Le fonctionnaire international et le président

Par Eric Benhamou, éditorialiste à La Tribune
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Alassane Ouattara a loupé son rendez-vous avec l'Histoire. De président élu avec le soutien des Nations unies, cet économiste distingué, ancien du FMI et de la BCEAO (Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest), arrive au pouvoir comme chef de guerre, entouré de comzones, ces commandants de zones qui ont mis le nord de la Côte d'Ivoire en coupe réglée avec, en prime, une possible mise en cause par la Cour pénale internationale pour les massacres commis à Duékoué.

C'est gênant pour un des représentants d'une nouvelle élite mondiale, nourrie aux meilleures universités et formatée par des parcours sans fautes et sans éclats dans les institutions internationales. C'est surtout gênant pour la communauté internationale qui commençait à puiser dans ce nouveau vivier de fonctionnaires internationaux pour se porter au secours des démocraties balbutiantes en quête de représentants « politiquement corrects » et les aider à sortir du chaos. La recette a jusqu'ici bien fonctionné en Afrique. En Sierra Leone, Ahmad Tejan Kabbah, ex-haut fonctionnaire au Pnud, a toujours bénéficié du soutien des grands bailleurs pour tenter, comme président élu, de sortir son pays de l'ornière après des années de guerre civile. Idem au Liberia pour Ellen Johnson Sirleaf, brillante économiste du Pnud, formée à Havard, première femme africaine à être élue au suffrage universel, avec la bienveillance et le soutien logistique de l'ONU, et qui a su maintenir jusqu'ici une paix civile si chèrement acquise. Et personne ne s'étonne de la candidature en Égypte de Mohamed El Baradei, ancien directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique, à l'élection présidentielle prévue d'ici à la fin de l'année, un homme parfaitement à l'aise dans les arcanes de la diplomatie mondiale mais qui connaît mieux Davos que les rues du Caire.

Certes, Alassane Ouattara est un homme expérimenté, tombé dans le chaudron politique ivoirien sous le règne finissant d'Houphouët-Boigny. Mais c'est bien sa stature de fonctionnaire international qui lui a valu d'être appelé au poste de Premier ministre par le « Vieux » en 1990 sur fond de crise économique. Il a su, depuis, profiter de cette aura internationale pour consolider ses soutiens à l'étranger malgré un parcours politique plutôt laborieux. Ses connaissances des rouages de la finance mondiale et son carnet d'adresses lui ont été précieux aussi pour organiser, avec succès, le premier embargo monétaire et bancaire de l'histoire. C'est dire combien sa victoire est attendue avec impatience par les chancelleries pour valider un schéma de transition démocratique qui pourrait se répéter dans bien d'autres pays d'Afrique et d'Asie. Car le fonctionnaire international rassure.

Son profil est toujours le même : un personnage expérimenté mais en fin de parcours. Il apparaît toujours dans des situations de crise qui attirent son attention et justifient surtout sa présence. Il est toujours bien entouré de fonctionnaires talentueux. Il sait pratiquer la presse. Ses lieux de prédilection - capitales financières, palaces et colloques internationaux - sont connus du gotha du G20. Il est rarement responsable de quoi que ce soit, malgré de lourdes responsabilités. Il affiche toujours une assurance absolue, un calme olympien et sa bible, "Théorie de la monnaie et du crédit » de Maynard Keynes, n'est jamais loin, même s'il ne cesse d'en critiquer le contenu. Il dispose d'une culture assez large, parle couramment l'anglais et aime marquer sa différence par rapport à ses opposants. Il est évidemment réputé intègre et a toujours, dans sa jeunesse, voulu « changer le monde". Mais ses qualités essentielles ne sont pas là. Il correspond tout d'abord à son époque, plus technocratique que politique, qui séduit les nouvelles couches de jeunes cadres hip-hop, fast-food et smartphone. Et il parle ensuite le même langage que celui des bailleurs de fonds. Il appartient à la même tribu.

Le fonctionnaire international pourrait bien devenir la clé des démocraties émergentes et préfigurer cette nouvelle gouvernance mondiale qui se dessine. Alassane Ouattara ne doit pas décevoir.

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