Derrière les mots de... Mario Draghi

Le gratin de la finance mondiale s'est réuni à Bâle les 9 et 10 janvier, officiellement pour une réunion de routine de la Banque des règlements internationaux (BRI), officieusement pour débattre du risque de bulle financière. Alors qu'il se confirme que la faible croissance des pays occidentaux ressemble à un faux départ, les marchés et les banques pourraient être soumis à nouveau à de fortes tensions. Les grandes banques centrales tentent de trouver un juste équilbre entre la nécessité de maintenir leur politique de taux zéro pour ne pas casser la reprise et leur volonté de prévenir un nouvel emballement sur les marchés. « Le système financier reste fragile », ajoute Mario Draghi. Réactions et décryptages. Paul Jorion, anthropologue, économiste, écrivain. Les déclarations de Mario Draghi peuvent surprendre en pleine embellie de la Bourse, au milieu des discours plutôt rassurants sur la reprise et le retour aux bénéfices des banques. Elles traduisent peut-être une certaine irritation, voire un malaise, des régulateurs européens à l'égard des États-Unis, qui semblent vouloir sortir de la crise financière avec leurs propres remèdes, qui ne relèvent pas tous de la bonne gouvernance ou de la meilleure transparence. Certains opérateurs de marché s'interrogent notamment sur des mouvements de fin de séance qui poussent les marchés américains d'actions ou d'options à la hausse. Sans parler de manipulation, il est clair que les autorités américaines sont prêtes à utiliser tous les leviers disponibles pour faire rebondir les marchés et protéger ainsi ? un peu ? l'épargne des ménages. Une autre interprétation est possible, celle du parapluie ! Tout le long de la crise, et encore aujourd'hui, chacun s'est efforcé de faire porter aux autres la responsabilité de la faillite du système financier. Or, aujourd'hui, il est clair que les économies, les banques centrales, les marchés vont une fois de plus dans la mauvaise direction et qu'une nouvelle crise se prépare. Il est alors tentant de se dédouaner par avance des nouvelles catastrophes à venir sur l'air entendu de « Je vous l'avais bien dit », sans pour autant agir réellement pour les éviter. Les banques centrales nourrissent la spéculation et elles le savent ! Alain Galiègue, président de la société d'études Valquant. L'inquiétude de la plus haute instance de la finance internationale doit être naturellement prise au sérieux. Non seulement parce que le Conseil de stabilité financière dispose des informations les plus complètes, mais également parce que la nature des marchés est ainsi faite, à l'image de la nature humaine, qu'elle exagère toujours, à la hausse comme à la baisse, une situation instantanée. C'est d'ailleurs l'un de ses rôles. Et aujourd'hui, par comparaison avec l'année précédente qui fut catastrophique, les signaux apparaissent positifs. Comment ne pas applaudir au rebond des exportations (+ 17 %) ou des importations chinoises (+ 54 %) au mois de novembre ? La reprise, même très timide, est un facteur dynamique sur lequel les marchés peuvent vite s'emballer. Si la valorisation des actions reste très raisonnable sur les grandes places, ce n'est plus le cas dans certains pays émergents ou sur le marché obligataire où des signes de bulles commencent à apparaître. Le recours à l'endettement est certes moins aisé, mais il existe toujours d'abondantes liquidités qui cherchent à s'investir. La prudence doit donc être de mise, et c'est le devoir de Mario Draghi d'alerter les intermédiaires financiers du risque de bulle financière et de la fragilité d'un système financier encore convalescent. Jean-Jacques Ohana, président de Riskelia, société de conseil en intelligence des risques.La situation sur les marchés est effectivement explosive. S'il n'existe plus réellement d'indicateurs objectifs pour apprécier la valorisation des marchés, la dynamique des prix, le comportement des opérateurs et le niveau des risques indiquent clairement que nous sommes à nouveau dans un cycle de bulle financière. Trois éléments méritent ainsi d'être soulignés. Tout d'abord, la très grande corrélation entre les différents actifs risqués, un phénomène que l'on constate depuis 2006 et qui s'amplifie. C'est une situation dangereuse, car les mouvements sur un actif, comme le dénouement de positions, entraînent tous les autres actifs dans leur sillage. Autre élément inquiétant : les accélérations extravagantes des prix sur les matières premières, comme le cuivre et l'or, ou sur certaines places boursières de pays émergents, comme le Brésil ou la Chine. Ces mouvements traduisent des comportements spéculatifs et des prises de risque excessives de la part de tous les opérateurs et pas seulement de la part des banques. Enfin, malgré les incertitudes qui pèsent sur la solvabilité des pays de l'OCDE, l'aversion au risque est revenue sur les niveaux d'avant-crise, ce qui réduit d'autant le matelas de sécurité en cas de retournement des marchés. Face à cette situation, les banques centrales semblent piégées dans leur volonté de soutenir l'économie réelle par une politique monétaire très accommodante, mais qui alimente elle-même la spéculation. Cette spéculation a d'ailleurs permis un regain d'activité dans l'économie réelle, mais cette reprise repose sur du sable mouvant. Les banques centrales en ont parfaitement conscience mais elles n'ont pourtant aucune intention de revenir, à moyen terme, sur leur politique de taux zéro. D'où leurs appels répétés à la prudence et leurs mises en garde au système financier.
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