Mais combien vaut donc Internet en Bourse ?

Le monde d'après-crise serait-il devenu « hors de prix », comme le pense le célèbre économiste Robert Shiller ? La question mérite en tout cas d'être posée à l'aune des valorisations impressionnantes qui sont régulièrement annoncées pour les « success stories » du Web, toutes candidates à une prochaine introduction en Bourse. À peine valorisé 50 milliards de dollars en décembre, lors d'une levée de fonds très médiatisée par Goldman Sachs, Facebook, numéro un mondial du réseau social sur Internet, vient de voir sa valeur grimper de plus de 40 %, à 83 milliards de dollars (plus de 40 fois le chiffre d'affaires 2010), sur un marché parallèle d'échange de titres non cotés. Et que dire de Groupon, spécialisé dans les achats groupés à prix réduits, qui a réussi une levée de fonds de 950 millions de dollars auprès de Morgan Stanley et de tous les grands noms du capital-risque (la plus grosse opération jamais réalisée par une start-up), après avoir refusé une offre de rachat de Google à 6 milliards, soit un prix multiplié par six par rapport à la précédente levée de fonds d'avril 2010.Le site se développe très vite et voit grand : il prépare une introduction en Bourse et suggère même une capitalisation de 15 milliards, pour un chiffre d'affaires inconnu (800 millions ?). Pourquoi pas, mais le réseau professionnel LinkedIn, fort de ses 160 millions de dollars de chiffre d'affaires et d'une perte attendue pour 2011, compte être le premier « social media » à être coté à Wall Street, pour une valorisation comprise entre 2 et 3 milliards de dollars. Les autres Twitter, Quaker, Zynga, etc. entendent aussi battre le fer tant qu'il est chaud.Alors, nouvelle bulle 3.0 ? Non, cette fois-ci, « c'est différent », répondent en choeur les analystes. Ils ne manquent pas d'arguments. Le marché a complètement changé depuis la fin des années 1990 : les consommateurs sont tous branchés sur l'Internet mobile et sont désormais habitués à dépenser en ligne ; les start-up génèrent rapidement du chiffre d'affaires et le secteur des « IT » n'a guère sollicité la Bourse ces dix dernières années. Enfin, il n'existe pas de trace de bulle dans l'univers du coté : le Nasdaq n'a que légèrement « surperformé » les principaux indices et Apple, l'enfant chéri du secteur, reste valorisé 14 fois ses bénéfices.Les interrogations ne portent donc que sur le non-coté. Sur quoi ces valorisations reposent-elles ? Tout d'abord, sur un prix de transaction lors d'une levée de fonds, le dernier prix chassant le précédent. Ensuite, sur un effet rareté. Toutes ces entreprises (et leurs fondateurs) sont des stars médiatiques qui incarnent le succès. Mais elles n'ont que très peu de titres à proposer sur ces nouveaux marchés « gris » qui ne cessent de se développer et qui font désormais le prix. C'est un changement radical pour le monde du capital-risque. Il fallait auparavant justifier la valorisation des actifs non cotés sur des critères précis, sous l'oeil attentif des commissaires aux comptes des fonds. Les assouplissements réglementaires permettant aux entreprises de créer leur propre Bourse d'échange ont changé la donne. Ces dispositions permettent d'accroître la liquidité et de faciliter le financement des start-up ; elles se révèlent surtout être une formidable machine à organiser la pénurie. La décote d'illiquidité propre au non-coté devient une surcote de rareté, au plus grand profit des fondateurs, des capital-risqueurs et des banques d'affaires.Un petit monde au départ ; mais aujourd'hui chacun veut un ticket. Car, enfin, les marchés financiers ont retrouvé une appétence pour le risque, dans un environnement où les liquidités abondent et où toutes les classes d'actifs sont devenues chères. Quitte à payer, autant miser sur le jackpot. La question « combien cela vaut-il ? » devient alors toute relative. La réponse la plus honnête serait : « Je n'en sais strictement rien. » Sur le modèle économique, on ne peut qu'être convaincu par la diffusion inexorable des réseaux sociaux, notamment dans les pays émergents (l'Indonésie est le troisième utilisateur mondial de Facebook) et leur capacité à bouleverser la distribution et la publicité. Cela ne donne pas un prix. À ceux qui pensent que les banques d'affaires sont les seules à pouvoir délivrer une juste appréciation, les sceptiques souligneront le mélange des genres des banques qui sont à la fois investisseur, vendeur de titres pour leur clientèle fortunée et conseil pour les prochaines introductions, avec de généreuses commissions à la clé.Reste enfin le désir de participer à « la prochaine grande histoire boursière ». Chacun se souvient que Google, à 85 dollars l'action lors de son introduction en Bourse en 2004, était « hors de prix ». Les réseaux sociaux explosent, c'est une certitude. Mais, comme pour toute rupture technologique, il n'y aura toujours que quelques gagnants et beaucoup de perdants.L'analyse
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