Le shérif qui vise plus haut que Wall Street

« Je me consacre entièrement à mon rôle de procureur général. » « La politique et les efforts visant à faire respecter la loi ne font pas bon ménage. » Lors des rares entretiens qu'il accorde à la presse, Andrew Cuomo, le procureur général de New York, qui enquête actuellement sur la responsabilité de huit prestigieuses banques dans la crise des crédits subprimes, est formel : contrairement à ce qu'affirment ses détracteurs, les procédures savamment médiatisées qu'il mène n'ont vocation qu'à assainir les pratiques de certains milieux d'affaires, notamment à Wall Street, mais pas à conforter sa cote de popularité.Depuis jeudi, pourtant, Cuomo, dont le poste équivaut à celui de ministre de la Justice, est à nouveau au centre des conversations et des spéculations à New York. Mercredi soir, celui-ci a notifié l'ouverture d'enquêtes qui concernent le Crédit Agricolegricole, Citigroup, Credit Suisse, Deutsche Bank, Goldman Sachs, Morgan Stanley, UBS et Bank of America, dont la filiale Merrill Lynch est visée. Le magistrat soupçonne ces établissements d'avoir fourni aux agences de notation Standard & Poor's, Fitch Ratings et Moody's des informations trompeuses sur la qualité de titres adossés à des crédits immobiliers (CDO) qu'ils commercialisaient. La plupart d'entre eux ont confirmé avoir reçu une citation à comparaître du bureau du procureur, sans qu'il ait lui-même officiellement annoncé son enquête.La méthode et le timing de ce spectaculaire assaut contre l'industrie financière n'ont rien d'anodin. Depuis de nombreux mois, les partisans et les adversaires d'Andrew Cuomo attendent du procureur qu'il déclare sa candidature pour le poste de gouverneur de New York, à pourvoir lors des élections du 2 novembre prochain. Et selon ses proches, le suspense ne durera plus longtemps. Le 25 mai, ou peu avant, le magistrat lancera sa campagne à l'occasion de la convention démocrate locale de Rye Brook. En attendant, Cuomo prend ses distances avec Albany, la capitale de l'État de New York, affaiblie par une crise budgétaire aiguë et l'impopularité de son gouverneur, David Paterson. Son équipe orchestre les fuites relatives à son investigation à Wall Street, sans qu'il donne l'impression de mener campagne.Depuis qu'il a été élu au poste de procureur général en 2006, Andrew Cuomo a croisé le fer à plusieurs reprises avec le secteur financier. Après qu'a éclaté la crise des crédits subprimes, il a contraint les agences de notation à réduire les risques de conflits d'intérêts en leur interdisant notamment de noter des titres qu'elles ont aidé à structurer. Cuomo a aussi obligé de grandes banques (Citigroup, JPMorgan, Goldman Sachs...) à verser collectivement quelque 60 milliards de dollars aux détenteurs d'ARS (« Auction Rate Securities »), des créances dont le taux d'intérêt était régulièrement remis à jour, devenues totalement illiquides.Au cours de sa croisade, le procureur s'est fait de nombreux ennemis. Jim Cramer, présentateur vedette de la chaîne financière CNBC, n'a pas hésité à le traiter en direct de « communiste » souhaitant « fermer le marché du crédit immobilier » lorsqu'il s'est attaqué à Fannie Mae et Freddie Mac. Cuomo a fini par obtenir des deux géants du refinancement hypothécaire qu'ils ne fassent affaire qu'avec des banques employant des critères codifiés de valorisation des biens immobiliers, plutôt que de laisser leurs agents surestimer les prix des logements et ainsi faire exploser l'endettement des ménages américains.En 2008, « The Village Voice » a révélé que lorsqu'il était secrétaire au département du Logement et de l'Urbanisme (HUD) de l'administration Clinton, Cuomo aurait poussé Fannie Mae et Freddie Mac à développer leurs activités à destination des ménages peu fortunés. L'hebdomadaire affirme que Cuomo, alors inexpérimenté, a obtenu son poste grâce à l'entregent de son père, Mario, gouverneur démocrate de l'État de New York de 1983 à 1994. Le jeune responsable du HUD a certainement agi par souci d'équité sociale, souligne le magazine, mais s'est fait berner par les barons du crédit hypothécaire, dont Angelo Mozilo. L'ex-patron de Countrywide Financial, actuellement poursuivi en justice, a ensuite réalisé des dons pour ses campagnes politiques en 2002 et 2006. Interrogés par « La Tribune », le bureau du procureur et son quartier général de campagne n'ont pas souhaité répondre à ces accusations.Robert Benmosche compte aussi parmi les adversaires de Cuomo. « La pire chose qu'il puisse lui arriver, c'est que lui et moi nous retrouvions dans une pièce et que j'en ferme la porte », a déclaré en août, le bouillant PDG d'AIG. Après que le procureur général a exigé la liste des employés de l'assureur nationalisé ayant perçu des bonus versés à l'aide de fonds publics, certains ont reçu des menaces de mort. Eliot Spitzer, qui a occupé les mêmes fonctions de procureur général et a dû quitter celles de gouverneur de New York pour avoir fréquenté un réseau de prostitution, déplore les méthodes de son successeur. L'ancien « shérif de Wall Street » ne rate jamais une occasion de critiquer Cuomo, affirmant au « New York Times » : « C'est facile d'être dur, si sa cible est choisie pour des motivations politiques. »Indéniablement, Andrew Cuomo a la politique dans le sang. En 1982, ce natif du Queens figurait parmi les principaux conseillers de campagne de son père pour l'élection de gouverneur. En 2002, il a tenté sans succès de lui emboîter le pas alors que le soutien du Parti démocrate lui faisait défaut. En 2010, fort de l'exposition médiatique que lui confère son poste, Cuomo, 52 ans, est pressenti comme le grand vainqueur du vote de novembre. Son trésor de guerre est supérieur à celui de tous ses adversaires déclarés, il écrase dans les sondages l'ensemble des candidats républicains, Barack Obama lui aurait apporté son soutien officieux... En somme, la primaire démocrate qui approche tiendra de la formalité. À tel point qu'analystes et médias américains prédisent régulièrement un avenir plus glorieux encore à ce rouleau compresseur démocrate : la Maison-Blanche, lors du scrutin de 2016.Éric Chalmet, à New York
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