent. Où l'appétit intellectuel vient se sustenter, grâce à ceux qui savent si bien l'aiguiser. Sophie Péters avec les correspondants régionaux Muriel Beaudoing, à Chambéry et Grenoble ; Fabienne Proux, à Nantes ; Claire Garnier, au Havre ; Corinne Mérigaud, à Limoges ; Éric Maitrot, à Lille ; Mikaël Cabon, à Brest ; Pascale Braun, à Metz ; Jean-Jacques Talpin, à Orléans.Les libraires de France et de Navarre sont aujourd'hui des héros du commerce. Donnés pour morts il y a vingt-cinq ans, ils sont des centaines à s'être battus comme des lions pour défendre leur droit à la différence face aux grandes enseignes. Rencontre avec ces libraires qui font de la résistance.
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