Réglementation bancaire : danger pour le cinéma "made in France"

Par Laurent Vallet, directeur général de l'Ifcic (Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles).

2009/111 : ce n'est pas le titre d'un nouveau film catastrophe en 3D mais celui, guère plus rassurant, d'une directive européenne dont la transposition au plan national fait actuellement l'objet d'un âpre débat et dont la mise en oeuvre, en l'état, ferait courir un risque vital au cinéma français. L'une des forces de notre cinéma, aux côtés des leviers puissants que constituent les investissements de Canal Plus ou la généreuse et irremplaçable "avance sur recettes", c'est de disposer d'un système bancaire dédié : c'est aussi grâce à lui que la production cinématographique française se distingue de ses voisines européennes par une vitalité et une diversité exceptionnelles.

Ce système, comme d'ailleurs l'ensemble du dispositif d'aides piloté depuis soixante ans par le Centre national du cinéma (CNC), nous est envié dans le monde entier. Il est aujourd'hui organisé pour l'essentiel autour de deux établissements financiers spécialisés qui, avec l'aide de l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (Ifcic) chargé de garantir leurs crédits à 55%, assurent le financement de la trésorerie de 95% de la production indépendante française.

Ces deux établissements spécialisés, Natixis Coficiné et Cofiloisirs, grâce aux garanties délivrées par l'Ifcic, peuvent prendre davantage de risques dans un secteur traditionnellement peu ou mal considéré par les banques. Comme dans toute activité de niche, une rentabilité importante - en général à la hauteur des risques pris - compense une faible taille de marché et explique que les actionnaires de ces établissements acceptent de continuer à leur allouer les fonds propres nécessaires.

Crise oblige, les autorités prudentielles sont engagées depuis dix-huit mois dans un vaste processus de renforcement des règles internationales qui déterminent la capacité des banques à prêter. La directive 2009/111 participe à cet effort. Un effort nécessaire qui vise à mieux encadrer les instruments financiers complexes dont le rôle a été majeur dans le déclenchement de la crise. Mais soyons vigilants : cette surréglementation pourrait aussi avoir l'effet pervers de conduire à renforcer considérablement les exigences de fonds propres attachées à toutes les activités bancaires. Premières activités pénalisées : les activités de crédit aux entreprises - notamment aux plus fragiles, les PME-TPE. Or, c'est bien sûr à cette catégorie qu'appartiennent tous les producteurs indépendants français.

Ces producteurs indépendants ont déjà pâti des précédentes évolutions de la réglementation, totalement ignorantes des caractéristiques propres au financement du cinéma, telles que l'existence des contrats de préachat. Avec la directive 2009/111, un nouveau pas risque d'être franchi : en effet, en l'état actuel de sa transposition, les établissements spécialisés, nos "banques du cinéma", ne pourraient plus (ou si peu) utiliser la garantie de l'Ifcic comme instrument de réduction de leurs risques, alors même que cette garantie, qui a largement fait ses preuves, est de surcroît assise sur fonds publics.

La conséquence prévisible serait une nouvelle augmentation du coût en fonds propres de l'activité de ces établissements de niche, et un risque de voir leurs actionnaires jeter l'éponge. Ce qui entraînerait, en quelques années, un assèchement de l'accès au crédit des producteurs indépendants et porterait, à terme, un coup fatal à la vitalité et au renouvellement de la création cinématographique. Ce scénario catastrophe peut encore être évité si la Banque de France, par la voix de l'Autorité de contrôle prudentiel, fait plein usage des marges d'interprétation dont elle dispose pour la transposition de la directive 2009/111. Car le système des banques du cinéma, au sein duquel s'exerce une expertise financière reconnue, est stable. Ses acteurs s'interdisent toute prise de risque spéculative et aucun sinistre majeur n'est à déplorer depuis près de quinze ans : il ne mérite donc certainement pas les rigueurs de cette réglementation.

Alors que dix films de la sélection officielle du Festival de Cannes, de Xavier Beauvois à Abbas Kiarostami, ont bénéficié de cet écosystème privilégié, au moment où la Commission européenne, consciente de l'atout que constitue l'Ifcic pour la diversité de la production, envisage de lui confier la gestion d'un fonds de garantie européen, il est urgent de veiller à une transposition "éclairée" de la directive qui ne vienne pas tarir la source vitale que représentent, pour le cinéma français, les crédits à la production.

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