Au pays de l'exception culturelle, les séries américaines sont reines

La France est l'un des pays où les séries télévisées américaines connaissent les plus grands succès d'audience. Un symptôme : l'efficacité du soutien à la diversité culturelle s'émousse. En réviser les modalités est urgent.
DR

Partout dans le monde, les téléfilms arrivent en tête des palmarès d'audience de la télévision. En 2009, 41 % des programmes ayant réalisé la meilleure audience - hors sport - dans 70 territoires sont des fictions, selon un récent rapport d'Eurodata TV Worldwide, (banque de données de Médiamétrie sur l'audience de 3.000 chaînes dans le monde). Rien de surprenant : depuis son origine, la télévision raconte des histoires à ses spectateurs pour les captiver. Ce qui a changé depuis cinq ans, c'est la place prise par les épisodes de séries qui supplantent partout les films de cinéma diffusés sur le petit écran.

La popularité des séries américaines a connu un boom mondial depuis l'arrivée de titres comme "Lost" lancée aux États-Unis à la rentrée 2004, ou "Desperate Housewives". De "Zorro" à "Beverly Hills", Hollywood abreuve depuis longtemps nos enfances de ses récits. Mais désormais, c'est en prime time, lors des pics d'audience, que s'exposent les séries américaines. "Les Experts Las Vegas" (CSI : Las Vegas) a réuni pour ses meilleures audiences dans 68 pays du monde près de 74 millions de téléspectateurs en 2009.

Les mécanismes érigés par la France pour défendre la diversité culturelle sur ses écrans semblent soudain inopérants... Quotas de diffusion d'oeuvres originales françaises plus élevés que ne l'impose la règle européenne, obligation d'en diffuser une part à des heures de grande écoute, obligation pour les chaînes d'investir dans la production d'oeuvres françaises : depuis les années 1980, cette régulation assurait à la fiction française une place de choix dans les palmarès annuels des audiences télévisées. En 2006, 48 des 100 meilleures audiences de la télévision française étaient réalisées avec des fictions nationales sur TF1 - "Navarro", "Julie Lescaut" - et 14 par des séries américaines. En trois ans, le renversement est spectaculaire : 62 des 100 meilleures audiences de l'année 2009 ont été réalisées par des épisodes des "Experts" et autre "Dr House" sur TF1.

Cette domination fait désormais de la France... une exception culturelle. Comparons le palmarès des meilleures audiences de séries TV entre septembre 2009 et mai 2010, dressé par Eurodata TV, dans plusieurs pays. En France, 6 séries américaines se trouvent dans le top 15, avec en tête "The Mentalist" sur TF1. Et chez le public des 15-34 ans, on ne trouve plus que 4 séries nationales dans le top 15.

Outre-Rhin, au contraire, les séries allemandes ne laissent à « CSI Miami » qu'une place, la 14e, dans le top 15. Certes, là encore chez les 15-49 ans, 10 séries américaines figurent dans le top 15. Mais c'est quand même une série allemande "Tatort" sur l'ARD qui fait la meilleure audience sur cette cible adultes-jeunes. Quant aux Britanniques, des vénérables "Coronation Street", ou "EastEnders", les soap operas d'ITV et de la BCC - en tête sur tous les publics - au plus récent "Gavin & Stacey", sur BBC1, leader chez les 14-44 ans, aucune série américaine ne réussit à prendre la moindre place dans les top 15.

La faute à TF1 avec sa part d'audience toujours inégalée en Europe, qui a programmé en 2010 presque 100 soirées de séries « US », contre 14 seulement en 2005 ? Peut-être, mais TF1 fait son métier : faire de l'audience. Quand ses téléspectateurs aimaient la fiction française, elle leur en montrait. La faute peut-être aux effets d'une régulation qui, à trop vouloir protéger la production française, va désormais à l'encontre de ses objectifs.

La combinaison des quotas de diffusion d'oeuvres françaises en prime time et des obligations d'investissement en production a encouragé les chaînes à financer la plus grande part (75 %) du budget de fictions françaises produites pour leur seule antenne. Inutile pour le producteur d'aller chercher des financements ailleurs. Or qui dit cofinancement étranger dit souvent aussi sujets plus universels et partenariat créatif. Le public, après avoir goûté ce qui se fait ailleurs, a évolué, se détournant de héros français fatigués.

Le contre-exemple des séries d'animation pour les enfants est à cet égard édifiant. Destinées à des cases horaires moins exposées, les séries d'animation sont financées à moins de 30 % de leur coût par les chaînes françaises. Or produire de l'animation coûte cher. Leurs producteurs depuis vingt ans vont trouver de l'argent ailleurs : en Europe, au Canada... Ici le soutien à la production a joué pleinement leur rôle. La France est le troisième producteur de dessins animés derrière les États-Unis et le Japon. Plus de la moitié des séries animées programmées à de la télévision française ont été initiées en France, contre à peine 20 % au début des années 1990. Et ces séries s'exportent, y compris sur les chaînes américaines... On dira qu'après tout ce n'est que de la télévision. Mais l'impact de programmes auxquels le public devient fidèle voire accro, sur l'imaginaire, les modes de vie et de consommation a forcément des conséquences sur l'économie.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.