Perte de confiance dans l'euro

Le sort de la monnaie unique se joue à Londres, où s'échangent chaque jour 595 milliards d'euros-dollars...
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Alan Brown prend des risques alimentaires importants. « Je m'engage à manger mon chapeau si aucun pays n'est sorti de la zone euro d'ici à dix ans. » Même accompagné de bons vins, pour lui qui est un amateur de grands crus, cela risque d'être difficile à digérer. Le directeur des investissements de Schroders, une société de gestion britannique, n'est pas le seul à parier sur un effondrement de l'euro. À Londres, où les fiers Anglais n'ont pas renoncé à leur livre sterling, le jeu contre l'euro mobilise beaucoup de monde.

De fait, le sort de la monnaie unique européenne se joue à la City. C'est ici que s'échangent tous les jours une grande partie des obligations et autres produits dérivés en euro. La place de Paris traite ainsi quotidiennement 63 milliards d'euros-dollars quand la City échange 595 milliards d'euros-dollars. Soit dix fois plus, et ce pour un pays qui n'a pas rejoint la zone euro et qui n'a pas l'intention de le faire.

Alors, ce que pense Alan Brown compte. Avec les milliers de gérants, d'économistes et de courtiers qui traitent l'euro depuis Londres, il peut faire la pluie et le beau temps sur la monnaie unique et faire trembler les gouvernements irlandais ou grec. Il n'est pas question ici de dénoncer un complot contre l'euro. Les professionnels comme Alan Brown ne font que leur travail, gérer des portefeuilles d'actifs au mieux des intérêts de leurs clients, loin des incantations des politiques. Mais le climat de confiance vis-à-vis de l'euro qui règne à Londres est absolument capital. Et derrière les analyses macroéconomiques et les complexes matrices financières, l'air du temps et les discussions au pub ont une influence non négligeable. Et de ce côté, la zone euro a besoin d'un sacré rattrapage en termes de communication et d'image. Demandez à Jim O'Neill, l'économiste en chef de Goldman Sachs : il demeure très positif sur la capacité du Royaume-Uni à rebondir, mais doute du Vieux Continent. Pourquoi ? Franchement, il peine à trouver des arguments convaincants. Mais peu importe : profondément, c'est ce qu'il croit et ce qu'il répète à longueur de rapports. Quant à Alan Brown, il s'est amusé à une petite comparaison historique : il a trouvé que 69 unions monétaires avaient été dissoutes depuis la Seconde Guerre mondiale. « 69 !! », écrit-il dans un mémo, à grands renforts de points d'exclamation. Exemple : l'Irak et le Royaume-Uni, dont l'union s'est effondrée en 1967 ; ou encore celle de l'Irlande et du Royaume-Uni, qui s'est terminée en 1979. Le cas de la Tchécoslovaquie a particulièrement retenu son attention. Au moment de leur division en 1993, les deux pays ont tenté de conserver une monnaie commune. Mais la Slovaquie avait cinq fois plus de chômage et dix fois moins d'investissements étrangers que la République tchèque : la rupture était donc inévitable, selon lui. « Imaginez que la République tchèque soit la zone euro et la Slovaquie la Grèce », lance ainsi Alan Brown. La comparaison ne tient pourtant pas la route. Seulement voilà, Alan Brown ne vit pas dans la zone euro. Le projet politique européen n'atteint guère son bureau. Simplement, lui et ses collègues de la City ont perdu toute confiance dans l'euro. Et ils risquent d'entraîner avec eux tous ceux qui ont salué la naissance de l'euro.

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