Robert Frank, des Parisiens aux Américains

Il a révolutionné la photographie documentaire, dézingué les dogmes en vigueur dans les années 1950, avant d'ouvrir la voie à une nouvelle génération de photographes emmenée par Diane Arbus. Figure majeure du médium, Robert Frank est aujourd'hui à l'honneur au Jeu de Paume à Paris. L'occasion d'une exposition aussi passionnante qu'indispensable. D'abord parce qu'elle donne à voir un moment charnière de l'histoire de la photographie. Ensuite parce qu'elle dévoile, aux côtés des tirages les plus mythiques réalisés aux États-Unis entre 1955 et 1956, des images moins connues, voire inédites, saisies à Paris quelques années auparavant.Né à Zurich en 1924, installé aux États-Unis dès 1947, Robert Frank revenait régulièrement sur le Vieux Continent. Il l'immortalise alors avec une certaine mélancolie. Tel Paris. À l'orée des fifties, la ville à peine sortie de la guerre tente de se reconstruire. Mais ce qui attire le regard de Frank, ce sont les fleurs qui ponctuent ses déambulations. Certaines, réservées aux amoureux ou débordant des balcons, célèbrent la joie de vivre. D'autres, emprisonnées dans des corbillards, déposées sur les plaques en hommage aux résistants, rappellent que la mort n'est jamais bien loin. Difficile de ne pas penser à Atget en voyant ces photos. Comme lui, Frank saisit la ville quand elle est vide. Il emprunte aussi aux surréalistes lorsqu'il photographie par exemple un berceau oublié sur le trottoir.Il faut attendre 1955 pour que son ?uvre se radicalise. Robert Frank s'embarque pour une longue traversée des États-Unis. À son retour, ses images font l'effet d'une bombe. Sur le fond, tout d'abord. En ces heures où l'Amérique triomphante règne sur le « monde libre », lui s'est attaché à photographier les laissés-pour-compte du pays. À commencer par les Afro-Américains, victimes d'un apartheid tacite. Les petits Blancs semblent pour leur part encore marqués par la Dépression. Il y a aussi les travestis ou les enfants abandonnés à eux-mêmes.un vrai stylePas question pour Frank de reprendre les codes de la photographie humaniste alors en vogue. Là où ses aînés regardaient les hommes comme des héros, lui se fait plus critique. Plutôt que d'enserrer le monde en une seule image, nette, portée par un cadrage impeccable, il travaille par série et se moque de la composition géométrique si chère à Cartier-Bresson. Il arrive que ses tirages soient flous, totalement décadrés, granuleux. Qu'importe.Impossible dans ces cas-là de trouver un éditeur aux États-Unis. D'autant que Frank exige que ses photos soient présentées en une longue séquence quasi cinématographique. Seul un jeune éditeur français ose publier l'ouvrage, baptisé « les Américains », en 1958. Il se nomme Robert Delpire. Mais ça, c'est une autre histoire que nous contera la Maison européenne de la photographie à l'automne prochain. n« Robert Frank, un regard étranger », au Jeu de Paume, site Concorde, 1, place de la Concorde, 75008 Paris. Ouvert tous les jours sauf le lundi, de 12 heures à 19 heures, à partir de 10 heures le week-end, et jusqu'à 21 heures le mardi. Tél. : 01?47?03?12?50. Jusqu'au 22 mars.
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