D'une mondialisation de fait à la mondialisation en droit

Par François Ewald, professeur au Conservatoire national des arts et métiers.

Economique, financière, climatique, géopolitique... Parce qu'elles sont globales, les crises que nous traversons imposent la mise en place de mécanismes coopératifs. Mutualiser les problèmes et les solutions qu'on y apporte ne fera pas disparaître les rapports de force, mais il s'agit d'un premier pas vers un état de droit global.

Londres (G20), Strasbourg (sommet de l'Otan), Prague (Conseil de l'Europe)... Dans ces trois capitales de la vieille Europe, la mondialisation a pris un nouveau sens. L'euphorie qui s'est emparée des chefs d'État témoigne de ce qu'ils ont été eux-mêmes surpris de ce qu'ils ont découvert comme devant former le cadre de leur coopération commune future. Que s'est-il donc passé qu'ils n'avaient eux-mêmes anticipé ?

La mondialisation a changé de statut : elle est passée d'un état de fait brutal, dérégulé, égoïste, violent, parfois sanglant - un peu à l'instar de l'état de nature des philosophes politiques -, à celui d'état de droit, promesse de nouveaux jeux coopératifs. L'enthousiasme, qui a clos le G20, était sans doute lié à la satisfaction d'avoir évité l'échec, mais surtout à ce que les chefs d'Etat présents se sont découverts, à l'issue du sommet, différents de ce qu'ils croyaient être en arrivant. Ils se sont reconnus dans un nouveau rôle, un peu, comme il y a deux siècles à Versailles, les délégués aux états généraux, se sont "reconnus", en se prêtant un serment mutuel, comme constituants de la nation.

Bien sûr, ce ne sont que des débuts, des esquisses. Et déjà, les contrepoids se font sentir, comme pour nous désenchanter. Réalistes et grincheux ne vont pas manquer de nous rappeler à la dure réalité des conflits et des divisions. Il n'est pourtant pas sûr qu'ils parviennent à effacer la dimension spirituelle de l'événement qu'a constituée ce sommet du G20 à Londres.

Comment est-on passé de la mondialisation de fait à la mondialisation en droit ? D'abord, par la prise de conscience de l'importance des crises traversées : crise économique et financière, crise du climat, crise de la sécurité internationale à l'âge du terrorisme et de la prolifération nucléaire. Ensuite, par la prise de conscience que, dans un monde globalisé, où tout est interdépendant, "on ne peut pas, comme le fait dire Jean-Paul Sartre à un des personnages de "Huis Clos", se sauver seul ".

Un peu comme la découverte, par Pasteur, de la contagion avait fait prendre conscience, à la fin du XIXème siècle, que nous étions tous dépendants de la bonne conduite des autres, que nous étions donc les uns pour les autres des "risques mutuels". Seuls des mécanismes coopératifs permettront de gérer ces différentes mondialisations de fait - économique, financière, climatique et géopolitique.

A Londres, Strasbourg et Prague, la notion de solidarité, avec ce qu'elle permet de fonder en droit, a pris une nouvelle jeunesse. La sphère publique s'est étendue, en particulier, au domaine de l'éthique et de la microéconomie. Dans un monde global, la propriété confère au moins autant de devoirs qu'elle ne donne de droits. Les acteurs économiques ne peuvent se prévaloir du droit de propriété pour s'exonérer du nouveau droit commun. La dialectique de la globalisation fait que la propriété n'est que la privatisation d'un domaine public dont on pense qu'elle assure une meilleure gestion.

Ce n'est pas la première fois dans l'histoire que l'éthique s'impose au niveau mondial. La Déclaration universelle des droits de l'homme qui rassemble les valeurs de l'ONU en atteste. Disons simplement qu'elle s'est étendue aux principes d'organisation économique et financière, ce qui aurait été bien impossible en 1948. Le G20 de Londres apporte l'idée d'une éthique universelle des affaires. Avec l'apparition corrélative de "rogue states" [Etats voyous ou parias, Ndlr] éthiques : ces paradis fiscaux dont on découvre qu'ils sont ceux-là même où, jusqu'alors, on faisait la loi.

Cette avancée des devoirs de coopération sur les privilèges de la souveraineté n'est possible que dans la mesure où les chefs d'Etat se sentent placés sous une triple menace. Menace de révoltes populaires, dont aucun Etat ne peut se présumer épargné, d'autant plus craintes que la crise a rompu le contrat social fondé sur le partage de la croissance et de la prospérité et que certains se sentent trahis quand d'autres continuent à profiter. Menace climatique avec son lot d'incertitudes. Menace terroriste et nucléaire dont personne n'est à l'abri.

Bien entendu, la reconnaissance de ces solidarités, de la nécessité de mutualiser problèmes et solutions, ne va faire disparaître ni les rapports de pouvoir ni les rapports de force. On peut toujours perdre dans un échange solidaire, donner plus qu'on ne reçoit. On peut toujours craindre les "free riders" [passagers clandestins, Ndlr]. Malgré tout, on ne peut pas s'empêcher de penser que cette séquence intense du printemps 2009 restera comme celle d'une sorte de printemps du droit, d'un nouveau droit international, la naissance d'un état global du droit ou d'un état de droit global.

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