L'Allemagne a payé sa dette de guerre

Les Allemands qui fêteront dimanche soir le vingtième anniversaire de la réunification pourront redoubler de joie. Car, le lendemain, la République fédérale aura officiellement soldé ses obligations financières issues indirectement du traité de Versailles. Les détenteurs des dernières obligations en lien avec les réparations exigées par les alliés toucheront ce jour-là 100 millions d'euros de capital et 1,5 million d'euros d'intérêts. Avec ce paiement s'achèvera le remboursement d'une dette qui, depuis 91 ans, empoisonne les finances allemandes et les relations internationales, mais qui a aussi permis au pays de devenir le havre de confiance financière qu'il est aujourd'hui.Tout commence donc le 28 juin 1919. En signant ce jour-là, non sans protestations, le traité de paix, la jeune république de Weimar reconnaît la responsabilité principale de l'Allemagne dans le déclenchement de la Première Guerre mondiale et en accepte les conséquences : le paiement de réparations pour dommages de guerre. Quoique divisés, les alliés ont finalement accepté ce principe sous la pression d'une France qui espère ainsi combler ses déficits abyssaux. En avril 1921, une commission fixe le montant à payer à 132 milliards de marks or, payables par annuités de 2 milliards de marks. À peine fixées, ces conditions sont cependant impraticables : l'Allemagne est ruinée et dépourvue de réserves d'or et de devises. Tout paiement aggrave la crise financière et alimente l'hyperinflation. En 1924, Charles Dawes, un banquier américain, propose de réduire temporairement les annuités et de lancer des emprunts sur les marchés des capitaux pour stabiliser le budget et l'économie allemands, ce qui doit assurer les futurs paiements. 800 millions de marks sont alors levés sous forme d'obligations à 25 ans portant intérêt à 7 %, ce sont les « emprunts Dawes ». Ce plan est une réussite?: l'Allemagne paie et le budget français en profite, alignant quatre années d'excédents de 1926 à 1929. « Les réparations ont alimenté la prospérité budgétaire de la France à la fin des années 1920 », souligne Olivier Feiertag, professeur d'histoire économique à l'université de Rouen. Les paiements restent pourtant trop lourds. En 1929, il faut un nouveau plan, proposé cette fois par Owen Young, président de General Electric. Le montant des réparations est réduit d'un tiers et leur paiement étalé sur 59 ans. Comme en 1924, une série d'emprunts à 5,5 % sur 35 ans est lancée pour un montant de 1,2 milliard de marks. Pour attirer les investisseurs en pleine crise financière, on la garantit d'un remboursement en or. Mais la crise frappe très sévèrement l'Allemagne à partir de 1931. Afin d'éviter l'effondrement du pays, les alliés renoncent finalement, en juillet 1932, aux réparations. En tout, l'Allemagne aura payé 23 milliards de marks, soit 17 % du montant fixé en 1921. Mais si elle est débarrassée du fardeau des réparations, elle doit encore rembourser les emprunts Dawes et Young. Or, le contrôle des changes imposé en juillet 1931 a déjà limité les versements aux créanciers et, avec l'arrivée d'Adolf Hitler au pouvoir en janvier 1933, la mauvaise volonté politique s'ajoute aux difficultés financières. En mai 1934, l'Allemagne cesse ces paiements et conditionne la reprise partielle de ces derniers à des accords favorisant les exportations allemandes. Avec la guerre mondiale, les créanciers « ennemis » ne sont plus payés.En 1945, l'Allemagne n'est plus qu'un territoire occupé?: elle n'honore donc plus ses dettes. Six ans plus tard cependant, le chancelier Konrad Adenauer déclare que la République fédérale d'Allemagne, fondée en 1949, accepte de reprendre les créances du passé. Des négociations s'ouvrent alors à Londres. Adenauer entend prouver aux marchés la capacité de la RFA à honorer ses dettes. L'accord signé le 27 février 1953 prévoit l'émission de nouveaux emprunts à intérêts réduits. La moitié au moins du montant de la dette est annulée de facto, selon Timothy Guinanne, de l'université de Yale. Une des méthodes pour réduire le fardeau a été la suppression de la clause-or et son remplacement par une clause-dollar au taux du 1er août 1952, ce qui permet de réduire la valeur de la dette de 40 % environ. L'essor économique et la position forte acquise par l'Allemagne sur les marchés ont tôt fait de rendre les remboursements, qui atteignent 350 millions de marks en 1958, négligeables pour la RFA. Les emprunts Dawes nouvelle version sont remboursés en 1969, les emprunts Young en 1980. Finalement, l'Allemagne est parvenue à rétablir à moindre coût sa crédibilité financière.Mais l'histoire ne s'arrête pas là. La RFA avait refusé à Londres de payer les intérêts de 1945 à 1952, affirmant que ce paiement revenait à l'Allemagne dans son ensemble, donc également à la RDA. Pour sauver la face, l'article 25 des accords de Londres faisait donc de la réunification une condition pour le paiement de ces intérêts. Une aimable plaisanterie à l'époque. Mais le 3 octobre 1990, la condition est remplie et Bonn, encore capitale allemande, lance des obligations sur 20 ans portant intérêt à 3 % pour financer ces huit années d'intérêts (qui ont été réduits). C'est cet emprunt, lointain héritier des obligations Dawes et Young, qui sera remboursé ce lundi.Le rideau est-il baissé? ? Pas si sûr, car il reste des questions en suspens. Beaucoup de porteurs américains n'ont pas accepté les accords de Londres de 1953, comme ils en avaient le droit. Ils réclament aujourd'hui le remboursement de leurs titres au prix de l'or. Des exigences rejetées par l'Allemagne. La justice américaine devra se prononcer. En août dernier, un tribunal de Floride a reconnu la recevabilité d'une plainte de la compagnie World Holdings qui réclame 400 millions d'euros à l'Allemagne. Son avocat, Mike Elsner, du cabinet Motley Rice, estime que « les porteurs américains n'ont pas à se soumettre aux conditions imposées par l'Allemagne ». Le jugement, qui pourrait intervenir dès l'an prochain, sera, prévient l'avocat, celui de la « capacité de l'Allemagne à honorer ses dettes ». Et comme le souligne Hans-Georg Glasemann, l'expert allemand de référence sur le sujet, « les titres Young et Dawes » n'ont pas de date de prescription. Ils sont toujours valables. Décidément, l'ombre des réparations plane encore au-dessus de la tête du gouvernement allemand. Éric Chol et Romaric Godin, à Francfort
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