L'analyse d'Erik Izraelewicz : la retraite, un piège pour tous

Nicolas Sarkozy sait que la réforme des retraites est, pour lui, un piège. Avec le projet déposé cette semaine, il joue gros. De son côté, la gauche de gouvernement voit dans cette réforme une opportunité inespérée. Elle compte s'y opposer avec fermeté, en faire même son cheval de bataille pour la présidentielle. Elle se précipite avec une belle unanimité dans un combat qui pourrait bien être, pour elle aussi, un redoutable piège. Faire ou ne rien faire, un risquePour Nicolas Sarkozy tout d'abord, dans ce dossier, comme il l'analyse lui-même volontiers, faire ou ne rien faire, c'est prendre, dans les deux cas, un grand risque. Engager cette réforme, c'est prendre le risque d'une explosion sociale ? il dit de la France qu'elle est un « pays éruptif ». Ses amis du « grand emprunt », Alain Juppé et Michel Rocard, l'en ont sûrement averti. Le premier sait, depuis les défilés de 1995, ce qu'il en coûte que de vouloir s'attaquer à notre système de retraite. Le second aimait à dire que bien des gouvernements tomberont encore, en France, sur une telle volonté. Ne rien faire, laisser en l'état un système menacé de faillite, c'est prendre le risque d'autres sanctions ? celle des marchés d'abord, celle de l'opinion ensuite qui à terme pourrait lui reprocher de n'avoir pas agi à temps pour sauver l'un des piliers de notre modèle social. Face au projet présenté par Eric Woerth cette semaine, un projet qui s'attaque à des symboles forts (la retraite à 60 ans, les privilèges des fonctionnaires, etc...), le PS se frotte les mains. Il y voit une formidable opportunité, l'occasion de préparer sa victoire à la présidentielle de 2012. Avant même que le gouvernement n'ait dévoilé ses cartouches, François Hollande dénonçait la réforme « la plus injuste » que l'on puisse imaginer. Martine Aubry n'avait guère attendu davantage pour brocarder une « réforme irresponsable » et confirmer que dès son retour au pouvoir, la gauche abolirait la réforme en question, qu'elle reviendrait par exemple à l'âge légal du départ à la retraite de 60 ans. Cette posture, radicale et définitive, n'est pas sans danger.De l'ambivalence de l'opinion Bien sûr, le PS s'inscrit, à priori, dans le mouvement de l'opinion. Les sondages vont confirmer que les Français sont très massivement attachés à la retraite à 60 ans. Les syndicats vont parvenir à mobiliser leurs troupes - la réforme s'attaque à leur « électorat », les fonctionnaires, qui est aussi celui du PS. Cela étant, ces mêmes sondages révèleront dans le même temps une certaine résignation des Français. L'Elysée et ses porte-paroles ne manqueront pas ensuite de souligner que les socialistes français n'ont pas toujours été aussi radicaux dans leurs discours. Fabius s'était opposé en 1983 aux 60 ans de Mitterrand et avait promis, à l'époque, qu'il faudrait, tôt ou tard, revenir aux 65 ans initiaux. Ils rappelleront aussi que le PS français est le seul des partis sociaux-démocrates, en Europe, à adopter une attitude aussi inflexible. Le relèvement de l'âge du départ à la retraite a été organisé dans tous les pays européens par des gouvernements de gauche ? Prodi en Italie, Schroeder en Allemagne, Zapatero en Espagne, etc... Plus subtilement, le gouvernement ne manquera pas de faire remarquer que le dernier rapport du FMI sur la France, tout juste publié, approuve les grands choix de la réforme présentée - les jugeant même peut être encore insuffisants. En rappelant que le directeur général du FMI, le signataire donc de ce rapport, n'est autre que DSK. Au-delà, le PS joue de l'opposition, viscérale, de l'opinion à cette remise en cause des 60 ans mais semble oublier que dans le même temps, cette même opinion, résignée, estime indispensable d'agir sur ce dossier. Elle en a voulu à Lionel Jospin de ne pas s'en être préoccupé lorsqu'il était à Matignon. Il n'est pas sûr enfin que le projet socialiste (un financement des pensions assuré par un alourdissement massif des prélèvements et par une retraite à la carte) présenté au début du mois rencontre un meilleur accueil dans l'opinion. La retraite est un piège pour Nicolas Sarkozy ? il s'en inquiète. Elle est un piège pour le PS aussi - il n'est pas sûr que celui-ci en ait conscience. C'est peut-être finalement là la chance de Sarkozy.
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