Grandeurs et risques d'une cogestion à la française

Par Sylvain Niel, avocat en droit social au cabinet Fidal.

La gouvernance des entreprises à la française tend-elle vers la cogestion ? A l'évidence, cela fait plusieurs années que la France s'essaie à la cogestion, sans que personne n'ose formuler ce mot. Considérant qu'associer les salariés à la marche de l'entreprise améliore la performance des entreprises comme la qualité du climat social, la politique conventionnelle n'a cessé d'étendre son influence. Et ce, qu'il s'agisse de la loi du 20 août 2008 portant sur la "rénovation de la démocratie sociale", de celle du 31 janvier 2007 dite de "modernisation du dialogue social" ou encore de la loi portant sur la "modernisation du marché du travail" du 25 juin 2008, sans oublier la loi en "faveur des revenus du travail" du 3 décembre 2008. Un phénomène qui s'inscrit dans le droit fil des lois Aubry, en particulier celle du 19 janvier 2000, qui avaient confié à la seule négociation collective le soin de mettre en place la flexibilité des organisations, avec l'annualisation du temps de travail et les forfaits en jours.

Aussi faut-il bien reconnaître que, depuis plusieurs années, les sujets relevant de la négociation collective ne cessent de progresser. Et avec eux, l'influence des syndicats sur les décisions des dirigeants dans la gestion de leur personnel. Derniers sujets en date, le stress, l'égalité entre les sexes et les seniors. Le législateur ayant fait le choix d'une politique conventionnelle, la norme juridique qui encadre les relations sociales dans l'entreprise provient désormais de plus en plus de l'accord collectif et de moins en moins de la loi. Aussi dotés du pouvoir d'établir des règles collectives, dès lors qu'ils atteignent 30% des voix, les syndicats menacent, inquiètent et imposent finalement leurs arrangements pour accepter de signer un accord d'entreprise valable.

La trop fameuse procédure "d'information-consultation" du comité d'entreprise - qui n'a jamais stoppé le projet d'un employeur, même si l'avis de ces représentants du personnel était défavorable - cède le pas à la politique conventionnelle. L'heure est au dialogue, et finalement au partage de la décision, sous le couvert de la signature d'un accord collectif. Aussi la cogestion a-t-elle fini par s'imposer comme une évolution nécessaire au progrès économique des entreprises, même si elle concerne presque exclusivement la gestion du personnel.

 

Doit-on la redouter ? Petit à petit, les résistances patronales à la gestion participative s'estompent jusqu'à devenir une simple réticence. Certains décideurs s'y aventurent ainsi sans méfiance en ignorant les risques qu'ils courent. Lorsque le ministre du Travail préconise un diagnostic partagé sur le stress, les patrons semblent ignorer la portée exacte de cette approche. Un diagnostic partagé est le fruit d'un groupe de travail constitué d'une partie des représentants du personnel de l'entreprise, avec pour objectif l'identification des facteurs de stress. Or si le diagnostic est stricto sensu partagé, comment éviter que la décision issue de cette analyse ne le soit, elle aussi ?

D'expérience, le diagnostic met souvent en avant comme origine du stress l'organisation du travail et le management de l'entreprise. Passé ce constat, le dirigeant doit désormais répondre à la demande des syndicats qui exigent une refonte organisationnelle ou la mutation des cadres qualifiés de "stresseurs". Dès lors, ne pas prendre en compte les exigences issues du diagnostic partagé fait courir à l'entreprise le risque de voir sa responsabilité engagée au titre d'une faute inexcusable en cas de suicide au travail, voire celle aussi des dirigeants pour mise en danger de la vie d'autrui, s'ils ne se séparent pas des managers désignés comme "stresseurs". En somme, un diagnostic partagé sur le stress aboutit le plus souvent à une décision partagée, sous peine d'une responsabilité non partagée pour le coup face aux juges.

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