Fanny Mae et Freddie Mac, les trous noirs de la finance américaine

Les États-Unis ne perdent rien pour attendre. Les investisseurs restent, pour l'heure, obnubilés par les problèmes d'endettement et de déficits budgétaires de la zone euro, mais ils pourraient bientôt s'intéresser d'un peu plus près au cas américain. Alan Greenspan ne se fait d'ailleurs aucune illusion. Sans un « changement tectonique » de la politique fiscale, visant à résorber un endettement colossal qui flirte avec les 13.000 milliards de dollars, l'ancien président de la Réserve fédérale (Fed) redoute, à demi-mot, que les États-Unis ne soient pas, toutes proportions gardées, à l'abri d'un scénario à la grecque.La menace d'une brutale remontée des tauxÀ l'entendre, croire que « la capacité d'emprunt des États-Unis confère aux emprunts d'État US le statut de refuge idéal est une illusion d'optique ». Le niveau ridiculement bas du rendement à 10 ans de la dette souveraine américaine (3,2 %) masque, selon lui, le défi qui attend les États-Unis en matière de désendettement. Il n'est pas à exclure, dit-il, « une brutale remontée des taux longs de l'ordre de 4 %, comme celle observée, en l'espace de quatre mois, à la fin des années 70 ». Pour l'ancien homme fort de la Fed, il est indispensable que l'administration Obama s'attaque urgemment au problème et y apporte une réponse radicale.Fanny et Freddie font leur adieu au NyseCet appel virulent de Alan Greenspan qui intervient seulement deux jours après l'annonce d'un événement, qui est un peu passé inaperçu, mais qui illustre pourtant l'immensité de la tâche qui attend les Américains. Le delisting imminent du New York Stock Exchange des actions de Fanny Mae et Freddie Mac, dont les cours ne valent plus tripette (moins de 0,5 dollar), est le signe évident que le marché immobilier US est toujours au point mort et que, du point de vue des investisseurs privés, la viabilité des deux géants du refinancement hypothécaire reste loin d'être résolue. Au moment où tout le monde s'inquiète d'un défaut de paiement de la Grèce, on oublie que Fanny Mae et Freddie Mac, qui détiennent ou garantissent 53 % des 10.700 milliards de dollars de prêts résidentiels aux États-Unis, représentent le plus grand trou noir de toute l'histoire financière. La mère de tous les plans de sauvetageLes 100 milliards d'euros promis à la Grèce font pâle figure par rapport au gouffre des deux entités détenues à 80 % par les pouvoirs publics. Pour continuer d'accorder des prêts hypothécaires aux Américains, dans un contexte de marché immobilier résidentiel moribond, Fanny et Freddie ont d'ores et déjà puisé 145 milliards de dollars sur la ligne de crédit illimitée qui leur a été accordée par le Trésor. Il s'agit, pour paraphraser Edward Pinto, ancien responsable du département crédit auprès de Fanny Mae, de « la mère de tous les plans de sauvetage ». En comparaison, les « bailouts » d'AIG, GM, ou Citigroup, qui, contrairement à Fanny et Freddie, ont commencé à rembourser leurs dettes, paraissent riquiqui. D'autant que l'ardoise est appelée à prendre des proportions gigantesques.Un puits sans fondEn août 2009, le Congrès US avait estimé à 389 milliards de dollars les subsides fédéraux dont auraient besoin Fanny et Freddie jusqu'en 2019. En février dernier, la Maison Blanche a réévalué cette estimation à 160 milliards de dolalrs, mais à condition que la reprise soit au rendez-vous. Et c'est justement là que le bât blesse... Le prix moyen d'une maison continue de se tasser (173.100 dollars, soit 25 % en dessous de son sommet de juillet 2006) et les défauts de paiements dans le chef des créanciers hypothécaires vont continuer à croître.Un triplement du taux de défaut hypothécaireSur les 5.500 milliards de dollars de prêts garantis par Fanny et Freddie, près de 2.000 milliards de dollars ont été consentis dans les États où le taux de saisies immobilières est le plus élevé (Californie, Floride, Nevada, et Arizona) et ces prêts ont été majoritairement (1.130 milliards de dollars) octroyés en 2006 et 2007, au sommet de la bulle immobilière. Dans ce contexte, les analystes de Barclays capital, qui tablent sur une baisse des prix immobiliers de 20 % et un triplement du taux de défaut hypothécaire, estiment que les besoins financiers de Fanny et Freddie pourraient grimper jusqu'à 500 milliards de dollars. Sean Egan va encore plus loin. Le président d'Egan-Jones Ratings, qui a signé ses lettres de noblesse en mettant à temps en garde sa clientèle contre le risque de défaut d'Enron en 2001 et, plus récemment, en prédisant l'explosion du marché des obligations municipales aux États-Unis, considère que le scénario le plus sombre pourrait se solder par « une facture de l'ordre de 1.000 milliards de dollars ». Soit plus que les 750 milliards d'euros du plan européen de soutien financier à tous les pays de la zone euro qui pourraient se retrouver à court de liquidités. De quoi relativiser l'apparente sérénité des investisseurs à l'égard de la dette américaine..Les USA pieds et poings liésLes investisseurs se disent sans doute, à l'instar de Robert Shiller, que « les États-Unis ne peuvent se permettre de laisser Fanny et Freddie faire défaut sur leurs dettes ». Le célèbre professeur d'économie de l'Université professeur estime qu'une telle décision reviendrait à « provoquer un choc économique d'une ampleur comparable à la décision de mettre fin à l'étalon or dans les années 30 ». Il ne faut, en effet, par perdre de vue que les deux groupes ont levé par le passé des milliards de dollars sous forme de dettes d'entreprise qui sont aujourd'hui aux mains des investisseurs du monde entier. Si les Chinois et les Japonais en détiennent plus de 900 milliards de dollars, c'est parce que ces papiers bénéficient de la garantie implicite de l'État. On ne peut donc pas imaginer que les États-Unis reviennent sur cet état de fait.Il n'en reste pas moins qu'en l'absence de solution, les deux sociétés vont continuer à puiser auprès du Trésor des milliards de dolalrs chaque trimestre.Une situation intenable. D'autant plus que les actions préférentielles détenues par l'État dans les deux groupes lui assurent des dividendes annuels de 10 %, soit près de 14,5 milliards de dollars. Ce qui est plus que les bénéfices dégagés par Fanny et Freddie dans leurs années les plus fastes. On aura compris que le dossier Fanny et Freddie demeure l'une des principales épées de Damoclès pesant sur les pouvoirs publics US. Pour Qumber Hassan, stratégiste hypothécaire auprès de Credit Suisse, « l'État est pris au piège: au plus il perçoit des dividendes, au plus il va devoir renflouer les deux entreprises ».Gagner du temps... En réalité, en ne prenant pas de décision, les autorités publiques jouent la montre dans l'espoir que la reprise économique aura pour conséquence de réduire les défaillances hypothécaires et relancer les prix du marché immobilier, qui pèse 17 % dans le PIB américain. Le hic c'est que, comme le fait remarquer Robert Van Order, ancien économiste en chef de Freddie Mac et professeur de Finances à l'Université de George Washington, « il faudrait au moins deux années de réappréciation des biens immobiliers pour redynamiser le marché de la titrisation des prêts hypothécaire ». Un lourd tribut en vue pour le contribuableIl est donc vain de croire que les investisseurs oseront se porter acquéreurs d'obligations adossées à des créances immobilières. Or, c'est une condition sine qua non au retrait de l'État dans Fanny et Freddie.... ou séparer le bon grain de l'ivraie? Selon les analystes de Credit Suisse, le gouvernement US pourrait limiter la casse (290 milliards de dollars) s'il décidait de reconstituer Fanny et Freddie en une « good bank » qui recueillerait les prêts performants et une « bad bank » où iraient se loger les créances douteuses.La balle est dans le camps du Congrès qui devrait soumettre en juillet une proposition au président Obama. Nul doute que les détenteurs de dettes US suivront de près l'évolution des débats. Dans tous les cas, le contribuable doit encore s'attendre à payer un lourd tribut à la crise des subprimes.
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