Ce que pourrait être une grande réforme de l'Université en France

L’éducation nationale est un système complexe en interaction du primaire à l’enseignement supérieur. Nous n’avons jamais abordé l’enseignement supérieur comme un tout mais plutôt en disciplines cloisonnées sans aucune synergie entre elles. L’ENA, Polytechnique, les Universités et les écoles professionnelles dépendent toutes de ministères différents, ce qui n’assure pas la cohérence et la synergie de l’ensemble. L’enseignement supérieur doit devenir le fondement de notre société compte tenu des contraintes imposées par la compétition économique et par l’innovation. L\'apprentissage de masse du savoir commence par l\'Université. Peut-être serait-il nécessaire d\'avoir pour une fois une grande politique universitaire qui ne se bornerait plus à gérer l\'expansion du nombre d’étudiants, mais s\'efforcerait à repenser l\'Université à partir de sa coexistence avec un système qui n\'est pas son concurrent : les grandes écoles.On se dit aujourd’hui que dans la mesure où l’enseignement supérieur est assuré par les grandes écoles, pourquoi s’occuper des universités ? Certes, les grandes écoles remplissent une partie de leur fonction, mais les universités sont devenues encombrantes, désorganisées et décevantes pour les étudiants et les employeurs. D’ailleurs, pour le constater il suffit d’analyser les chiffres que nous fournit le Ministère de l\'éducation nationale et l’institut Boivigny : les étudiants des grandes écoles et des classes préparatoires représentent seulement 13% de l’ensemble des étudiants de l’enseignement supérieur. Le coût d\'un étudiant pour l\'état varie de 5 à 7.000 euros pour l\'Université et à 50 000 euros pour Polytechnique, Mines, ENS, ENA. L\'état finance et contribue donc à la réussite de quelques uns aux frais de tous les contribuables, ceci sans que l\'intérêt général soit amélioré par l\'existence de ces privilégiés du système éducatif et social. Nous voyons d’un côté les universités malades, débordées, sans moyens et de l’autre, peu de privilégiés bénéficiant de conditions favorables. La situation devient inquiétante sachant que l’université assure aujourd’hui la très grande partie de l’enseignement supérieur et que demain elle aura une croissance exponentielle d’étudiants dans certaines filières. Pour éviter tout changement, nous entendons souvent dire que les diplômes nationaux délivrés assurent l’égalité, mais ce n’est en fait qu’un leurre : les hommes et femmes possédant le même diplôme ne seront pas interchangeables. Seulement, nous avons le culte du diplôme national, qui permet selon la pensée élitiste française de faire croire que le diplôme d’origine est plus important que tous les efforts déployés pour réussir. La délivrance du diplôme national doit être remise en cause pour laisser aux universités l’autonomie de la délivrance de leurs propres diplômes dans un monde concurrentiel.L’Université ne doit plus être fondée comme de par son histoire sur des principes de hiérarchie et d’autorité, mais sur des principes de convivialité, d’égalité, de liberté et de transparence. Elle doit être décentralisée au niveau des régions, chacune doit avoir sa liberté, son autonomie afin de pouvoir régler les problèmes qui la concernent. Certains établissements recevront de très nombreux étudiants sur un ou plusieurs sites, alors que d’autres en recevront beaucoup moins. C’est la flexibilité des réseaux ! L’enseignement de qualité alliera culture générale et professionnalisme tout en veillant à ce que les fonctions culturelles ne soient pas lésées par les besoins du marché. L’Université doit être également membre à part entière de la cité dont la mission serait l’intégration des personnes peu favorisées afin qu’elles soient au cœur du dispositif de l’enseignement supérieur. L’enseignement sera mono disciplinaire ou multi disciplinaire et comportera des formations à finalité professionnelle où les entreprises seront impliquées. Lorsqu’une entreprise finance l’Université, elle est en droit d’attendre quelque chose en retour, ne serait ce que des étudiants formés à ses besoins. Dans ce cas, le diplôme prend en compte l’insertion professionnelle dans une époque marquée par la crise de l’emploi et le manque d’innovations. Le Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM) est une excellente illustration de réussite en matière de formation continue. Voilà une école qui a fêté son bicentenaire en même temps que Polytechnique, et qui n’a pas dévié des objectifs assignés au départ : alterner études et vie professionnelle pour donner une chance à tous ceux qui, pour diverses raisons, n’ont pas pu suivre la filière normale.Le modèle universitaire américainIntéressons-nous au modèle américain, qui a fait ses preuves et se caractérise par sa grande diversité d’orientations et de niveaux. Ce modèle prend en compte ses propres caractéristiques culturelles : la concurrence entre universités qui stimule l’innovation et la créativité, la citoyenneté, l’ouverture vers les besoins régionaux, le partenariat, les nouvelles technologies de la communication et l’enseignement interactif. Contrairement à la France, les universités aux Etats Unis, même si leur modèle soulève quelques interrogations, constituent le socle de la prospérité américaine. Elles sont tournées vers l’éclosion de talents entreprenants et créatifs et ont pour dénominateur commun la recherche de l’excellence dans la diversité. Les Universités publiques et privées se confondent puisqu’elles sont bâties sur le même modèle. L’enseignement est interactif et les cours se construisent avec les étudiants sur la base d’un dialogue permanent. Les cas concrets sont au coeur de l’enseignement ! Toutes les universités sont décentralisées, autonomes et restent à l’écoute d’une région. Si une région a un important besoin d’ingénieurs en mécanique ou en agronomie, alors elles créent, si le besoin le justifie, un campus axé vers la recherche dans ces activités. Le rôle de ces Universités ne se restreint pas à la formation des cadres, même les ouvriers, pour accroître leur compétitivité, sont formés. Le système permet de donner plus de chances aux personnes défavorisées d’accéder à une Université prestigieuse. Ces Universités développent un partenariat avec les entreprises locales ce qui leur permet de concevoir les produits de demain en anticipant les besoins de leurs clients. Sans devenir des prestataires de services, leur financement est assuré par l’industrie locale et par chaque état de l’Union. Dans ces universités, les découvertes sont rapidement intégrées dans l’économie, puisque les étudiants passent pour la plupart dans des circuits productifs et que les Universités sont entourées de pépinières d’entreprises. La sélection des étudiants ne s’effectue pas de façon aveugle par concours, mais plutôt sur dossier. Admirables par leur sens pratique, elles se sont donné les moyens de leurs ambitions : être les meilleurs du monde sur les créneaux qu’elles ont choisis.Le modèle qui s’impose : l’approche du bon sensPour réformer l\'Université française, l’état doit accepter de décentraliser ses pouvoirs pour que les Universités publiques soient réellement autonomes dans leur gestion et leur recrutement d’enseignants. Même si les lois prônent l’autonomie, les décrets et circulaires renforcent le pouvoir central. Etre autonome, c’est aussi laisser à l’université la possibilité de fixer les salaires des enseignants en fonction de leur notoriété, de leur efficacité et de leur mérite. L’état doit conserver une fonction essentielle pour la réussite du projet : le pilotage et la coordination. Nous pourrions nous inspirer du modèle américain, mais celui-ci ne se laisse pas copier facilement et n’est pas transférable sans précaution. Le système de l’enseignement supérieur français est le reflet des choix et des tabous de notre société. Il se caractérise par un état centralisateur et technocrate, par une caste qui refuse le changement, par l’absence de concurrence générée par les situations de monopole, par la prise en compte du pseudo intérêt national, autant dire un modèle à l’opposé de celui des Etats Unis. Malgré cet état de fait, il faudra bien répondre à l’urgence en mettant en place un modèle en réseau, prenant en compte les spécificités des Universités et des grandes écoles. Ce modèle sera bâti sur les finalités que l’enseignement supérieur doit assurer en intégrant les prépas dans cet ensemble universitaire de haut niveau. La suppression du concours d’entrer permettra de choisir sur dossier et entretien individuel afin de mettre en avant les compétences humaines et intellectuelles des candidats. Nous retrouverons en synergie dans ce vaste réseau, plusieurs filières : la fonction publique, la recherche, la santé, l’économie, les sciences, le droit, la culture, la finance et l’international. Quand on aura défini les nouvelles structures du nouvel ensemble universitaire en intégrant l’ENA, l’école Polytechnique, les autres grandes écoles et les grands Corps de l’Etat, supprimé le concours d’entrée ainsi que le classement de sortie, le monopole du pouvoir de la caste dirigeante sera atteint à sa source. La réticence à ces changements sera d’autant plus grande que ces réformes engagent l’existence même de cette élite qui utilisera tout son pouvoir d’influence pour bloquer le changement en prétextant le démantèlement du service public. Elle opérera à tous les niveaux en tentant probablement d’agir sur les puissantes corporations de chaque discipline de l’enseignement et sur les syndicats d’étudiants. De belles grèves en perspective ! Alors que peut-on faire pour sauver notre société ? Utiliser le fait que la caste dirigeante n’est pas indifférente aux pressions de l’opinion publique et des médias pour imposer en légiférant, une parité du pouvoir. L’ensemble des énarques, polytechniciens et des corps tel que X-Mines ne devrait pas excéder 50 % des postes du plus haut niveau dans les grandes entreprises privées et publiques ainsi que dans leurs filiales et conseils d’administration. Le pouvoir politique et les pouvoirs publics devront eux aussi trouver le juste milieu pour mieux diversifier leurs dirigeants issus aujourd’hui en grande partie de cette élite. On développera des associations qui agiront sur les médias pour informer et dénoncer les abus de pouvoir que tout monopole a tendance à exercer. Des moyens devront être mis à leur disposition pour qu’elles puissent exercer un lobbying en amont et en aval, informer les médias, utiliser les réseaux sociaux, agir sur les actionnaires minoritaires, pour créer un contre pouvoir à celui de la caste. Ensuite on mettra en place des émissions radio et télévisées qui traiteront librement avec tous les acteurs concernés des sujets considérés comme tabous par la caste : les erreurs, le gaspillage de l’argent public, les nominations, le copinage, les privilèges, etc. Nous ne pouvons qu’espérer ! Le changement s’est toujours produit par l’apparition de raisonnements nouveaux. Construire ce type de réseau que certaines entreprises des plus performantes ont mis en place pour leur survie, nécessite de profondes réformes : réforme de l’enseignement supérieur, réforme de l’état et des pouvoirs publics, réforme du pouvoir de la caste dirigeante.(*) Hervé AZOULAY est Président d’ATHES, Co-auteur avec Hervé Serieyx de « Mettez du réseau dans vos pyramides- penser, organiser, vivre la structure en réseau » Village Mondial 1996, auteur de « Vive l’entreprise solidaire » Eyrolles. 
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