La CJCE réaffirme la libre utilisation de sociétés communautaires par les groupes européens

Par Jean-Luc Calisti, avocat à la Cour (Herbert Smith LLP).

La société anonyme Papillon exerce une activité immobilière et appartient au groupe européen Palladium. En 1988, elle a constitué un groupe fiscal avec plusieurs sous-filiales françaises, dont la société Kiron active dans le secteur culturel (édition, spectacle, etc.), en vertu de l'article 223 A du code général des impôts, dispositif qui permet d'agréger les profits et les pertes des sociétés membres du groupe fiscal.

L'administration fiscale a remis en cause cette option car Papillon détenait le capital de ces filiales par l'intermédiaire de la société néerlandaise APC BV. Contestant ce redressement, la société a porté l'affaire devant les juridictions fiscales françaises. Après que la Cour administrative d'appel de Paris ait rejeté la demande de Papillon le 24 juin 2005, cette dernière a formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat.

Le 10 juillet 2007, le Conseil d'Etat a saisi la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) de deux questions préjudicielles pour savoir si l'exclusion du régime de l'intégration fiscale des sociétés filiales détenues par l'intermédiaire d'une société étrangère établie dans l'Union européenne constituait une restriction à la liberté d'établissement, au sens de l'article 43 du Traité CE, et dans l'affirmative, si une telle exclusion pouvait être justifiée.

La CJCE a rendu son arrêt le 27 novembre 2008 (aff. C-418/07). Bien que la question posée à la Cour n'ait pas porté sur la question de l'inclusion de la société néerlandaise dans le groupe fiscal constitué par Papillon, l'administration fiscale a cherché à attirer la CJCE sur le terrain du risque de double prise en compte des pertes fiscales, au sens de sa décision Marks&Spencer du 13 décembre 2005 (C-446/03) dans laquelle elle s'était prononcée en défaveur du contribuable.

Surtout, elle soutenait, appuyée en cela par les autorités allemandes, néerlandaises et espagnoles, que l'existence d'une société communautaire dans la chaîne de participation mettait en péril la cohérence fiscale du système de l'intégration fiscale, notamment en ce qui concerne la neutralisation des opérations intra-groupe (dépréciation des titres de participation ou des créances douteuses, cessions d'actifs immobilisés et abandons de créances intra-groupe), qui ne pouvait, selon elle, être convenablement assurée.

La CJCE a rejeté les arguments des autorités fiscales. Elle a considéré que l'excuse de cohérence n'était pas justifiée, notamment en ce que l'impossibilité pure et simple d'intégrer les sous-filiales détenues indirectement apparaissait disproportionnée par rapport au risque allégué, dès lors que le législateur français dispose de moyens moins contraignants pour vérifier la bonne application du dispositif. La Cour a ainsi noté l'existence d'une directive européenne en matière d'assistance des autorités fiscales communautaires et d'une convention fiscale entre la France et les Pays-Bas de nature à permettre aux autorités françaises d'obtenir les informations nécessaires de la part des autorités compétentes concernées.

Elle a donc condamné le dispositif français en tout point et sans renvoi au Conseil d'Etat pour apprécier si l'excuse de cohérence respectait le principe de proportionnalité comme l'y avait pourtant invité l'avocat général Kokott dans ses conclusions du 4 septembre 2008.

Au regard de l'intégration fiscale, cet arrêt donnera plus de souplesse aux groupes français (et d'autres pays membres) détenant des sous-filiales par l'intermédiaire de sociétés communautaires. Il est en effet courant qu'un groupe d'un Etat membre soit acquis par un groupe français et que ce dernier souhaite élargir son groupe fiscal aux sociétés françaises (indirectement) acquises. Des reclassements préalables de titres pouvant se révéler coûteux pourront ainsi être évités à l'avenir. Par ailleurs, des réclamations pourront être introduites concernant les sous-filiales françaises dont l'absence d'intégration, du fait du dispositif existant, a pu entraîner pour des groupes fiscaux existants une charge fiscale supérieure à celle qu'auraient supportée lesdits groupes si ces filiales avaient été intégrées.

Au-delà du régime d'intégration fiscale, cette décision confirme que l'utilisation de sociétés communautaires ne peut en soi interdire le bénéfice de certains régime fiscaux de faveur. La seule limite posée par la CJCE et la loi française est l'utilisation de sociétés communautaires dans le cadre d'un montage artificiel dont le but serait de contourner la législation française (cf. article 209 B, dans sa rédaction issue de la loi de finances pour 2005). On notera à cet égard que l'article 20 du projet de loi de finances rectificative pour 2008 vise à légaliser la définition récente de l'abus de droit donnée par le Conseil d'Etat dans une série d'affaires concernant notamment l'utilisation abusive de sociétés communautaires en vue de bénéficier d'un régime de faveur prévu par la législation française.

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