Jusqu'où faut-il contrôler les aides d'Etat aux banques ?

Par David Spector, professeur associé à l'Ecole d'Economie de Paris.

Les plans de sauvetage des banques mis en place par les Etats font l?objet de contrôles par la Commission européenne. Si les autorités de Bruxelles ont fait preuve jusqu?à maintenant de pragmatisme, en particulier dans la délicate appréhension du risque de distorsion de concurrence et de la nécessité de maintenir un flux de crédit suffisant pour les établissements, ce rôle pose un certain nombre de questions.

Depuis le sauvetage de Northern Rock à l?automne 2007, la Commission européenne a déployé une intense activité pour contrôler les aides au secteur bancaire. Elle a ouvert plusieurs dizaines de procédures concernant des dispositifs généraux mis en place par les Etats ou des aides octroyées à des banques individuelles. Elle a aussi rendu de nombreuses décisions, et publié pas moins de trois communications détaillées.

Ce type de contrôle est unique au monde : aux Etats-Unis, le président et le Congrès peuvent envisager des mesures de recapitalisation, de nationalisation ou de rachat d?actifs sans les soumettre à un contrôle extérieur. Le partage des compétences entre les Etats et la Commission ne peut que donner à cette dernière un visage sévère, à quelques mois des élections européennes : la recherche et la mise en ?uvre des solutions est du ressort des Etats, et le rôle de la Commission - seule institution véritablement supranationale - consiste principalement à exercer un contrôle strict.

Il faut reconnaître que la Commission fait preuve d?un grand pragmatisme. Les douze mois qui séparent le sauvetage de Northern Rock de la faillite de Lehman Brothers ont été pour elle une période d?apprentissage, pendant laquelle six décisions ont été rendues. Cela a rendu possible un traitement rapide et efficace des affaires ultérieures, au sommet de la crise financière.

L?appréhension des aides au secteur bancaire par la Commission soulève néanmoins plusieurs questions. Tout d?abord, il peut exister une certaine tension entre l?objectif général du contrôle des aides d?Etat - limiter les distorsions de concurrence - et l?objectif spécifique des aides au secteur bancaire, qui consiste à maintenir un flux de crédit suffisant. Ainsi, en échange de son accord aux aides versées à Northern Rock, la Commission a obtenu que cette banque s?engage à diminuer fortement sa production de prêts, au risque de réduire le flux global de crédit à l?économie britannique.

Cette contradiction semble toutefois s?atténuer puisque la Commission met maintenant davantage l?accent sur des exigences de cessions d?actifs et de filiales. D?une manière générale, les risques de distorsion de concurrence sont en réalité moins marqués dans le secteur bancaire que dans le reste de l?économie.

Dans l?industrie, la crise actuelle se traduit par une baisse de la demande. Les surcapacités qui en résultent conduisent à une inflation faible et parfois à des baisses de prix. Dans une telle situation, une aide publique à une entreprise a toutes les chances de nuire à ses rivaux et d?affecter la concurrence : si un Etat subventionne un constructeur automobile, la conséquence la plus probable n?est pas une augmentation globale de la production automobile européenne, mais un simple transfert de parts de marché entre constructeurs, sans bénéfice pour l?économie européenne dans son ensemble.

Sans contrôle communautaire, l?octroi d?aides aux producteurs risquerait donc d?être un jeu à somme nulle parce que le goulot d?étranglement se situe du côté de la demande. Cela justifie d?ailleurs de donner une priorité aux politiques de soutien de la demande.

La situation du secteur bancaire est très différente, car le goulot d?étranglement se situe du côté de l?offre, face à une demande qui ne faiblit pas. Les banques limitent l?octroi de crédit non pas en réponse à une moindre sollicitation de la part des emprunteurs, mais pour restaurer leurs liquidités et leurs ratios de solvabilité. Ce déséquilibre entre offre et demande, inverse de celui qui prévaut dans le reste de l?économie, se traduit par des taux d?intérêt exceptionnellement élevés (sauf pour certains Etats), et non par des baisses de prix comme dans le reste de l?économie.

Ainsi, lorsqu?une aide publique permet à une banque de prêter davantage, une part importante des prêts supplémentaires ne représente pas un transfert de part de marché au détriment de banques concurrentes, mais plutôt une augmentation de la production totale de crédit. Il convient donc de ne pas surestimer le risque de distorsion de concurrence dans le secteur bancaire, et au contraire d?exercer un contrôle strict dans les autres secteurs.

La question des nationalisations est un autre point d?achoppement pour la Commission. Si elle a autorisé la nationalisation de certaines banques et reconnu récemment qu?une telle solution peut faciliter le traitement des actifs toxiques, la Commission considère néanmoins les nationalisations, même partielles, comme une option de dernier ressort. Cette méfiance n?est pas totalement injustifiée à la lumière de l?expérience des dernières décennies.

Mais à l?heure où de plus en plus de voix, aux Etats-Unis, soulignent les avantages des nationalisations bancaires temporaires par rapport aux autres mécanismes de sauvetage, on pourrait souhaiter une approche plus équilibrée, conformément au traité de Rome qui stipule une neutralité absolue quant à la forme publique ou privée de la propriété des entreprises.

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