Mais à quoi servent les modèles des banques ?

Toute la finance de marché est basée sur des modèles mathématiques qui permettent, à partir de produits simples et liquides, de créer des produits sur mesure. L'objectif du modèle est d'élaborer le prix de ces instruments et de permettre d'en couvrir les risques principaux : le modèle simule une gestion sans risque à partir du produit et de sa couverture et calcule le prix qui permet théoriquement de parer à toutes les évolutions du marché.Aussi, lorsque la gestion effective d'un portefeuille coûte plus cher que le prix calculé, cela signifie que des phénomènes de marché n'ont pas été pris en compte par le modèle. Toute la difficulté de l'exercice consiste donc à les identifier... alors même que le financier ne va généralement les découvrir que lorsque le portefeuille réel va diverger de sa valeur théorique.Le seul moyen d'anticiper repose donc sur la simulation dans le temps de la gestion effective, à partir des conditions effectivement réalisées dans le marché, de faire ce que l'on appelle dans le jargon financier, un « back testing ». Mais même un « back testing » ne peut prévoir une modification structurelle des comportements de marché. Car les modèles sont toujours calibrés pour répliquer les phénomènes passés de manière statistique. Mais la vraie trajectoire, celle du marché, peut parfaitement être complètement différente de tout ce qu'on a pu prévoir. C'est la première limite des modèles complexes appliqués aux risques : ils ne mesurent que les risques déjà identifiés.En face du développement du marché des produits dérivés de plus en plus complexes, le régulateur a ajusté ses exigences afin que les banques, via les modèles internes, se dotent des meilleurs outils mathématiques pour calculer les montants de fonds propres nécessaires. Pour ce faire, les directions des risques sont amenées à utiliser elles aussi ces modèles pour évaluer, au niveau du portefeuille, quelle sera la perte dans des scénarios multiples : pour le risque de marché c'est le calcul de la VAR (« Value At Risk »), qui est « back testée » contre les résultats quotidiens. En ce qui concerne les risques de crédit, on calcule aussi la valeur présente et future des portefeuille ou « Credit VAR » ainsi que la perte moyenne en cas de défaut d'une contrepartie (EPE, « Expected Potential Exposure »). Pour y allouer des fonds propres, on les pondère de la probabilité de défaut de la contrepartie et du taux de recouvrement. Il faut non seulement pouvoir calculer le prix de tous les instruments, même les plus complexes, dans le présent comme dans le futur, mais aussi être en mesure de simuler des chocs de marché corrélés...La crise a mis en lumière certaines carences de ces modèles : ils n'intégraient pas jusqu'à présent la liquidité des sous-jacents, fondement des méthodes de pricing et de gestion, ni le risque de changement de rating reflétant la dégradation de la santé financière des entreprises au cours du temps... Aujourd'hui, la réglementation incite à sophistiquer les modèles de risques pour tout capter et demande aux intervenants d'ajuster le montant de fonds propres associés. On rentre alors dans une véritable spirale où des modèles de plus en plus complexes sont mis en place pour affiner les montants mis en face de risques de plus en plus élaborés.Mais ne faut-il pas revenir à la base : calculer un montant de risque qui peut évoluer sans qu'on puisse le limiter ou le couper n'est finalement qu'une vue de l'esprit et un montant de fonds propres ainsi calculé sera rarement en rapport avec la nature réelle du risque. C'est la seconde limite des modèles : ils ne débouchent pas toujours sur des actions concrètes pour limiter les risques identifiés.Prenons, par exemple, un produit qui paierait un montant dépendant du défaut d'une contrepartie : il peut être couvert par l'intermédiaire d'un CDS (« credit default swap »). Dans ce cas, un calcul de risque mesuré en simulant l'évolution des écarts (spreads) de crédit permet d'évaluer quelle somme serait nécessaire pour sortir de ce risque en cas de besoin. Si cette somme est provisionnée sous forme de fonds propres, on entre dans une dynamique positive de maîtrise des risques dès lors qu'on n'en reste pas au calcul mais que l'on définit une politique d'allocation de capitaux en cas de dégradation de la contrepartie en cours de vie de l'opération. Mais on voit vite alors apparaître la limite de l'exercice. D'abord, il suppose que le marché du CDS soit un marché efficient et pérenne au moment de la crise. Cette hypothèse est loin d'aller de soi. La crise de 2008 a été marquée par l'extinction pure et simple de toute liquidité sur certains marchés. Ensuite, un raisonnement sur un unique produit peut guider un processus de décision de façon relativement simple. Mais les fonds propres sont associés à des portefeuilles complexes, à des scénarios multiples qui ne sont pas toujours défavorables simultanément et qui sont probabilisés. Enfin, cela présuppose que la dégradation de la contrepartie (ici notre risque principal) soit effectivement suivie et que des opérateurs de marché soient en mesure de réagir si cela s'avère nécessaire.Le régulateur a bien compris l'intérêt des modèles pour renforcer la sécurité du système financier. Mais il faut garder à l'esprit les enseignements de la crise : les résultats des modèles doivent toujours être analysés en regard des hypothèses de marché. Il faut donc s'interroger sur la fonction même des modèles : sont-ils des outils d'aide à la décision et peuvent-ils être utilisés pour réduire les expositions ? Ce n'est qu'à cette condition que la sophistication des calculs réglementaires pourra engendrer un cercle vertueux et une vraie dynamique de maîtrise des risques.
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