La stratégie de marque gagnante de la Chine et l'Inde

Après deux décennies de croissance effrénée, la Chine et l'Inde modernes, dynamiques quinquagénaires à la tête de l'usine et du bureau du monde, apparaissent désormais au grand jour. Elles entament une nouvelle ère. Celle d'une stratégie de marque. Ce processus de basculement est fulgurant : du coût vers la valeur, de la retenue vers l'affirmation, de l'invisible vers le visible, estime François Pitti, vice-président des alliances stratégiques d'un groupe du CAC 40 et conseiller du commerce extérieur (*).

En 2005, l'Inde avait lancé sa campagne "Brand India" (marque Inde). Peu après, la Chine lui emboîtait le pas, en donnant la priorité au développement mondial de ses organes d'information : l'agence de presse Xinhua, la chaîne CCTV (qui se veut un CNN chinois). En février, le secrétaire général du programme "Brand China", Wang Yong, annonçait que 2009 marquerait le décollage international de la marque Chine.

Le développement de la marque couvre tous les domaines. L'économie, qui voit des acteurs comme Lenovo, Haier ou Kingfisher, peu connus hier, renforcer chaque jour leur notoriété internationale. La politique ensuite, dans les deux dimensions clés diplomatique et militaire. Les tournées récentes de Hu Jintao et de Manmohan Singh sur tous les continents augurent d'un activisme inédit. Elles projettent l'image de deux grandes puissances et développent des alliances transcontinentales. Sur le plan militaire, l'accent est mis sur trois domaines correspondant au double critère d'une affirmation accrue et d'une image rénovée : le nucléaire, les sous-marins et les porte-aéronefs. Pékin a confirmé en décembre 2008 son intérêt pour la construction d'un porte-avions ; Delhi a débuté son programme en 2003.

La stratégie de marque de l'Inde et la Chine est un moteur à deux temps, mû par les "pistons" privés et étatiques qui s'entraînent mutuellement. L'effet de renforcement des marques des sociétés et du pays est en effet réciproque. Elle est accentuée par la priorité donnée aux symboles. Ainsi de l'espace, réservé aux plus grands : quatre semaines après la première sortie extra-véhiculaire d'un astronaute chinois en 2008, Delhi lançait Chandrayaan-1, projet ambitieux d'exploration lunaire. Enfin, la marque est renforcée par le rayonnement culturel. Après avoir importé Hollywood, l'Inde exporte maintenant Bollywood tandis que le réalisateur chinois Zhang Yimou a exalté la civilisation millénaire de l'empire du Milieu lors de la cérémonie d'ouverture des JO de Pékin. Si, historiquement, les stratégies de marque ont été l'apanage des entreprises, elles deviennent maintenant essentielles pour certains pays et territoires.

La stratégie de marque a un rôle politique essentiel. Elle permet à un pays d'affirmer son identité et d'augmenter son prestige en accédant aux symboles de la valeur et de la puissance. Dans un monde multipolaire, le "hard power" - agissant par contrainte - se fait rare. Les résolutions non contraignantes du dernier G20 le démontrent. Dans une dynamique internationale graduellement "soft", il sera préférable d'être perçu comme puissance que comme un pays parmi d'autres.

La marque contribue à une telle perception. Elle a par ailleurs une double vocation économique. Celle de dominer, par captation et exportation, les flux mondialisés transitant par ses territoires (capitaux, biens et services, information), et de décupler leur valeur perçue (objective et subjective). La notoriété - renforcée par la marque - attire les flux (attractivité) et valorise les biens et services sortants (compétitivité).

Si l'émergence des deux géants asiatiques va renforcer la concurrence dans nombre de secteurs dans l'Hexagone comme dans le monde, mécaniquement, ces deux mégamarchés génèrent des opportunités. La France, elle, est tiraillée car ses quatre directions stratégiques pointent vers différents continents : son espace géopolitique est européen, son plus grand allié militaire est en Amérique, une partie de sa croissance potentielle se trouve en Asie, et elle entretient de fortes relations affectives et historiques avec l'Afrique.

Sa part de marché des importations est de 1,4% en Chine (contre 5,4% en 1976) et de 1,8% en Inde. Ces chiffres sont plus de deux fois inférieurs à la part de l'Hexagone dans les échanges mondiaux (environ 4%). Ils reflètent la faiblesse des exportations vers l'Inde et la Chine et le potentiel d'une stratégie volontariste de conquête de leurs marchés. Celle-ci supposerait de créer une cellule d'intelligence économique tournée vers les marchés émergents : la multiplication des salons en Inde et en Chine, conjuguée à des rencontres bilatérales ambitieuses du type "UK-India roundtable", et, enfin, un renforcement des politiques de coopération.

Par l'irruption soudaine de leur marque sur la scène internationale l'Inde et la Chine polarisent en Occident l'attention et les réactions. Défis pour certains, elles représentent pour d'autres de rares oasis de croissance, doublées de "locomotives" dans un monde en dépression. Le siècle des Lumières était celui de la raison. Le XXème siècle celui des idéologies. Celui qui débute pourrait être celui des émotions. En ce cas, l'Inde, la Chine auront d'emblée une place de choix.

(*) L'auteur s'exprime à titre personnel. Il a publié "Chine et Inde : vers une stratégie", avec le "think tank" En Temps Réel (cahier n° 38)

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Commentaire 1
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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From Francois Pitti

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