EDF, GDF Suez : un succès international au détriment du marché français  ?

Par Hugues Poissonnier, professeur à Grenoble Ecole de management et directeur de la recherche de l'Irima (Institut de recherche et d'innovation en management des achats).

La mi-août s'accompagne en général d'une hausse des tarifs de l'électricité en France. Une hausse particulièrement visible cette année, car c'est la hausse la plus forte depuis 2003, dans un contexte économique et social difficile. Et d'autant plus difficile à accepter que les profits d'EDF sont plutôt remarquables. Alors que la plupart des spécialistes tablent sur des hausses comparables chaque année sur une période plus ou moins longue, les propos de Pierre Gadonneix, qui avait demandé une hausse de 20% l'été dernier avant de "passer la main" à Henri Proglio, prennent un sens inquiétant pour les consommateurs, particuliers comme entreprises. Dans un pays qui attire certaines entreprises en raison des coûts relativement bas de son électricité, une cause nouvelle de délocalisation pourrait en effet contribuer à l'accélération du mouvement actuel de désindustrialisation.

Face aux inquiétudes montantes, de nombreuses raisons sont avancées pour justifier l'augmentation des tarifs : de la mise en place d'une grille tarifaire plus équitable et plus vertueuse à la nécessité pour EDF d'investir pour le prolongement de la durée de vie des centrales nucléaires et hydrauliques. Pourtant, à y regarder de plus près, c'est essentiellement vers l'étranger que se dirigent les investissements d'EDF comme ceux de GDF Suez, devenu depuis le rachat de International Power le deuxième producteur mondial d'énergie.

La question est de savoir si nos grands énergéticiens ne privilégieraient pas la croissance internationale au détriment du marché français. Lequel souffrirait de deux maux : une modernisation insuffisante de l'outil productif et une tendance inquiétante à l'augmentation des prix.

S'il convient de rappeler que l'électricité demeure 30% moins chère en France que dans la moyenne des pays européens, la situation appelle plusieurs clarifications.

Primo, les stratégies d'EDF et de GDF Suez ne sont en aucun cas comparables et leurs succès internationaux constituent avant tout de bonnes nouvelles pour les consommateurs français, même lorsque ces succès prennent la forme d'opérations très coûteuses de rachat de concurrents.

Concernant EDF, sa croissance externe permet d'abord d'exporter la technologie nucléaire existante, jouant le rôle d'une "vache à lait" et contribuant à l'effort d'amortissement des investissements. Elle permet aussi à EDF de conforter son avance technologique. C'était clairement l'objectif recherché lors des rachats de British Energy et de Constellation Energy aux États-Unis (pour 50%). La course à la taille critique constitue enfin l'un des meilleurs moyens d'éviter les OPA hostiles, comme l'a montré la fusion entre GDF et Suez, qui avait permis à Suez d'échapper à l'italien Enel...

Pour GDF Suez, le contexte est aujourd'hui bien différent, le groupe peinant à s'imposer en France dans l'électricité. Pour lui, dans le contexte actuel de libéralisation très relative du marché français, l'international correspond à la seule possibilité de développement.

In fine, les succès financiers et commerciaux à l'international de GDF Suez, comme d'EDF, qui s'autofinancent, leur permettent de préparer de la meilleure des manières leur concurrence future en France sur le marché de l'électricité. Cette concurrence, à laquelle participeront également d'autres grands opérateurs européens, générera, pour un temps au moins, un repli certains des prix. Cela donnera aussi à la France des garanties importantes en termes de sécurité des approvisionnements, en investissant dans des infrastructures et parfois même des gisements gaziers. Dans le monde d'énergie rare (et chère) dans lequel nous rentrons, cette question sera peut-être à terme plus importante encore que celle des tarifs.

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