Olivier Duha, CroissancePlus : "la France crève de l'ultra-régulation du travail"

De quoi va-t-on parler cette année au \"Spring Campus\" de Croissance Plus ? Des réformes de François Hollande ?Après quatre éditions consacrées à la macro ou à la micro-économie et à des questions en lien avec l\'actualité, nous avons décidé pour cette cinquième édition de prendre de la hauteur. Pour les 300 dirigeants d\'entreprises membres de CroissancePlus conviés pour trois jours à Evian, c\'est l\'occasion de s\'interroger sur les défis géopolitiques, environnementaux, sociétaux et énergétiques du monde demain. Avec une intuition : en 2030, le monde pourrait être à la fois mieux et pire qu\'aujourd\'hui, économiquement plus riche mais aussi plus vulnérable... Pour être un entrepreneur performant, il faut savoir où l\'on va. L\'horizon 2030, cela veut dire un monde qui passe de 7 à 8,4 milliards d\'habitants, un taux d\'urbanisation qui double, à 60%, l\'équivalent de cinq villes de la taille de Londres tous les ans... C\'est un monde qui va vieillir, avec un risque d\'appauvrissement dans les pays occidentaux et une montée des flux migratoires pour compenser les besoins de main d\'œuvre sur le marché du travail... C\'est aussi un monde de plus en plus dépendant des nouvelles technologies. On va vivre de nouvelles révolutions de l\'informatique : la miniaturisation, les réseaux intelligents, la robotisation. C\'est un mouvement irréversible où on n\'a pas prévu de marche arrière. Cela rend les économies plus vulnérables. Si un virus bloque internet, cela peut anéantir un pays. L\'autre défi, c\'est la place de l\'humain dans tout cela. On va vers un monde où il y aura de plus en plus de matière grise, mais de moins en moins d\'emplois non qualifiés. Le danger, c\'est d\'entrer dans une économie sans emplois et sans croissance. Or on ne sait pas penser un monde sans croissance.Pourtant, la croissance, tous les pays courent après...C\'est tout le paradoxe. Le potentiel de croissance de la France, ce n\'est pas 0,5%, mais 2 ou 3%. Comment faire pour retrouver ce dynamisme ? Il faut libérer l\'esprit d\'entreprise et d\'innovation. Nos entreprises sont devenues les moins rentables d\'Europe : en Allemagne, le taux de marge brute sur valeur ajoutée est de 40%. En France, il est de 28%, un plus bas historique. Inutile de chercher ailleurs les causes de notre chômage de masse.L\'élection à la présidence du Medef fait polémique. Comment cela se passe-t-il chez CroissancePlus ?J\'ai été élu il y a un an et demi et cela tourne tous les deux ans. Dès mon arrivée, j\'ai fait changer les statuts pour raccourcir le mandat qui auparavant était de deux ans plus un an. Tous les entrepreneurs de croissancePlus sont en activité avec de belles boites à gérer. Un mandat court et non renouvelable, cela crée du dynamisme et de l\'émulation. L\'inconvénient pour nos interlocuteurs, c\'est que les responsables de CroissancePlus changent plus souvent, ce qu\'ils nous reprochent parfois, d\'autant que le temps d\'acquisition des réseaux et des connaissances sur des sujets techniques est complexe et long. Mais cela assure un renouvellement permanent et évite une fossilisation.Que pensez-vous de la tentative de Laurence Parisot de refaire un mandat de cinq ans après huit ans déjà à la tête du Medef ?Je trouve cela assez triste et c\'est un bien mauvais message adressé à l\'opinion au moment où la perception de l\'entreprise et du comportement de certains dirigeants n\'a jamais été aussi négatif, ce qui fait du mal à notre économie. La patronne des patrons devrait être plus soucieuse de l\'exemplarité qu\'elle doit incarner. C\'est d\'autant plus dommageable que le bilan du Medef n\'est pas suffisamment bon. L\'entreprise et la compétitivité n\'ont pas été bien défendues face aux différents gouvernements qui se sont succédés depuis huit ans. Le Medef a été beaucoup trop indulgent avec Nicolas Sarkozy comme avec François Hollande. Si l\'économie française en est là, c\'est parce que le patronat n\'a pas su taper du poing sur la table et avertir les dirigeants politiques du danger que courrait l\'économie française. Le Medef porte à mon sens une énorme responsabilité pour avoir laissé la situation se dégrader et n\'avoir pas mis suffisamment la pression pour remettre en cause la loi sur les 35 heures qui a fait déraper le coût horaire du travail. Notre conviction, c\'est que la France crève de l\'ultra-régulation du travail. Avant, le monde était simple : les gros mangeaient les petits ; aujourd\'hui, ce sont les rapides qui mangent les lents. Les entreprises qui s\'en sortent sont celles qui sont agiles. Et pour l\'être, il faut bénéficier d\'un environnement qui favorise cette capacité d\'adaptation rapide. En 1878, quand Edison a inventé l\'ampoule électrique, il a fallu 46 ans pour que 25% de la population américaine soit équipée ; pour le téléphone, il a fallu 35 ans, 18 ans pour la télévision et 7 ans pour internet. La grande innovation d\'Apple, ce n\'est pas tant la technologie, mais la capacité que cette entreprise a su déployer pour coloniser le monde en cinq ans.Pour vous, le gouvernement ne fait rien pour changer cela ?Notre classe politique n\'a pas compris que ce qui caractérise le monde actuel, c\'est la vitesse avec laquelle sont introduits les produits et les innovations et la rapidité avec laquelle les consommateurs les adoptent. Dans ce contexte, la France avance avec des boulets... Un exemple, lors du récent voyage de François Hollande à Dijon, le dirigeant de la société Urgo lui a offert un cas d\'école exemplaire du mal français. Urgo a développé un nouveau gaz cicatrisant en 2010. Il a obtenu l\'autorisation de mise sur le marché en Allemagne en un mois et en Angleterre en six mois. En France il faudra quatre ans... Du coup, cet entrepreneur doit expliquer pourquoi son produit est vendu partout, sauf chez nous... On dit que c\'est à la suite de cette rencontre que le président de la République a décidé d\'agir par ordonnances pour simplifier les normes qui bloquent l\'économie... Quelle meilleure démonstration que le temps politique n\'est plus adapté à celui de l\'économie !Qu\'attendez-vous de François Hollande, qui va sans doute s\'exprimer la semaine prochaine ?Ce que je constate, c\'est qu\'il y a un diagnostic très largement partagé sur les maux de notre économie et aussi sur les remèdes. Ce qui manque, c\'est du courage politique. Il est vrai qu\'à force de tergiverser, il n\'y a aucune bonne nouvelle à annoncer en ce moment aux Français. Il n\'y a rien de populaire à flexibiliser le marché du travail, à augmenter sa durée ou à réduire la dépense publique. Mais c\'est pourtant nécessaire. Il nous manque un leader déterminé à agir et qui ne soit pas obnubilé par sa réélection. Qu\'attendons-nous ? Que l\'on bloque et que l\'on taxe les comptes bancaires comme à Chypre ? A force de rechercher le consensus sur les réformes, on se condamne à l\'immobilisme.Que pensez-vous de l\'accord sur l\'emploi signé entre patronat et certains syndicats ?L\'accord sur l\'emploi dont on se gargarise est important mais pas historique. On a évité le vrai sujet qui était de rendre plus souple notre droit du travail et de donner aux entreprises un environnement qui lui permette d\'avancer plus vite. Essayons et on verra bien que ce sera bon pour l\'emploi. De nombreux entrepreneurs que je croise me disent qu\'ils n\'osent pas embaucher. Ce qui nous manque, c\'est, comme cela existe dans le bâtiment, un contrat de travail attaché à une mission. Il y a encore en France des vaches sacrées : les 35 heures, le Smic égal pour tous.CroissancePlus a proposé un SMIP (Salaire Minimum d\'Insertion Professionnel) progressif pour les jeunes. Cette mesure devrait être présentée comme un outil de justice sociale. Entre un jeune de 18 ans qui entre sur le marché du travail sans expérience et un adulte de 30 ans qui commence à avoir des charges de famille, le rapport au pouvoir d\'achat n\'est pas le même car le niveau de dépense contrainte est différent.Que vous inspire la déclaration fracassante de Bernard Charlès qui dit que Dassault Systèmes va devoir quitter la France et que le niveau des impôts est en train de casser l\'économie numérique ?Le problème soulevé par Bernard Charlès est différent de celui des entrepreneurs du numérique connu sous le nom de « pigeons ». Pour Dassault Systèmes, la question centrale est de pouvoir attirer les meilleurs talents. Il dit que ce n\'est plus possible dans le cadre fiscal issu de la loi de finances de 2013. Surtout que le gouvernement n\'a pas renoncé à la taxe à 75% et va la réintroduire sous une autre forme. En surtaxant les stock-options, les gouvernements successifs ont remis en cause une mesure qui, dans son principe, réconciliait le capital et le travail. La France a tué cette idée à cause de cinq ou six mauvais exemples donnés par des entreprises du CAC 40 alors que c\'était à l\'origine un dispositif fait pour des start-up et des entreprises innovantes. Qu\'on ne vienne pas se plaindre ensuite que des centaines d\'entrepreneurs choisissent l\'exil. On est dans un monde ouvert et l\'attractivité est aussi une question fiscale. Plutôt que d\'exil fiscal, parlons même d\'un exil sociétal. Les jeunes qui partent le font parce qu\'ils pensent qu\'on ne les encourage pas à réussir en France. Pourtant, quand un individu s\'enrichit, la société dans laquelle il vit s\'enrichit plus encore. A oublier cette équation, on appauvrit la France.Et le débat sur la fiscalité des plus-values, incarné par le mouvement des \"Pigeons\" ?Les « Pigeons », c\'est autre chose. Le gouvernement a reconnu avoir fait une erreur avec sa nouvelle fiscalité des plus-values et n\'a pas réussi à la corriger pour des raisons idéologiques et anti-économiques. Taxer les revenus du capital comme ceux du travail est une hérésie parce que le capital, à l\'origine, c\'est du travail déjà taxé. En outre, avec le cumul IR, prélèvements sociaux et ISF, la réalité pour nombre d\'entrepreneurs, c\'est un capital qui est désormais plus taxé que le travail. Le gouvernement a reconnu avoir fait une erreur mais n\'a pas réussi à corriger le tir, car en créant un statut de « vrai entrepreneur », il fabrique de nouvelles inégalités. Pourquoi différencier le traitement fiscal d\'un créateur d\'entreprise de celui de ses salariés qu\'il a associé à son capital ? Quand le premier pourra être taxé à 35,5%, les autres le seront à plus de 60%. Pourtant, ils ont pris eux-aussi un risque entrepreneurial en décidant d\'acheter des actions de leur propre entreprise. Investir dans une start-up, c\'est un risque. Tous les ans, 300.000 entreprises se créent (hors auto-entrepreneurs). Sur ce nombre, 300 auront dépassé en 10 ans 15 millions de chiffre d\'affaires... Et 1 sur 1000 créera de la valeur pour ses actionnaires. Les deux tiers disparaitront.Ce que l\'on attend des Assises de l\'entrepreneuriat, qui devraient rendre leurs conclusions en avril, c\'est que l\'on considère la nature de l\'investissement, et pas celle de l\'investisseur. J\'espère qu\'il y aura dans le PLF pour 2014 une correction majeure de la fiscalité des plus -values. Cette mesure est d\'autant plus absurde que, comme pour les 75% d\'IR, elle ne rapporte presque rien au budget de la France.Webhelp en quelques mots ?Webhelp est une société de services et de conseils en relation client : acquisition, avant et après -vente, recouvrement, fidélisation... On couvre tout le cycle de vie du client dans sa relation avec une marque avec tous les outils online. Le monde de la relation client devient de plus en plus distant du consommateur. Nous avons 16000 employés répartis sur 35 centres de production en France, au Royaume-Uni, au Maroc, en Roumanie et en Algérie... La société fait 350 millions de chiffre d\'affaires après 13 ans d\'existence (juin 2000). Le capital est détenu à 60% par le fonds d\'investissement Charterhouse et à 40% le management au sens très large.Nous nous sommes développés par croissance organique jusqu\'aux 220 premiers millions de chiffre d\'affaires. Le mois dernier a été réalisé la première acquisition, celle de la filiale du groupe Hero TSC, le troisième opérateur britannique. L\'avenir de Webhelp va s\'inscrire à l\'étranger avec une phase d\'acquisitions visant l\'Asie, c\'est-à-dire la Chine et les Philippines. Notre croissance va se faire sur le développement des classes moyennes dans les pays émergents (15% actuellement mais 40% de la population d\'ici 2030), qui s\'équipent en téléphone et en internet ce qui permet le contact avec les centres d\'appel...Interview publiée dans La Tribune Hebdomadaire du 22 mars 2013
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