Vers l'émergence d'une zone monétaire asiatique

Au moment où les Européens ont payé cher leurs divergences et leurs hésitations, il n'est pas inutile de rappeler qu'ils ont été visionnaires dans leurs démarches et que le reste du monde s'engage, avec une génération de retard, dans une démarche similaire. Etre pionnier est toujours risqué, mais l'euro demeure bien un avantage compétitif dans la mondialisation.

L'Europe vient d'adopter de spectaculaires mesures pour sauver la monnaie unique. Ce qui paraissait gravé pour l'éternité ne l'était pas et beaucoup reste à faire ou à refaire pour que notre continent approfondisse son intégration économique, monétaire, voire politique. Malgré tous ces allers-retours, l'expérience européenne reste une référence pour toutes les régions du monde qui cherchent à constituer des zones économiques et monétaires dans la globalisation. Car l'avenir reste bien à l'intégration et non à la désintégration.

Il est ainsi des microdécisions qui en disent plus sur les changements de notre monde économique contemporain qu'un long discours. Le resserrement de la politique monétaire de la banque centrale de Singapour a récemment provoqué une cascade de réactions qui révèlent un changement majeur des rapports de force et réseaux d'influence mondiaux. Prise pour de strictes raisons de régulation interne (emballement de la croissance), la décision singapourienne a provoqué de fortes tensions sur la grille des changes de la zone asiatique. Le won coréen et le ringgit malais ont suivi la monnaie de Singapour, de même que les dollars canadien et australien. Bien que le yuan chinois et le yen japonais n'aient pas réagi, les observateurs ont néanmoins considéré que ces mouvements de change asiatiques créaient une pression supplémentaire sur le yuan.

Que retenir de cet événement, en soi de peu d'influence (pour l'instant) sur nos économies européennes, mais qui mérite d'être examiné de près ? D'abord, qu'une zone monétaire se met aussi en place en Asie. Centrée sur des problématiques et des coopérations largement régionales, elle nous rappelle, à bien des égards, ce que nous avons connu en Europe dans les années 1970 et 1980. Besoin de prendre des décisions sur la base de considérations internes (et non pas en réaction aux évolutions du dollar), recherche d'un équilibre entre les monnaies régionales (grille de change), etc. Le monde monétaire multipolaire, que d'aucuns annonçaient, se met lentement, mais sûrement en place.

Ensuite, cette zone n'est pas organisée autour d'une devise leader. Singapour ne s'est pas décidée en fonction du yuan, encore moins du yen. Bien que la zone comporte deux des trois à quatre grandes puissances économiques mondiales, ni le Japon (vieille position) ni la Chine (encore trop centrée sur elle-même) ne souhaitent encore remplir ce rôle de pivot de la zone. Le dollar continue de jouer un rôle important (au moins comme monnaie de compte commune et comme monnaie de réserve), mais son influence apparaît clairement en retrait.

Dernier enseignement, la décision singapourienne a eu des effets sur les monnaies canadienne et australienne (pour des raisons liées à leur statut de producteurs de matières premières). La zone monétaire asiatique tend ainsi à être aussi une zone Pacifique et à inclure des pays traditionnellement dans l'orbite occidentale. On savait déjà que la reprise économique mondiale était largement entraînée par la demande asiatique. On constate (sans surprise) que l'économie réelle modifie aussi les équilibres monétaires.

Que déduire de tout cela ? D'abord que cette situation non coopérative (Singapour n'a pas pris en compte les conséquences de sa décision sur ses partenaires asiatiques) n'est pas sans risque. Les pays de la zone devront bien, eux aussi, trouver un régime institutionnel pour gérer leur grille de change commune et approfondir leur coopération monétaire en allant au-delà des accords de Chiang Mai déjà en place. Ensuite, le rapport de force mondial ne se réduit pas à un face-à-face sino-américain, voire sino-occidental. La Chine va devoir aussi régler son mode de relations avec ses voisins asiatiques. Cet épisode montre, cependant, que même un petit pays comme Singapour est susceptible d'interférer dans le processus de prise de décision chinois.

Enfin, ces évolutions, même si elles portent en germe un affaiblissement historique du poids de l'Occident européen dans l'économie mondiale, constituent une bonne nouvelle pour l'Europe. On peut, en effet, en espérer un rééquilibrage des grilles de change qui rendrait de l'attractivité aux pays européens.

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