La Belgique ? sans tête, le business s'en moque

La Belgique a appris à vivre sans pilote à son bord. Alors qu'en France, une vacance du pouvoir, même quelques jours, paraîtrait impensable, le royaume vit depuis bientôt six mois avec un simple pilote automatique. L'économie ne semble pas souffrir du fait que le gouvernement chargé des « affaires courantes » du multidémissionnaire Yves Leterme ne puisse prendre aucune grande décision. Au contraire, « la confiance des entrepreneurs s'est renforcée » ces derniers mois « dans toutes les branches d'activité », selon la Fédération des entreprises de Belgique (FEB). Du côté des investisseurs particuliers aussi, l'heure est à l'optimisme. Ils sont 47 % à observer une amélioration de la conjoncture sur les trois derniers mois, alors que seuls 13 % font état d'une détérioration. « La situation politique précaire de notre pays n'a pour l'instant aucune incidence sur l'humeur des investisseurs belges », constate Peter Vanden Houte, économiste en chef chez ING Belgique. Après trois années de crises politiques à répétition, les Belges ont la peau dure.Les prévisions économiques sont revues à la hausse à travers l'Europe et la Belgique n'y fait pas exception. La Banque nationale table sur 1,3 % de croissance cette année et 1,7 % en 2011, soit au-dessus de la moyenne de la zone euro. « Les entrepreneurs belges regardent avant tout comment vont leurs voisins et partenaires plutôt que la situation politique nationale », explique Isabelle Callens de la FEB.La relative indifférence suscitée par l'absence de pouvoir fédéral contribue à accréditer la thèse de « l'évaporation » de la Belgique, prônée par le nationaliste flamand Bart De Wever. Le large vainqueur des élections propose de passer dans un premier temps à un système « confédéral », avec plus d'autonomie pour les régions flamande et wallonne. Sa stratégie consiste à transférer petit à petit les pouvoirs aux niveaux régional et européen, faisant ainsi disparaître le fédéral. Aujourd'hui déjà, « la politique économique est à 95 % entre les mains des entités fédérées », explique Julien Compère, directeur de cabinet du ministre wallon de l'Économie.Les Belges ont tout de même eu des sueurs froides au mois de mai. À l'époque, « on ne parlait que de la Grèce et on croyait qu'on serait les suivants », rappelle Martine Maelschack, rédactrice en chef du journal économique « L'Écho ». Finalement, le pays a passé l'orage grâce à ses fondamentaux?: « La Belgique bénéficie d'une clémence des marchés car l'écart entre l'épargne des ménages et la dette publique est faible, donc elle pourrait s'autofinancer », explique Jean Hindriks, professeur d'économie à l'Université catholique de Louvain. Sa dette, qui devrait franchir la barre des 100 % du PIB l'an prochain, est tout de même la troisième plus importante de l'Union. Et, malgré cela, la Belgique est l'un des rares pays européens à ne pas prévoir de plan de rigueur. « Le fait d'avoir un gouvernement en affaires courantes, qui ne peut prendre aucune décision ayant un impact budgétaire, est une forme de rigueur », confiait récemment à « La Tribune » un important membre du gouvernement. Jean Hindriks n'est pas d'accord?: « On continue en réalité à effectuer les dépenses prévues avant les élections. Y compris une augmentation des salaires des fonctionnaires le mois prochain », dans un pays qui compterait 70.000 fonctionnaires de trop, en comparaison avec les effectifs de ses voisins. Le gouvernement intérimaire a également approuvé, mi-septembre, la prolongation de mesures visant à atténuer les impacts de la crise économique sur l'emploi. Ces mesures coûtent cher, mais elles ont permis de limiter la casse sociale.Pour revenir dans les clous du Pacte de stabilité, « il va falloir économiser 25 milliards d'euros en trois ans sur les dépenses du fédéral, des régions et des communautés », avertit Philippe Lamberts. L'eurodéputé Verts compare son pays à un « corps gangrené »?: « Soit on se coupe le doigt et ça fait mal, soit on prend de la morphine mais le mal reste. Nous sommes sous morphine, il n'y a pas de décision prise et bientôt c'est le bras qui sera atteint. » Le prochain gouvernement devra prendre des décisions fortes. Le pays l'a déjà fait par le passé en réduisant sa dette de 140 à 87 % du PIB entre 1993 et 2007. Face au vieillissement de la population, à la croissance des soins de santé et au faible taux d'emploi, la fragilité des gouvernements successifs ces dernières années a fait obstacle à l'adoption de réformes structurelles. « Quand les réformes, notamment fiscales, vont se faire, il y a un risque de hausse des impôts et de baisse des dépenses sociales. Alors les citoyens verront les problèmes », considère Philippe Lamberts.Pour l'heure, le statu quo convient aux hommes d'affaires. La démission du gouvernement n'a pas annulé les incitations aux investissements. Jean Stéphenne, patron de GSK Biologicals, filiale vaccins du géant de la pharmacie GSK, a récemment inauguré un nouveau quartier général de sa société. Et il compte encore investir 2 milliards d'euros en Wallonie dans les trois prochaines années. « Il y a eu un bon nombre de mesures prises en matière de taxation et de réduction des charges sociales pour les chercheurs. Si ces mesures n'étaient pas pérennisées, cela pourrait mettre en cause tous les investissements », prévient le chef d'entreprise.Le seul regret manifesté par les Belges tient à l'image internationale de leur pays. « À un moment où l'on pouvait se profiler sur la scène internationale avec la présidence de l'UE, c'est une occasion ratée de redorer le blason de la Belgique, » estime Dave Sinardet, politologue à l'université d'Anvers. Cette perception d'un pays en crise pourrait peser à terme sur le climat d'investissement. « La stabilité politique est un élément important pour les investisseurs », explique Julien Compère. Avec les hypothèses séparatistes, « si on s'engage sur un chemin dont on ne voit pas l'arrivée, cela va prolonger l'incertitude ». La situation politique actuelle ne permet pas d'avoir une vision dont ont généralement besoin les milieux d'affaires. Cependant, « les entrepreneurs belges ont leur agenda et ne peuvent pas se permettre d'attendre que les réponses viennent des politiques », souligne Isabelle Callens.Yann-Antony Noghès, à Bruxelle
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