La chronique de Erik Izrælewicz : La Chine n'est pas une bulle

La Chine va exploser. Comme au début des années 2000, on voit refleurir, ici ou là, les thèses de l'apocalypse chinoise. À l'époque déjà, un livre, publié en 2001, avait fait un tabac aux Etats-Unis et ailleurs, celui d'un sinologue américain d'origine chinoise, Chang Gordon, qui annonçait l'imminence de l'explosion (« The Coming Collapse of China », Random House, New York, 2001) . Aujourd'hui, de nouveau, l'antienne est de retour. L'empire du Milieu ne serait sorti de la crise qu'au prix d'une multiplication en son sein de bulles en tout genre. Ces bulles seraient menacées l'une après l'autre d'exploser, de mettre un terme ainsi au mirage chinois. Des bulles, le patron de l'Autorité de régulation bancaire chinoise s'en inquiétait, cette semaine encore. Et c'est vrai, des bulles, il y en a. Bulle boursière: le marché de Shanghai continue, en ce début d'année, à flamber alors qu'il a déjà bondi de 80% en 2009. Bulle immobilière : alimentée par un crédit facile, la spéculation a provoqué, dans certaines cités, une envolée spectaculaire des prix. Bulle bancaire : sous la pression de l'Etat, les mille milliards de dollars de crédit nouveaux accordés par les banques l'an dernier sont l'assurance d'une reconstitution rapide, dans leur bilan, d'« actifs toxiques » massifs. Au-delà, d'autres bulles menaceraient : une étude (Morgan Stanley) annonce, ici, un retour inévitable de l'inflation, une autre, là-bas, (EIU) place la Chine, en 2010, dans la catégorie des pays « à hauts risques sociaux ». Sans parler des risques écologiques que le retour de la croissance fait renaître (comme le prouve la pollution cette semaine du fleuve Jaune). Cette thèse, récurrente, d'une fragilité supposée de la dynamique chinoise n'est pourtant pas plus justifiée aujourd'hui qu'hier. Avec Chang Gordon, on attend toujours le collapse annoncé ! Si elle rassure certains Occidentaux, cette thèse révèle une méconnaissance profonde du capitalisme « made in China » et des forces qui l'alimentent. Trois éléments expliquent la puissance de l'hypercapitalisme chinois d'aujourd'hui : il est dominé par une classe d'ingénieurs rationnels et pragmatiques ; il s'appuie sur un mariage inédit entre intérêts privés et publics, entre l'État, les mafias et l'intelligentsia ; il peut compter sur une population assoiffée de revanche. La Chine n'est en définitive qu'au tout début de sa « révolution industrielle ». Comme les révolutions industrielles que nos vieux pays industrialisés ont vécues, il y a cent, cent cinquante ou deux cents ans, la révolution chinoise n'est pas un long fleuve tranquille. C'est une rivière qui voit alterner sur son parcours des passages mouvementés, d'autres plus calmes. Depuis trente ans, la croissance chinoise a été, en moyenne, de 10% l'an environ. Elle n'a pas été linéaire. Bien des bulles ont explosé sur son parcours. La Bourse ou l'immobilier en ont donné une illustration spectaculaire. Cela n'a pas empêché le mouvement de fond de se poursuivre. Alors, dans cette crise financière mondiale, la Chine semble s'en sortir mieux et plus vite que bien d'autres pays. Elle a engagé, elle aussi, un énorme plan de relance et poussé dans le même temps ses banques à prêter massivement. Inconsidérément, disent certains observateurs. À tort. À la différence de nos pays développés, qui ont dû s'endetter pour financer leur soutien à l'activité et le sauvetage de leurs établissements financiers, l'empire du Milieu disposait, pour cela, d'un énorme matelas #8211; des réserves de change qui, malgré la crise, ont continué à augmenter #8211; pour atteindre aujourd'hui plus de 2.200 milliards de dollars. Il y a peut-être des créances douteuses massives dans le bilan des banques chinoises. Cela n'a aucune importance. Les banques chinoises ne sont pas de vraies banques. Elles restent plus ou moins explicitement un outil politique au service d'un État fort et riche, qui pourra utiliser, qui utilisera en fait dès que cela sera nécessaire, son gigantesque magot pour régulariser la situation. Ce qu'il a déjà fait à plusieurs reprises au cours des décennies écoulées. Des bulles #8211; boursière, bancaire, immobilière, sociale ou autres #8211; vont exploser en Chine dans les mois et les années à venir. La Chine n'est pas une bulle fragile pour autant. Elle résistera à ces microexplosions internes et poursuivra son développement. Devenu en 2009 le premier exportateur mondial, dépassant pour la première fois l'Allemagne, elle devrait devenir, par son PIB, la deuxième puissance économique de la planète en 2010, dépassant par là le Japon. Le pays sort de la crise plus fort, plus gros et plus puissant. Il a acquis de fait, dans un nombre croissant de secteurs économiques, une assurance, voire une arrogance, qui frappe aujourd'hui tous ceux qui ont à faire avec lui. Il a certes besoin de changer de régime de croissance, de passer d'une croissance assise sur l'exportation à une dynamique alimentée par la demande interne. Ce n'est pas encore le cas. La part de la consommation des ménages dans le PIB s'est même réduite au cours des cinq dernières années. D'après les statistiques officielles. elle est passée de 40% à 35% entre 2004 et 2009. Les autorités ont parfaitement saisi que c'était là leur principal challlenge #8211; comme en témoignent les aides à la consommation qu'elles ont développées ou les réformes de la santé et de la retraite qu'elles ont initiées. Sûr que l'Exposition universelle de Shanghai, ce printemps, sera une nouvelle fois, après les JO de 2008, l'occasion pour le pays d'affirmer sa puissance, son assurance et sa solidité. Même si, pendant ce temps-là, dans l'arrière-cour, quelques bulles explosent.
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.