La transition énergétique : un débat de portée historique qui appelle des choix engageants

La politique énergétique est déterminée depuis plusieurs décennies par les choix autour de trois dimensions clés : la sécurité d\'approvisionnement, la qualité de service et l\'impact environnemental. La mise en œuvre de ces choix était portée pour l\'essentiel par le secteur de l\'énergie, quand bien même ils impactaient l\'ensemble de l\'économie (balance commerciale, compétitivité, niveau de vie des ménages, etc.). Deux mouvements sont venus changer ce paradigme. D\'une part, les trois dimensions clés se sont élargies à de nouveaux champs : qualité de service et nouveaux usages pour la sécurité d\'approvisionnement ; emploi et prix relatifs de l\'énergie entre pays pour la compétitivité ; questions sociales et sociétales, comme la précarité énergétique pour l\'impact environnemental. D\'autre part, les politiques énergétiques s\'intègrent désormais dans un ensemble plus large, comprenant le logement, le transport, la réindustrialisation.Une ambition et des leviers d\'action doivent être définis, sous contrainte de faisabilité et d\'acceptabilité socialeRedéfinir la politique énergétique nécessite de traiter trois questions profondément interdépendantes : • Le niveau d\'ambition de la transition énergétique, c\'est-à-dire non seulement l\'ampleur de la transformation mais aussi la vitesse à laquelle celle-ci est opérée ;• Les leviers d\'action à retenir pour opérer cette transformation ; ceux-ci sont de trois natures différentes : les leviers de nature technique (qui comprennent mix énergétique, intensité des efforts de maîtrise de la demande énergétique, contraintes sur les usages, choix ou paris technologiques) ; ensuite, le choix des modalités de financement de la transformation (fiscalité directe, dépense publique, etc.) et des agents économiques qui la supportent ; enfin, la gouvernance de la politique et du secteur énergétique (rôle des différentes parties prenantes : collectivités territoriales vs. autorités nationales, public vs. privé, clients finaux, etc. • Enfin la faisabilité économique et l\'acceptabilité sociale de la transition, qui constituent les contraintes que doit respecter la transition envisagée, dans un contexte de sensibilité accrue des opinions publiques et de chômage élevé : coût global acceptable de la transformation, capacité de financement public disponible, conséquences sur la compétitivité de l\'économie aux différents horizons de temps, impact sur l\'opinion.L\'observation d\'autres pays montre qu\'il existe plusieurs approches pour opérer la transition énergétiqueContrairement au Japon, qui l\'a subie de manière brutale et à rebours d\'une politique énergétique antérieure centrée sur le nucléaire, la plupart des pays s\'orientent vers une transition énergétique choisie, mais sans nécessairement avoir pris le temps de se doter d\'une vision complète et précise de la trajectoire à suivre.• Après Fukushima, le Japon a arrêté 26 % de la production électrique en l\'espace d\'un an, événement sans comparaison en ampleur et soudaineté. Le pays a donc choisi de privilégier la question environnementale, au détriment de sa sécurité d\'approvisionnement et de sa compétitivité économique.• L\'Allemagne, bien qu\'elle ait engagé depuis longtemps le développement proactif d\'une filière d\'énergies renouvelables, s\'est également trouvée en situation de réaction après Fukushima : la décision politique d\'une sortie accélérée du nucléaire n\'a dès lors pas permis d\'intégrer des conditions de faisabilité économique de ce choix. • A l\'inverse, le Danemark a fait le choix dès 1985 de la sortie du nucléaire, puis décidé de mettre en place une fiscalité écologique contraignante, autorisant le développement d\'une grande filière éolienne. • Le Royaume-Uni est en train de redéfinir sa politique énergétique. Certaines options ont été prises, autour de l\'éolien off shore ou de la relance du nucléaire, mais les parties prenantes sont loin d\'avoir convergé : les investissements en matière de production et de réseaux ont donc été retardés.• Les Etats-Unis ont décidé de développer rapidement les gaz de schiste et privilégié la compétitivité de l\'énergie au détriment des efforts de réduction des émissions de CO2. En l\'absence de trajectoire commune, quatre scénarios peuvent être relevés :• Mise en place d\'un « New Green Deal » : développement de filières industrielles renouvelables exportatrices • Mix énergétique équilibré et partiellement décarboné, combinant nucléaire, ENR et non consommation• Compétitivité énergétique : choix du tournant des gaz de schiste• Abandon du nucléaire : choix d\'une sortie rapide du nucléaire, sans l\'avoir nécessairement pleinement préparé.Quels enseignements en tirer pour conduire le débat en France ? Compte tenu de la situation financière ainsi que des engagements de la nouvelle majorité, il semble probable que les conclusions du débat ne s\'orienteront pas vers un « New Green Deal », mais plutôt vers un rééquilibrage des priorités. Ce débat doit avant tout traiter la question du mix de moyens entre énergies renouvelables, nucléaire, non consommation, voire gaz de schiste. Compte-tenu des expériences des autres pays, la crédibilité de ces orientations sera évaluée à l\'aune de quatre critères : • Capacité d\'investissementLe choix d\'un mix énergétique et promouvant la décarbonation conduirait probablement à investir de l\'ordre de 150 milliards d\'euros pour le seul secteur énergétique, auxquels s\'ajouteront des investissements dans les autres secteurs (bâtiment, transports, etc.).• Importance des impacts sur l\'économie et les modes de vieLa question de la transition énergétique doit être traitée dans sa globalité : localisation des infrastructures, rénovation thermique des bâtiments, transports, politiques industrielles, etc. • Ambition et vitesse de réduction des émissions de CO2Chacune des technologies choisies dans le mix énergétique contribue ou non à la réduction des émissions de CO2 mais est également associée à un « contenu en emploi » spécifique. • Compétitivité de l\'économie françaiseLes choix opérés sur ces questions par les autres grandes puissances économiques auront un impact sur la compétitivité relative de la France qu\'il faudra assumer.La complexité et l\'importance de ces questions exigent une méthode appropriée. Tout d\'abord, le débat doit s\'étendre sur une période longue (6-8 mois), pour intégrer les contributions des nombreuses parties prenantes concernées, et associer activement les collectivités locales. Il doit également s\'appuyer sur des éléments factuels et des évaluations objectives, capitalisant les retours d\'expérience d\'autres pays.Nous sommes aujourd\'hui à l\'aube d\'un choix engageant pour les décennies à venir, comparable à celui qui a présidé à l\'adoption de la stratégie électronucléaire en 1973. C\'est à la double condition de structurer la méthode autour des quelques principes énoncés ci-dessus et d\'animer le débat dans un état d\'esprit d\'ouverture et de participation large que l\'on pourra doter la France d\'une vision, d\'orientations d\'actions et d\'une avance sur cette question complexe de la transition énergétique.
Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.